Otello

(et Janka)

MARDI 02 OCTOBRE ; 11H23
ÉCOLE MUNICIPALE DES FILLES - CHAMBRE

J’ai mal aux yeux rien qu’à les observer, ces vêtements “offerts” par la Production. Un ordre tacite sous forme de présent, de geste attentionné. On se doit de porter les vêtements des sponsors de l’émission, afin que des gamins se ruent, dès le lendemain, pour s’offrir les mêmes. Sauf que ce qu’on m’a attribué est suffisamment coloré pour que j’y vois un message implicite. Stop au noir, au gris, et toutes autres couleurs de deuil, plombant l’humeur du téléspectateur à chaque fois qu’il pose le regard sur la tâche sombre que je suis. Dois-je réellement faire cet effort ? C’est la question que je me pose, lorsque une voix se fait entendre dans mon dos, commentant la tenue que je tiens en main. Je me retourne et l’avise tandis qu’il me précise qu’il aime, mais n’adore pas. Très bien, Gemini Criquet qu’est-ce que tu fais là ? Je regarde par-dessus lui, voir si quelqu’un l’attend quelque part, parce qu’il ne me semble pas l’avoir jamais vu ici, enfin pas dans cette chambre. Je n’ai pas la prétention de connaître tout le monde, mais tout de même, à force de les croiser chaque matin et chaque soir, je suis à peu près certain qu’il ne fait pas partie de cette masse. Je ne sais s’il s’agit de l’expression perplexe que j’affiche, ou autre, mais il change brusquement d’attitude, s’excuse, et me demande de ne pas faire attention à lui. « Ca va être difficile. » je l’informe encore un peu perdu face à cette étrange présence. « Tu fais ça souvent ? » je lui demande finalement, continuant de scruter les lieux dans l’espoir de quelqu’un pouvant me certifier que je ne suis pas le seul à pouvoir voir ce petit être. « Je veux dire apparaître ainsi, spontanément, pour aider les autres dans leurs choix vestimentaires, ou bien... » Ismaaaaaay ! Où est-elle ? J’aimerais qu’elle soit là, qu’elle me dise si ce type est réel ou non. « N’est-ce qu’avec moi ? » j’achève ma question, pas vraiment rassuré quant à ma santé mentale.

« Si tu veux tout savoir, je ne suis pas un être imaginaire et, non, ton esprit ne te joue pas de tours. » me répond l’homme à la drôle de dégaine. Il l’affirme, mais je doute encore, et je l’observe, presque déçu, en inclinant la tête sur le côté. Il le dit, mais qu’est-ce qui me prouve qu’il dit vrai ? Tant que personne n’entrera dans cette pièce pour me certifier que je ne suis pas le seul à voir cette personne, alors il demeurera un léger doute. « Et ici, c'est la première fois que je fais ça. » Je ne suis plus. Il me parle, j’en ai conscience, mais je n’écoute pas vraiment, trop accaparé par la question qui tourne en boucle dans mon crâne. Si mon esprit avait du créer de toute pièce un être imaginaire, aurait-il eu les traits charmants du brun qui me fait face ? J’aurais plutôt pensé qu’il en aurait résulté une forme spectrale cauchemardesques, entourée de volutes de fumées noires projetant son ombre sinistre sur moi. Ce type est beaucoup trop sympathique pour être le fruit de mon imagination. C’est un fait, et malgré la déception ressentie, je dois me faire à l’idée. Dommage. « Ah et la mode et moi, ça fait deux. Donc je pense que si je n'aime pas plus que ça cette tenue, c'est qu'elle doit être super tendance. » m’informe-t-il alors, récupérant mon attention, tandis que je repose la tenue et son cintre dans ma penderie. « Moi non plus, je ne suis pas très au fait des dernières tendances, mais à en croire les présents de la Production, celles-ci doivent être colorées. » et j’ai horreur de la couleur. Du moins, au niveau des vêtements. Une habitude qui tarde à se déloger, tandis que tout le reste, ou presque, de mes stigmates se sont déjà, en partie, effacé. « Tu sais, je suis presque déçu que tu sois réel. » je lui avoue en tirant une tenue sombre de ma penderie. « J’aurais aimé que tu sois une création de mon esprit, ça aurait été la preuve qu’il est encore capable de créer quelque chose de sympa. » ce qu’il n’a plus prouvé depuis bien longtemps.

Je connais ses habitudes. Je sais qu'à cette heure là il devrait être entrain de faire les boutiques et de choisir sa nouvelle tenue ultra parfaite. Non en faite j'ai aucune idée de ses habitudes, je viens juste de penser que je dois reprendre le boulot. Et mon boulot aussi ingrat soit-il c'est de la suivre comme son ombre. Je ne lance jamais quelque chose au hasard, enfin... rarement. Alors j'espère qu'il est dans son dressing entrain de pleurer parce qu'il manque un bouton à sa chemise. A bien y penser je crois qu'il ne pleurerait pas, il se contenterais de soupirer dignement et de la laisser choir comme si elle était tout simplement défectueuse et donc pas digne de sa superbe perfection. Ne se trouve-t-il pas ennuyeux de temps en temps ? Toutes ces questions occupent mon esprit alors que je me faufile chez les filles. Je suis plus que discrète, je fais aucun bruit si bien qu'on pourrait imaginer que je vole à deux centimètres au dessus du sol. J'entre dans la chambre et arrive jusqu'à la partie du dressing. Il est là entrain de parler au comptable. Ça parle chiffon et amis imaginaire. Ça me fait sourire. Toujours aussi discrète j'arrive entre eux comme un fantôme apparaîtrait d'un seul coup. Je regarde même pas le comptable. « Tu parles à qui ? » Je demande à l'italien sans un rire, sans un sourire, plus sérieuse tu meurs. Je lui prends la chemise noir des mains, c'est trop noir et je la remet dans son dressing. Je sors à la place une chemise dans les tons bleus marines en moins foncé, en plus pâle, ça va un peu rehausser le tout. Je lui la met entre les mains. « J'avais un ami imaginaire quand j'étais gosse, mais c'est passé avec le temps pas toi ? » Je le regarde impassible avant de zieuter sa chevelure. « Tu vas rester coiffé comme ça ? » dit-elle la sauvage pas peignéhabillé approximativement. Je souris faussement, délibérément faussement. Le comptable ? J'en fais quoi ? Et bien il existera pour moi quand la petite blague sera terminée non ? Parce qu'au final je rentre dans le jeu du farfadet, j'ai presque envie de souffler la réponse à l'italien.

- l'ombre s'incruste.

« Tu me trouves sympa ? » Sa question me prend par surprise. Sympa, j’en sais rien, autant que puisse l’être un type que je connais depuis trente secondes. Il n’a pas l’air d’être l’inverse, en tout cas. Il ne m’a pas agressé, il ne m’a pas hurlé dessus, il ne m’a pas traité de salope, il n’a pas entreprit de me suivre comme mon ombre. A l’image de ce que l’on peut trouver de pire dans ce nid, oui, il me semble sympa. Même si ce n’était pas là le sens que je voulais donner à mon propos. « Disons que tu n’es pas disproportionné, sinistre, menaçant, et entouré de ténèbres, ce qui, à mon sens, représente une vision plutôt sympa de la part de mon esprit. » Si mon cerveau avait du m’envoyer une de ses créations, j’imagine que ça aurait été sous les traits du subtil mélange entre un suceur d’âme et la fillette de The Ring, par exemple. « En fait je t'ai menti. Je suis bel et bien un être imaginaire que toi seul peux percevoir en ce lieu. Et maintenant, c'est à toi de déceler si, a) je suis un farfadet, b) je suis la réincarnation de Shiva, c) je suis un playmobil. » m’annonce-t-il, alors, me tirant un sourire involontaire. Je suis sur le point d’opter pour le playmobil, lorsque mon ombre fait connaître sa présence. Ce qui est un comble, pour une ombre, tout de même. « Tu parles à qui ? » me demande-t-elle en passant devant le playmobil du farfadet de Shiva, sans daigner le voir. « A mon playmobil imaginaire, il cherche Barbitch, tu l’as pas vu ? » je lui réponds, sans l’ombre d’un sourire. Elle ne m’offre même pas un regard, et au lieu de me répondre, me déleste de ma chemise noire pour la remplacer par une bleue marine, que j’enfile machinalement par-dessus mon tee-shirt gris. « J'avais un ami imaginaire quand j'étais gosse, mais c'est passé avec le temps pas toi ? » Je l’écoute à peine. « Tu vas rester coiffé comme ça ? » je ne suis pas coiffé. Je ne me coiffe jamais. « Dis-moi, en tant que farfadet, tu dois pouvoir exaucer trois voeux, non ? » Je demande à mon playmobil. À moins que je ne confonde avec le génie de la lampe. « Contre un verre de lait et un biscuit au miel, tu peux t’arranger pour la transformer en... » je jette un coup d’oeil à Janka, la détaillant de pied en cap, avant de reporter mon attention sur lui. « ... Gisele Bundchen ? » Tant qu’à faire...

Oui, je le vois. Non je le regarde pas. Parce que, il ne m'intéresse pas et parce qu'il est moins agréable à regarder que l'italien. Et j'imagine qu'il doit avoir l'habitude qu'on regarde l'autre que lui dans ce genre de situation. En plus le truc cool c'est que je peux jouer le jeu du truc imaginaire. Alors il va pas s'en formaliser c'est certain.  « A mon playmobil imaginaire, il cherche Barbitch, tu l’as pas vu ? » Je suis distraite, je cherche une meilleure chemise. Alors au final je lui réponds pas et Barbitch j'ai pas réellement envie de la voir en faite, donc non elle existe pas dans mon monde. Alors ça sert à rien de lui répondre. Je lui passe donc une autre chemise et je suis satisfaite de voir qu'il l'enfile sans même rechigner. J'aurais peut être du oser la chemise à carreaux rouges ? La n'est pas la question on est toujours dans le truc de l'ami imaginaire non ? Alors je continue lui avouant en avoir eu un pendant des années mais c'est passé. Cette information est peut être vraie qui sait ? Mais je crois qu'il a déjà bien assez prêté attention à moi alors il m'ignore et ça me fait sourire. Il parle à son ami imaginaire, un peu d'intimité je me recule légèrement mais reste assez proche pour pouvoir être qualifiée d'ombre. « Dis-moi, en tant que farfadet, tu dois pouvoir exaucer trois voeux, non ? » Je regarde toujours l'italien, l'autre il existe pas encore. Bon on avance un petit peu c'est longuet. « C'est exact. » Oh mon dieu j'entends quelque chose. Oh mon dieu je le vois à mon tour. Je dois dire que ce n'est pas forcément rassurant, il parait que je suis … folle. « Bonjour quand même. » Je souris niaisement au nain comptable. « Salutation. » je lui dis ponctué d'une semi révérence.  Contre un verre de lait et un biscuit au miel, tu peux t’arranger pour la transformer en... » Oh oui quelle moment excitant, on veut me transformer en je ne sais quoi. Bizarre que mon corps ne montre aucun signe d'excitation vous ne trouvez pas ? C'est un moment historique qu'on va connaître, on va me transformer en ??« ... Gisele Bundchen ? » D'accord, là je pourrais presque être vexée. Mais je m'en fiche, le génie en bon génie pause une question inutile. Il est claire que vous sa demande je ne lui plaît pas. Et alors ? C'est pas moi qui va m'en formaliser.  « Et puis je réalise des souhaits, certes, mais je ne fais pas de miracles non plus ! » Je ricane, c'est pas un goujat le comptable non ? Il a pas du mesurer la porté de sa phrase. « Vous savez parler au femme vous. » Je rétorque amusée. Ok je suis une planche à pain, c'est indéniable. Mais j'ai quand même quelques formes. « Tu me trouves pas sexy ? » Je lui demande à l'italien ok aujourd'hui je suis pas réellement habillé pour me la jouer sexy mais non ? Même pas un peu. Pourquoi j'ai pas l'air intéressé réellement pas sa réponse ? J'ai du mal à faire semblant que ça me touche en faite. « Et toi le génie ?» Bon autant demander au deux hein. Parce que je sens qu'il va devenir tout rouge si je l’ignore encore, je préfère garder ça pour plu tard.

Je n’ai pas pour habitude de me moquer d’autrui. Soit la personne m’intéresse, soit la personne m’indiffère, dans un cas comme dans l’autre, la moquerie n’est pas au programme, l’un étant respecté, l’autre ignoré. De même, lorsqu’il s’agit du cercle très fermé et intimiste des némésis, je ne me moque pas, je détruis. Purement. Simplement. Mais en cet instant précis je me trouve face à quelqu’un qui ne m’indiffère pas sans pour autant pouvoir être qualifiée de personne intéressante. C’est juste une chieuse de type A à tendance casseuse de couilles. Alors, forcément, je m’autorise une moquerie, aidé en cela par mon acolyte le farfadet, lui-même faisant partie de la première caste : personne intéressante. En tant que farfadet, il me doit trois souhaits. Enfin, c’est ce que nous venons de décider puisque, de mémoire, les farfadets n’ont jamais détenus telle sorte de pouvoir, mais mon ami playmobil semble enclin à aller dans mon sens dès qu’il est question de rappeler à Janka quelques règles de savoir-vivre. D’ailleurs, tandis que je réfléchis à mon premier vœu, il lui signifie qu’un ‘bonjour’ est la moindre des choses, et madame se fend d’une révérence pas trop moche. « Je suis en plein dressage, comme tu peux le voir, elle ne maîtrise pas encore tout, mais ça viendra. » J’annonce au farfadet, avant de gratouiller sous le menton de Janka comme on ferait avec un chat. « C’est bien, bonne fifille. » malgré l’emploi de terme plutôt affectueux et familier, mon ton est neutre, tout comme le regard que je lui lance à elle. Et bientôt, je reporte mon attention sur l’être intéressant en lui demandant s’il peut me la transformer en Gisele Bundchen. « Et alors quoi, quelque chose vous déplaît chez madame, maître ? » Me demande-t-il. « Tu veux dire, hormis son caractère ? » je rétorque sans un regard pour l’intéressée. « Et puis je réalise des souhaits, certes, mais je ne fais pas de miracles non plus ! » A mon tour je l’observe, et certes, c’est peut être pas dans les capacités du premier farfadet venu. « Vous savez parler aux femmes vous. » S’insurge la brunette qui, bizarrement, aujourd’hui, se considère en tant que membre de la gente féminine, ce qui me fait sourire. Oui, je sais parler aux femmes, mais encore faut-il que les femmes se sentent femmes. Ce qui ne semble pas être le cas ici. « Tu me trouves pas sexy ? » Si encore elle avait l’air réellement vexée, ou en attente d’une réponse, mais non, elle semble n’en avoir que faire, comme d’habitude, elle est en représentation. « C’est en partie sa vulnérabilité contenue qui rend une femme sexy. Ça ne fait pas tout, c’est sur, mais ça y contribue. Tandis que la rage latente, la violence imminente… non, désolé, ça ne me donne vraiment pas envie de te déshabiller. » Je lui réponds, malgré tout, en jetant un coup d’œil à ses jambes. « Et encore faudrait-il que tu le sois, habillée… » ce qui n’est jamais le cas. Je me détourne, et tire un fauteuil jusqu’à moi, invitant d’un geste de main mon ami farfadet à réquisitionner le deuxième fauteuil vide qui fait face à celui dans lequel je m’installe. « Et toi ? J’aimerais bien avoir ton avis sur la question. Qu’est-ce qui, selon toi, rend une femme sexy ? » Après tout, tant qu’on est là…