Raphaël, au confessionnal !

Branca, quel secret penses-tu avoir découvert ?

Raphaël ne savait pas quoi faire. On venait de lui faire comprendre qu'il était attendu au confessionnal, semble-t-il parce que l'un de ses camarades l'y avait buzzé, mais il se trouve qu'il ne s'était jamais préparé psychologiquement à la moindre confrontation. Naïvement, il s'était dit qu'il ne durerait pas plus d'une semaine au sein de l'aventure - deux, grand maximum - et ainsi qu'il était bien inutile de s'inquiéter pour son secret. Erreur. Car ce soir, quelqu'un l'avait buzzé. Il ignorait qui. Il ignorait sur quoi. Mais c'était un fait, il lui valait mieux se ramener au confessionnal le plus rapidement possible, histoire d'être fixé. Il gagna ainsi ladite pièce, ne tardant pas à y découvrir Branca. C'était donc elle qui l'avait buzzé. Bien, bien. Elle lui adressa un sourire, auquel il répondit autant que possible, puis prit la parole. Elle pensait donc qu'il souffrait du Syndrome d'Asperger. Il en avait entendu parler. Vaguement, mais tout de même. « Qu'est-ce qui t'a fait penser à cela ? » demanda-t-il alors, assez timidement. C'était probablement la question qu'il était censé poser, hm. Honnêtement, il n'en était même pas sûr. Et s'il tremblait, c'était normal. Tout cela l'embarrassait terriblement.

Il allait tâcher de survivre. Au stress que cette confrontation avait tendance à créer en lui, oui, il allait tâcher de survivre. Parce que cela faisait partie du jeu, au fond, d'être buzzé. Et peut être son comportement un peu particulier incitait-il certaines personnes à se questionner à son sujet. Branca s'intéressait-elle vraiment à son cas ? Il n'en était pas certain. Sa camarade avait tout récemment remporté un buzz gratuit, alors peut être n'avait-il été qu'une cible à tout hasard, son choix du moment. Allez savoir. Quoi qu'il en soit, et maintenant qu'il se trouvait face à elle, Raphaël put prendre connaissance de l'idée de sa camarade. Une idée qui se tenait, évidemment. Mais qu'est-ce qui avait bien pu la mener à cela ? Son comportement ? Sans nul doute. Et elle ne tarda pas à le lui confirmer. « Je sais bien. » Oui, il savait bien que cela n'avait pas pour but de le blesser, de le contrarier. D'où le sourire qu'il adressa à la jeune femme. « Oui, j'ai conscience de n'être pas doté d'un tempérament très commun, d'autant plus chez la part masculine de la population. J'ai ... j'ai toujours été quelqu'un de renfermé, de timide, de sensible. Ça aurait pu s'arranger avec l'âge. Mais ça a empiré. » Et aujourd'hui, c'en était arrivé à un stade plutôt critique. D'où son désir de changer. « Je ne me sens pas à ma place. Je veux dire ... rien ne me convient. Cette époque, ce Monde en général ... je ne m'y sens pas à ma place. Et c'est très dur de vivre de cette manière. Je me sens rejeté. » Partout, tout le temps et par tout le monde. Rejeté, oui. Il avait l'impression de n'être jamais parvenu à s'intégrer. Nul part.

Un jour peut être, Raphaël parviendrait à vivre plus aisément, sans se sentir perpétuellement embarrassé, sans avoir l'air triste en permanence, sans nourrir sans cesse une profonde paranoïa. Oui, peut être un jour tout cela s'arrangerait-il. Mais en attendant, il lui restait beaucoup de chemin à faire pour espérer apercevoir le bout du tunnel qu'il traversait depuis des années. Sa guérison n'arriverait pas à lui par la volonté du Saint-Esprit. Il lui faudrait continuer de faire des efforts. Mais en ce moment, il n'avait plus tellement l'impression de progresser. Il se sentait stagner, avait l'impression de ne plus pouvoir avancer. C'était dramatique, parce qu'il était là pour ça justement : pour avancer. « Je ne suis pas sûr de savoir, à vrai dire. Je ne suis même pas certain qu'un quelconque monde aurait pu me convenir, en fait. C'est moi, je ... je suis le problème. Je ne parviens pas à m'intégrer, et ça n'est pas au Monde de changer, c'est à moi ... » Allez demander à sept milliards de personnes de changer du tout au tout pour les beaux yeux de Raphaël. Ce serait assurément un grand moment de rigolade, hein. « Pourquoi je me sens rejeté ? Si seulement je le savais. C'est un sentiment que je ressens depuis bien longtemps. Le sentiment d'être de trop, de n'être pas fait pour vivre au sein de cette société, au milieu de ces gens qui me sont si différents ... » Ainsi donc, il se sentait rejeté. Et ça durait depuis suffisamment longtemps pour que cette sensation de rejet lui gâche complètement la vie. « Oui, je m'en doute. Tu n'as aucune raison de ne pas le faire. » Puisqu'elle n'engageait rien, elle n'avait logiquement rien à perdre.

Raphaël se sentait profondément rejeté, oui. Aussi loin qu'il était capable de s'en rappeler, cela était même le cas depuis de nombreuses années. Depuis le début de son adolescence, surtout. Il va de soi qu'il avait toujours eu des prédispositions au sentiment de solitude, au sentiment de rejet, mais les choses s'étaient véritablement déclarées à cette époque de sa vie. Et aujourd'hui, ça n'était pas franchement glorieux. Il ne se sentait à sa place quasiment nul part, en venait à penser qu'il ferait tout aussi bien de disparaitre, et que personne ne remarquerait de toute façon son absence, puisqu'il faisait office d'être inutile et indésirable depuis de nombreuses années. « Je ... je ne sais pas » répondit-il timidement, suite aux paroles de sa camarade. Aurait-il préféré être comme tout le monde ? Peut être, oui. Disons qu'il en aurait probablement bien moins souffert. « Mais je n'aime pas ce que je suis. » Bon ça, ça paraissait assez évident. Mais c'était l'une des premières fois qu'il osait le formuler aussi clairement. Il ne s'aimait pas tel qu'il était, non. Et c'était bel et bien pour cela qu'il était entré ici. « Je sais bien que la vie est courte. Je me le répète sans arrêt, comme si ça allait m'aider à trouver la volonté nécessaire pour avancer, mais ... » Encore et toujours un "mais", oui. « ... la plupart du temps, j'en viens à me réjouir qu'elle soit courte, justement. » C'était un tantinet honteux, ridicule, pathétique, mais c'était vrai.