Le prime touche à sa fin, lentement, sûrement, et au moment de tous nous lever pour réintégrer nos quartiers respectifs, l'ensemble de la soirée semble se repasser en accéléré dans mon esprit, comme pour me forcer à me remémorer chaque minute. Mallaury, à qui j'adresse un signe d'au revoir. Je ne compte pas aller dormir tout de suite, alors qu'il ne prenne pas la peine de m'attendre. Paloma et son enchère inattendue pour la loveroom. S'ensuivit une toute aussi inattendue invitation à y aller avec elle. Qui m'a arraché un regard surpris, puis un sourire. Une occasion intéressante d'apprendre à la connaître un peu plus. Elin, aussi, toujours endormie sur mon épaule. Je gigote toutefois légèrement au moment des résultats des votes et, très précautionneusement, je l'appuie sur le dossier du canapé pour me dégager et filer vers Clémentine, encore une fois menacée. Les minutes qui s'écoulent entre le moment où je lui dis au revoir et celui où son nom est prononcé me semble être plus longues encore que l'infini. Lorsque, enfin, la sentence tombe, un sourire soulagé barre mes lèvres et c'est plus léger que je tourne les talons pour retourner auprès d'Elin, toujours endormie. Embêtée de devoir la réveiller, je finis par commissionner un candidat de me maintenir les portes ouvertes et, glissant les bras sous son petit corps tout frêle, je la soulève facilement pour la déplacer jusqu'au nid. J'hésite une seconde à tenter l'ascenseur pour aller directement dans la chambre orientale, mais la perspective de la transporter jusqu'à là d'une part et du bruit fait par les candidats en phase pré-sommeil me fait braquer tout droit vers le salon. Désert. Parfait. Je m'approche d'un des canapés et me penche pour déposer Elin dessus, le moins brusquement possible. Sauf qu'après tout un trajet ballottée et un atterrissage en douceur, certes, mais un atterrissage tout de même, je la vois qui bouge, qui s'étire, émergeant doucement du sommeil. « Désolé, je ne voulais pas te réveiller. » je chuchote, tâchant de ne pas agresser ses tympans dès son réveil. J'attrape un coussin que je pose à côté d'elle et me redresse. « Installe-toi là, je reviens » j'intime. Et je tourne les talons pour déserter la pièce. Je ne crois personne en alignant les pas jusqu'à la cuisine, pas plus qu'une fois la porte passée. Ils sont fort raisonnables, aujourd'hui. La soirée ne m'a pourtant pas semblé si fatigante que ça. Enfin, moi, je m'en fous, ça ne change que le fait que je sois tranquille pour m'activer sur le plan de travail. J'attrape un mug, la bouilloire que je remplis d'eau et mets à chauffer et me penche enfin sur le dilemme de la plante. J'ai beau connaître plusieurs arbres dont les vertus comportent la lutte contre la fièvre, mais c'est autre chose de savoir s'il y en a dans le coin. Aussi, j'ouvre une à une les armoires, farfouille les étagères, jusqu'à dénicher un panier rempli de sachets de thé et autre conneries. Il me faut une bonne minute pour dénicher ce qu'il me faut. Des fleurs de sureau. J'en verse deux cuillères à café dans le mug, avant d'ajouter l'eau bouillante. J'ajoute une cuillère et jette un coup d’œil à ma montre. J'ai quinze minutes pour ranger tout le bordel que j'ai mis et aller chercher une couverture, je suis large. J'en profite pour m'isoler à l'entrée, la clope au bec et en revenant, je fais un rapide crochet dans ma chambre pour arracher ma couverture à mon lit et l'emporter avec moi. Je n'ai qu'à récupérer la tasse, après un peu plus de quinze minutes, et à retourner dans le salon. Elin est toujours là, allongée. Je dépose prudemment la tasse sur la table, ouvre la couverture pour la mettre sur elle et, enfin, lui tend la tasse. Rien de plus efficace contre la fièvre que de transpirer tout ça. « T'inquiète pas, c'est pas mauvais » j'indique avec un sourire, en désignant la tisane du menton. Peut-être parce que je suis habitué aux goûts divers et variés de toutes les infusions possibles.

Tandis qu'elle attrape la tasse, je me redresse et la contourne doucement pour me laisser tomber sur le canapé à mon tour. C'est souvent moi qui m'occupe des gens malades, ayant moi-même un système immunitaire en béton armé. Je suis toujours le dernier sur pieds, celui qui doit prendre soin des autres. J'ai, disons, l'habitude, j'ai acquis des gestes machinaux, des connaissances toujours utiles. Je suis un peu l'infirmier bas de gamme et au rabais de mon entourage. Ça ne me dérange pas outre mesure. J'ai toujours eu tendance à protéger et à prendre soin des gens qui comptent pour moi. Tout naturellement, mon attitude se calque à Elin, parce qu'elle est ma partenaire et que j'ai des devoirs envers elle. Du moins, c'est comme ça que je le vois. « Aux fleurs de sureau. » j'indique. « Ça va te faire transpirer et évacuer la fièvre. » Mais mes paroles sont couvertes par son rire qui m'étonne un peu. OK, c'est la fièvre. Elle se met à délirer. Va falloir passer aux vrais médocs. Et voilà qu'elle se compare à un chameau. Un sourire relève les commissures de mes lèvres, presque attendri. Je détourne la tête dans sa direction, lorsqu'elle reprend, plus hésitante et là, par contre, je lève les yeux au ciel. « Tais-toi un peu » je souris gentiment, en agitant vaguement la main comme pour écarter ses paroles absurdes. Je ne bouge pas de là, moi. Sauf si elle veut retourner dans la chambre orientale pour terminer sa nuit dans un vrai lit, auquel cas je me verrai dans l'obligation morale de la suivre. Bon, si elle me dit très clairement qu'elle ne me veut pas dans ses pattes, je ne vais pas m'imposer et violer son espace vital non plus. Même si ça me ferait presque mal au cœur de la laisser toute seule, à moitié mourante, enveloppée dans sa couverture. « Bon, t'as sommeil ? Ou tu veux regarder un film ? » je lui propose finalement. Ou n'importe quoi d'autre, bien sûr, c'est simplement histoire de se distraire le temps qu'elle termine son infusion et qu'elle retombe endormie. Ça prendra peut-être cinq minutes ou une heure, selon si elle est rapide ou fatiguée, alors autant prendre ses aises, pas vrai ?