Un générique. Une musique lointaine. Il avait l'impression d'halluciner. Pourtant, tout ce qui l'entourait, tout ce qui l'environnait, était bien réel. Il était assis face à cet écran où venait assurément d'être projeté un film, et il ignorait jusqu'au titre de celui-ci, tout simplement parce qu'il n'avait pas pris la peine de le regarder. C'était bien la première fois qu'il agissait de la sorte, qu'il osait ne pas s'intéresser à une projection cinématographique. Généralement, cela le divertissait. Mieux encore, cela l'apaisait. Il trouvait en certains films une grande dose de réconfort, oui. Et Dieu sait qu'il en avait besoin. Mais ce soir, il avait été particulièrement distrait. Allez savoir pourquoi il se trouvait là, l'air à la fois perdu et dépité, en larmes, en ayant la sensation de mourir à petit feu, en se sentant si faible qu'il croyait sérieusement pouvoir perdre la vie brusquement. Il y avait cette bouteille tout près de lui. Que faisait-elle là ? Pourquoi était-elle presque vide ? Pourquoi avait-il tendance à faire une horrible association, s'imaginant tout à coup bourré à cause de l'alcool qui avait du se trouver au sein de cette bouteille et qui, désormais, était susceptible de se trouver dans son organisme ? Il en pleura davantage. Il s'en souvenait maintenant légèrement. D'être entré dans la cave à vins, d'y avoir débouché en bouteille, d'en avoir bu un verre, deux verres, trois verres, avant d'avoir laissé tomber les verres pour boire directement à ladite bouteille. Il avait trop bu. Beaucoup trop bu. Il avait du boire sur le chemin du Cinéma, probablement initialement dans l'optique d'y regarder un film. Mais saoul, il s'y était endormi. Et maintenant qu'il était éveillé, il avait la tête qui tournait, le teint en feu, lui qui n'avait jamais connu de cuite, lui qui n'avait jamais bu d'alcool auparavant. Voilà pourquoi il pleurait. Parce qu'il était sous l'emprise d'une chose qu'il avait passé sa vie à fuir. Une chose qui avait rendu sa mère folle. Une chose qui avait tué sa mère. Une chose qui l'avait séparé d'elle. Il avait cédé à une tentation défendue, à un mal, à un pêcher. Faire l'amour, il en supportait l'idée. Mais boire comme un trou, pour noyer ses peurs, son désespoir ... non, ça n'allait pas du tout. Surtout pas quand quelqu'un entrait dans la salle de projection pour assister à un tel spectacle. Raphaël voulut s'enfuir, laisser cette bouteille derrière lui, laisser cette soirée derrière lui. Mais il n'en avait même pas la force. Alors il resta là, effondré sur ce fauteuil, le regard posé sur Dani, qui venait donc d'entrer. « Je n'aurais pas du ... je ... je n'aurais pas du faire ça ... » Comprenez par là qu'il n'aurait pas pu boire comme il l'avait fait. Boire autant. Boire aussi vite. Boire, tout court. « Je me sens si mal ... » Et cela, aussi bien psychologiquement que d'un point de vue médical, cela va de soi.

Mais quel débris. Quel déchet. Quelle merde. Franchement, Raphaël ne ressemblait pas à grand chose, là tout de suite. A croire que le simple fait d'avoir bu un peu (trop) d'alcool avait fait de lui une véritable épave humaine, un truc à mi chemin entre une bouse de vache et un alcoolique qui ne s'assume pas. Sauf que justement, et c'était peut être le seul point positif de toute cette histoire, Raphaël n'avait rien d'un alcoolique. Pour dire vrai, il n'avait jamais gouté la moindre goûte d'alcool avec aujourd'hui. Cela ne l'avait jamais tenté, non. Le vin, il s'en était très bien passé jusqu'ici. De même pour le champagne, vu qu'il n'arrosait jamais rien - sa vie n'étant pas tellement un enchainement de fêtes en tous genres, dirons nous - et que même si cela avait été le cas, il était fort probable qu'il se soit plutôt saoulé au Champomy. Non vraiment, cela ne ressemblait pas au suisse de boire autant, mais plus encore, de boire tout court. Pourtant, cette bouteille vide semblait prouver qu'il n'avait pas fait qu'admirer les bouteilles lorsqu'il s'était rendu dans la cave à vin. Il n'y avait qu'à voir dans quel état il se trouvait, combien sa tête lui faisait mal, combien son corps était devenu incontrôlable, tantôt tremblottant, tantôt tout mou. Et puis il ressentait des haut-le-cœur perpétuels, des nausées, des vertiges. Autant dire qu'il avait déjà eu plus la patate que ce soir, hm. Et le pire dans tout ça, c'était assurément que Dani soit là pour assister à ce spectacle des plus navrants. Il ne manquerait plus que Raphaël s'imagine faire l'amour avec le siège, et là, il serait grillé à vie. Heureusement que son instinct de survie lui garantissait encore un minimum de dignité. Et puis bon, ça n'était pas ce que l'on pouvait appeler un état de pure folie, puisqu'à priori, Raphaël n'était pas sur le point d'improviser un strip-tease, le rire à la bouche, en chantant à tue-tête du Jean-Luc Lahaye. Non, clairement pas. Il était plutôt dans un bad trip monumental, sur fond de musique dramatique. Parce que, clairement, il avait l'alcool triste. Vous devez vous dire que ça n'était déjà pas bien joyeux quand il était sobre ... et bien oui, il était un peu du genre pompant comme mec. Heureusement qu'il le savait, hein. Bon par contre, aussi gentil soit probablement Dani, son intervention n'aida pas tellement Raphaël à se sentir mieux. Il semblerait qu'il ait tenté un brin d'humour, mais il était évident que dans l'état du suisse, ça ne transparaissait pas tant que ça, hm. Raphaël ne trouva même pas la force de répondre, se contentant de couiner et de renifler. La suite ne fut guère mieux. Mais bon, il parvint à lâcher un petit rictus. Mieux que rien, disons. Son camarade prit place non loin de lui, et Raphaël peina à se redresser. S'il pouvait avoir l'air d'autre chose que d'un mec sur le point de décéder, ce serait pas mal quand même. « C'est ... c'est la première fois que ... » Il soupira. La première fois qu'il buvait, la première fois qu'il vivait une cuite. C'était la semaine des premières fois, en fait. « Il faut que je sorte d'ici » annonça-t-il brusquement, se hissant rapidement sur ses deux jambes, avant de s'écrouler sur ce pauvre Dani, en mode grosse merde qui ne tient pas debout. Avec l'alcool, il était quasiment certain qu'il pèse le double de son poids, en plus. Rip Dani.

Tout cela était particulièrement effrayant pour Raphaël. Le suisse se trouvait présentement enfermé dans un corps qu'il ne reconnaissait plus, qu'il ne parvenait plus à contrôler, qui ne semblait plus désireux de lui répondre, tout ça parce qu'il avait eu le malheur de boire de l'alcool pour la première fois de son existence. Il vivait sa première cuite, se retrouvait saoul pour la toute première fois de sa vie, et il ne savait ni comment faire pour gérer cela, ni comment éviter que cela ne dégénère. Il s'imaginait déjà faire un comas éthylique fatal et décéder dans les bras de Dani ... Oh mais attendez, en y réfléchissant bien, il serait fort préférable qu'il meurt ce soir, dans la mesure où il ne se voyait clairement pas affronter, à l'avenir, le regard de celui qui l'aurait vu dans un tel état. Parce que bon, Raphaël n'était pas franchement digne, là tout de suite. Il chialait comme une fillette, se tortillait comme s'il n'avait pas pissé depuis une décennie et perdait connaissance toutes les dix secondes, pour au final retrouver conscience durant un court laps de temps et ne plus rien comprendre à ce qui lui arrivait. Les joies de l'alcool sur un organisme jusqu'ici parfaitement saine et épargné de toutes ces saloperies. Surtout que bon, il avait beau se donner du mal pour expliquer la situation à son camarade ici présent, ça n'était pas franchement glorieux. Car lorsqu'il tâcha d’articuler qu'il avait bu pour la première fois de sa vie, il ne parvint à aligner que quelques mots hésitants et bafouillés, avant d'abandonner sa phrase, estimant qu'il n'arriverait à rien de mieux dans cet état. Pourtant, il avait envie de lui dire des tas de choses, comme qu'il n'était pas comme ça d'habitude, que ça ne lui arrivait jamais, qu'il ne fallait pas que son regard change pour autant sur sa personne. Mais non, il n'arrivait à rien de concluant. Alors tant pis, il préférait encore laisser tomber. Et par là, comprenez qu'il estimait grandement préférable de quitter les lieux pour aller se coucher, histoire de dessaouler dans son lit, et de ne surtout plus embêter ce pauvre Dani, qui devait assurément le prendre pour un grand malade à cet instant précis. Mais tandis qu'il se redressa subitement, un petit problème fut rencontré. Car voyez vous, il avait présentement autant d'équilibre que s'il sortait d'un Grand Huit, alors il ne fallut qu'une demie-seconde au suisse pour trouver le moyen de s'écrouler. Et attention, il fit bien évidemment en sorte - non, bien sûr que non - de se vautrer sur Dani, qui dut avoir une petite frayeur lorsqu'il vit puis sentit son camarade lui tomber dessus. Surtout que Raphaël ne devait pas être bien léger à cet instant précis. Et puis, il venait bêtement de reperdre momentanément connaissance, si bien qu'il ne put même pas se relever. Il resta donc là, vautré sur ce pauvre Dani, inerte, complètement dans les vapes. Sauf que brusquement, il crut entendre son nom en un cri. D'autres paroles suivirent, mais il peinait encore à reprendre pleinement conscience. Par contre, la petite tape qu'il reçut sur la tête l'y aida. Il restait mou, mais il était de nouveau éveillé, quoi que vraiment mou de chez mou, hein. Finalement, il lui sembla qu'on venait de le déposer sur un siège, où il se retrouva de nouveau assis. Il s'éveilla davantage et eut à faire à quelques propos inattendus. Alors comme ça, Dani ne le trouvait pas beau ? Enfin, dans l'instant présent ... Il trouvait ça ... gentil. Bah oui, étant bourré, il ne prenait aucunement cela comme un quelconque reproche. Alors il lui sourit tendrement. Puis soudain, il lui gerba à la tronche, sans avoir pu s'en empêcher. Oh putain, il s'en voulait énormément là. Il lança à son camarade un regard censé vouloir dire "pitié, ne me tue pas" et recommença à sangloter. « Je ... je ne l'ai pas fait exprès » articula-t-il péniblement, avant de baisser la tête. « Ça n'a rien à voir avec ... avec ce que tu viens de dire » reprit-il, prenant maintenant conscience de la réelle signification des propos de Dani. « Je suis vraiment, vraiment, vraiment, vraiment, vraiment, vraiment, vraiment, vraiment, vraiment désolé. » Et il mit environ vingt secondes à le lui faire savoir, hm.

Raphaël se dégoutait. Oui vraiment, il se dégoutait. Il se trouvait odieux, misérable, incroyablement dégoutant. Le pauvre Dani pâtissait de cette situation des plus absurdes, comme s'il en était responsable, alors que la faute ne revenait qu'à Raphaël, qui n'aurait jamais du boire autant d'alcool, ou qui n'aurait d'ailleurs jamais du en boire tout court. Car parce qu'il n'avait pas su rester raisonnable et parce qu'il avait voulu expérimenter quelque chose qui lui était depuis toujours inconnu, son camarade était victime de ce qu'il ne parvenait pas à maitriser, de ce qu'il n'avait pu empêché. Après s'être écroulé sur ce pauvre Dani, et après que ce dernier l'ait gentiment repositionné en position assise sur le fauteuil, voilà que Raphaël trouva le moyen de lui vomir dessus. Oui, sérieusement. Cela faisait maintenant quelques minutes qu'il avait la nausée, cela étant assurément du à cette incroyable consommation d'alcool à laquelle son organisme n'était pas le moins du monde habituée, et le fait que de perdre perpétuellement conscience pour se réveiller toujours brutalement n'aidait pas à ce qu'il se sente très bien. De plus, avoir été déplacé sur ce fauteuil lui avait plus ou moins donné le tournis. Il en avait alors fallu bien peu pour que le jeune homme honore son camarade d'une substance des plus dégoutantes, qui avait du faire grimacer pas mal de téléspectateurs. Bon, le coté positif de la chose était probablement que Raphaël n'était pas un gros mangeur, qu'il sautait même régulièrement des repas, et donc qu'il n'avait pas eu grand chose à vomir. Disons que c'était plutôt ce qu'il restait de sa consommation en alcool qui se fraya un chemin jusqu'à ce pauvre Dani. Dommage que le reste soit déjà entré en contact avec son sang, l'ayant logiquement mis dans cet épouvantable état. Une chose était en tout cas certaine, Raphaël se détestait. Oh oui, il se détestait de n'avoir pas été capable de se retenir de vomir ou, à défaut de l'avoir pu, de n'avoir pas pensé à tourner la tête, histoire d'arroser autre chose que son camarade, comme un dossier de fauteuil par exemple. Cela aurait assurément été moins problématique. Parce qu'il pouvait bien lire, à l'expression qui s'était dessinée sur le visage de Dani, que ce dernier était pour le moins dégouté par ce qu'il venait de recevoir comme charmant présent. Il faut dire que c'était compréhensible. Se faire vomir dessus ne devait pas être une chose tout à fait agréable, hm. Son camarade lui même ne semblait pas bien portant. Sans doute trouvait-il cela tellement dégueulasse qu'il en avait lui même la nausée. Cela pouvait se comprendre, hm. Il sembla d'ailleurs se courber, pour faire on ne sait quoi. Honnêtement, Raphaël ne parvint pas à s'en assurer. Car Dani lui réapparut plutôt normalement, comme si rien n'était susceptible d'être soupçonné. Curieux. Aux paroles de Dani, Raphaël baissa de nouveau la tête. Si, bien sûr que si, il était désolé. Cela ne se voyait-il pas ? Il se détestait, et il était désolé. Dani disait alors être désolé pour Raphaël. Oula, il allait se remettre à pleurer là, attention. Parce que c'était exactement le genre de choses qui pouvaient le faire craquer. Il se retint aussi fort que possible, tandis que son camarade se leva, annonçant qu'il allait chercher une couverture à l'arrière. Raphaël resta donc seul dans la salle de projection. Et là, il craqua épouvantablement, lâchant toute sa tristesse, toute sa colère, toute sa frustration. Autant certaines premières fois pouvaient être plaisantes à vivre, autant d'autres ... Là, il vivait les choses affreusement mal. Il craquait de fatigue, aussi. Parce qu'il était las de vouloir faire comme les autres sans jamais y arriver. Un Arès n'aurait pas connu tout ça, ni vomi sur Dani. Un Callan non plus. Un Lulu encore moins. Lui, il était simplement misérable et pathétique. Il voulait que sa mère lui apparaisse pour lui pardonner d'avoir gouté à ce qu'elle avait elle même toujours consommé. Cet alcool de merde qui aurait pu le tuer. Il voulait aussi que Lulu soit là, pour l'étreindre, pour le rassurer. Il voulait Elliot, pour l'apaiser, Arès, pour la même raison. Il voulait aussi simplement que Dani revienne, parce que sa solitude lui faisait encore plus de mal. Il mettait trop de temps. Beaucoup trop de temps. Alors Raphaël se laissa glisser sur le sol, où il atterrit doucement, se coupant la main avec un débris de verre, mais ne le sentant même pas, rampant misérablement sur le sol pour quitter la pièce, mais ne parvenant pas à faire plus de deux mètres. Là, il resta couché au sol. De toute manière, il lui avait bien dit de s'allonger, non ? Bon. Une ombre le recouvrit bientôt. Celle de Dani. Tendant le bras, il saisit l'ourlet de son pantalon et tâcha se calmer. « Viens » commença-t-il, encore en larmes. « Viens t'allonger près de moi, Dani » reprit-il, dans un soupire. Puis finalement, il hurla. « VIENS T'ALLONGER PRES DE MOI » laissa-t-il entendre brusquement. Il était si rare qu'il crie de la sorte. Il n'était pas fâché contre Dani, simplement contre lui même. Et dans son état, il mélangeait tout. « S'il te plait » le supplia-t-il plus doucement, très doucement. Vraiment, jamais plus il ne boirait une goûte d'alcool de sa vie.