ft. arès.

Ennui : lassitude morale, impression de vide engendrant la mélancolie, produites par le désœuvrement, le manque d'intérêt, la monotonie. Et encore, le mot est faible… En même temps, comment ne pas se faire tout bonnement chier à en crever lorsque l’on passe ses longues, longues journées seul à crapahuter dans un manoir en ruine avec pour seules amies les quelques termites encore vivantes ? J’explore, lis, fais des pompes, reste des heures durant dans des bains à l’eau trop froide pour être complètement détendu : en somme, j’essaye de faire passer le temps du mieux que je le peux, guérissant vitesse grand V de mon virus automnal. Comme toujours nostalgique, je pense à ma famille, aux plages des Calanques, m’imagine me dorer la pilule malgré le temps bien maussade. Cependant, bien décidé à reprendre du poil de la bête, je quitte enfin mon canapé, me jetant presque sur l’antique tourne disques qui me fait de l’œil depuis mon arrivée dans cette humble demeure. Me lançant dans une épopée bien hardie, je mets finalement la main sur un vieux vinyle poussiéreux griffé Booker T. & The MG’s, l’enfournant bien vite dans l’appareil toujours fonctionnel. Une note, deux notes, je me sens presque revivre. Remuant les hanches à la manière du King, je me rapproche de la grande psyché brisée, y façonne ma coupe du bout des doigts : une pâle copie blonde d’Elvis le Grand, mais qu’importe. Littéralement entraîné par la musique, je danse à bâtons rompus, virevolte presque : les caméras doivent s’en donner à cœur joie, et très honnêtement, je m’en tape totalement.

C'est comme une évidence. Mes pas me guident jusqu'au manoir abandonné presque instantanément. Je me dois d'y faire un tour, contempler mon oeuvre. Je n'ai jamais eu l'occasion de parler plus que de raison à Louis et pourtant, je l'ai envoyé là bas, comme un malpropre. Bien que cette situation me fasse doucement rire, au fond. J'ai enfiler un pantalon en toile, une chemise et un gros pull. Et je me suis permis d'aller fouiller dans ses affaires afin de lui en ramener un peu. J'essaie d'imaginer ce que pourrait être sa vie dans cette demeure. A sa place, je deviendrais certainement fou. Sans aucun doute même. Quoiqu'il n'est pas en reste. Je suis sur le pas de la porte et je l'observe, un grand sourire moqueur accroché au lèvres. Il danse, se déchaîne et moi, je pouffe. J'attends néanmoins, je ne parle pas et surtout, je ne fais pas de bruit. Jusqu'à ce que les notes se terminent. Que le silence revienne au manoir. Que seule la bise soit notre musique de fond. « Sympa le déhanché. » je clame à son égard d'un ton tinté d'humour. J'essaie de l'imiter et puis, tout en bougeant du bassin, je me dépasse à travers le manoir afin de regarder de plus près son antre pour la semaine. « Sympa le palace.. » je recommence. Je joue les malins, je le provoque mais en réalité je n'en mène pas large. Bien que cette situation m'amuse, je me sens coupable, quand même. « Je t'ai apporté des fringues. Si tu restes une semaine dans le même calbute.. » je laisse ma phrase en suspend, je n'ai pas d'autre connerie à sortir, je suis un peu ridicule. J'essaie de faire le pitre pour cacher ce petit malaise qui m'anime.

Au titre que mes capacités d’acteur, je sais d’ores et déjà qu’une carrière de danseur me sera inaccessible : valseur à la rigueur, car ce sont bien les seuls bas que je suis capable d’enchaîner sans m’emmêler les pieds. La pêche me colle plus au teint, dira-t-on, mais en l’absence d’un quelconque étang ou même flaque à proximité de ce superbe manoir tout en raffinement, je me vois contraint de me distraire avec ce qui me tombe sous la main. Je continue à remuer, les yeux fermés, les lèvres pincées, jusqu’à ce que la musique ne daigne s’arrêter et que mes pieds ne me ramènent vers le miroir, miroir dans lequel je me fixe un instant. Jolies cernes, du grand art. Baignée par le silence, la pièce s’anime soudainement, sans que je ne m’y attende, une voix grave venant rompre le calme ambiant. Grandement surpris par la présence et la remarque, je me retourne vers mon nouvel interlocuteur, écarquillant les yeux en le toisant une seconde. Le Grand Méchant Loup, celui à cause de qui je me retrouve enfermé ici, vient qui plus est d’assister à ma représentation façon Fred Astaire dévergondé. Doux Jésus. « Tu n’as rien vu, rien du tout, tout ça n’est qu’une vilaine projection de ton subconscient », lui dis-je en agitant mes mains tel un hypnotiseur, espérant peut-être que la technique allait fonctionner. Sait-t-on jamais, je n’ai pas grand-chose à perdre. Arès semble découvrir les lieux, se permet même une réflexion sur le cachet de cette humble bâtisse. Une main dans les cheveux, j’entre dans son jeu. « Oh, ouais, j’troue aussi. Tout a été refait à neuf comme tu peux l’constater. » Prévenant à l’égard de mon camarade, je nous sors deux verres en cristal que je pose sur le premier meuble, tirant au passage une bouteille de Clan Campbell. « Tu veux boire un coup ? J’ai qu’ça en revanche, on n’m’a pas encore emmené d’eau potable. » Une boisson d’homme, cher collègue ; je ne lui laisse même pas le temps de me donner son avis, laissant couler de deux doigts d’alcool dans ce que j’ai décidé être son verre. « Merci, j’commençais justement à désespérer. Fantine m’a d’jà amené des fringues, mais j’crois qu’elle a oublié qu’une personne normalement constituée change de sous-vêtements tous les jours. Limite si j’étais pas obligé d’me balader cul nu. Donc ouais, merci. », j’ironise, riant de ma propre réplique. Ce sont les toiles d’araignées qui te mettent mal à l’aise, grand Arès ?

« Tu n’as rien vu, rien du tout, tout ça n’est qu’une vilaine projection de ton subconscient » Motus et bouche cousu, que je mime en une fermeture éclaire le long de ma bouche. Bien que ces quelques pas de danse m'est amusés. J'ose pas bouger, j'ose pas parler. Je crois qu'au fond, j'appréhende qu'il puisse m'en vouloir d'être coincé là jusqu'à dimanche. Je fais le malin sur son blog, je joue les gros durs et puis au fond, j'aimerais bien m'excuser. « Oh, ouais, j’troue aussi. Tout a été refait à neuf comme tu peux l’constater. » Il a l'air de le prendre à la légère, à la rigolade et ça me soulage au fond. Je pouffe avec lui et puis j'observe les lieux d'une mine concentrée et grave. Quel bon acteur je fais. J'adopte une voix de bourgeois. « Il doit bien valoir dans les un millions. » j'ajoute avec un accent anglais un peu trop prononcé. Une carrière d'acteur ne s'offrira jamais à moi, c'est sûr et certain. Je lèves les yeux au ciel. De toute façon, rien n'est fait pour moi, je crois. Mais ça, c'est une autre histoire. « Tu veux boire un coup ? J’ai qu’ça en revanche, on n’m’a pas encore emmené d’eau potable. » J'ai juste le temps de hocher la tête. Quoique je dise, quoique je fasse, Louis m'aurais servis un verre, de toute façon. Alors, je l'accepte volontiers. Il fait froid ici, rien de mieux pour se réchauffer, après tout. « Merci, j’commençais justement à désespérer. Fantine m’a d’jà amené des fringues, mais j’crois qu’elle a oublié qu’une personne normalement constituée change de sous-vêtements tous les jours. Limite si j’étais pas obligé d’me balader cul nu. Donc ouais, merci. » Je dépose le sac dans un coin et je souris de plus belle. « Tu la suspectes de ne pas changer de string tous les jours ? » je m'enquière avec la plus douce des naïveté, laissant une autre gorgée glisser dans ma trachée. « D'ailleurs, même si ça n'a rien à voir avec les strings de Fantine, j'espère que tu ne m'en veux pas d'avoir fait du manoir ta résidence primaire pour cette semaine.. » je dis de but en blanc, sans reprendre mon souffle, comme pour me débarrasser d'un fardeau.