Raphaël était un autre homme. Enfin non, techniquement, il était toujours lui même. Mais seulement en apparences. Parce qu'intérieurement, au fond de lui, nombreuses étaient déjà les choses qui avaient changé. Peut être n'avait-il pas pour autant atteint son ultime objectif, peut être était-il encore un peu trop tôt pour prétendre être considérablement différent de lorsqu'il était entré ici, parce qu'après tout, il y a bien encore quelques points sur lesquels il lui fallait travailler, mais tout de même, il avait cette agréable impression d'avoir fait un certain nombre de progrès, plus en tout cas qu'il aurait pensé en faire, se connaissant une nature pessimiste et ayant légitimement pensé qu'il aurait abandonné en court de route. Mais ce ne fut pas le cas, et aujourd'hui, il estimait aller bien, tout comme il estimait dommage, et attristant, que tant de gens autour de lui passent une mauvaise semaine. Tout de même, il se sentait toujours aussi décalé, puisque la semaine où il se sentait bien, presque tout le monde en venait à pleurer le départ de quelqu'un. Naturellement, il comprenait la détresse de ses camarades. Lui même n'était pas enchanté par ces départs : Dani allait lui manquer, Jared et Wade aussi, et même s'il avait très peu sympathisé avec Sïana, il est clair qu'il n'avait jamais tellement souhaité son départ, même s'il est évident qu'il était pour le moins satisfait du retour de candidats comme Lulu, Arès ou Joshua. Ils étaient ceux qu'il n'aurait pas supporté perdre, parmi quelques autres. Quoi qu'il en soit, dimanche soir, et lorsque le prime fut terminé et que bon nombre de candidats déplorèrent les résultats, Raphaël n'avait pu qu'arrêter son regard sur quelqu'un dont la réaction l'avait pour le moins interpelé : Branca. Son geste, sa contrariété ... il les avait compris, mais il avait surtout eu de la peine pour elle. Alors en ce jour, et tandis qu'il la voyait non loin de lui, à observer visiblement le manoir de l'extérieur, Raphaël décida d'approcher, doucement, sans ni chercher à l'effrayer, ni vouloir s'imposer à elle. « Bonsoir, Branca » articula-t-il alors, toujours quelques peu gêné en sa compagnie, mais combattant son embarras aussi vivement que possible. « Je t'ai vu frapper du poing dans un mur, dimanche soir » reprit-il, plus doucement, dans un sourire confus. « Je me suis inquiété pour toi, et ... et ça n'est pas mensonger, même si je me doute que ça ne t'intéresse pas tellement de le savoir, et que tu en as de toute façon connu d'autres ... » A cause de son secret. En tout cas, qu'elle ne s'énerve pas, si elle ne voulait pas de lui, elle n'aurait qu'à le foudroyer du regard. Promis, il comprendrait.

En toute honnêteté, Raphaël se demanda s'il faisait bien de s'orienter vers Branca. A vrai dire, et même s'il se sentait quelques peu différent ces derniers jours, notamment plus sûr de lui et moins timide, il avait encore un peu de mal à s'empêcher de craindre de passer un moment en la compagnie de la jeune femme. Le fait est que le peu de fois où ils avaient passé du temps ensemble, les choses n'avaient pas été des plus simples. Il y avait eu ce buzz, cette confrontation difficile où il avait tenu des propos qui n'avaient pas tellement plu à sa camarade, mais aussi cette troublante entrevue durant laquelle il s'était probablement un peu trop braqué, et enfin la révélation du secret de la jeune femme, qui lui avait alors permis de comprendre un certain nombre de choses, notamment qu'il aurait du laisser une chance à leur relation, ne pas partir du principe que puisqu'ils semblaient ne pas se comprendre sur un sujet, cela voulait nécessairement dire qu'ils n'étaient pas fait pour se comprendre du tout. Parce qu’aujourd’hui, et malgré cette gêne qui persistait bien malgré lui, le jeune homme avait envie de penser qu'il avait fait une simple erreur de jugement, et qu'il n'était éventuellement pas trop tard pour la corriger. Bien sûr, il serait bien vain d'espérer nouer une amitié avec Branca - à l'heure actuelle, il était tout de même trop tard pour ce genre de choses - mais rien ne l'empêchait probablement de sauver les meubles, comme on dit, ou plutôt de sauver les bases de leur relation. Il avait souvent senti une certaine tension entre eux, alors il avait présentement simplement pour optique de tempérer les choses, ne serait-ce que pour ne rien regretter d'ici à ce que leurs départs se séparent. Parce qu'il était certain, et c'était à la fois logique et légitime, qu'ils ne seraient pas amenés à se revoir, ou du moins, pas intentionnellement. Ils avaient respectivement développé des relations, et la leur pourrait tout au mieux prendre fin sur quelque chose de neutre, ce qui serait mieux, aux yeux du suisse, que ce qu'ils avaient connu jusqu'à présent. Il avait toujours ce sentiment désagréable selon lequel Branca ne l'appréciait pas, mais il tâcherait d'en faire abstraction, lui qui voulait vraiment faire des efforts, autant pour combattre son embarras que pour améliorer leurs derniers rapports. Quoi qu'il en soit, c'est au sujet de la fin du prime, et du moment où le poing de sa camarade avait atterri dans un mur, que Raphaël décida d'interpeller Branca. Il ne lui reprochait rien, bien au contraire. Comme il le disait lui même, il s'était inquiété pour elle. Elle disait alors avoir perdu son sang froid, et que cela lui arrivait "parfois". Il hocha doucement la tête, comme pour dire qu'il comprendrait. Parce qu'évidemment, il pouvait comprendre que l'on puisse en arriver là sous le coup de nos émotions. Lui même avait parfois à faire à ce genre de pulsions. C'était humain, après tout. « Ce lot de départs a bouleversé bon nombre de candidats. Je ... j'avoue avoir un peu honte d'avoir "choisi" cette semaine pour aller mieux. » Il soupira, regrettant presque l'amélioration de son état. Il aimait se sentir mieux, mais il craignait qu'on le lui reproche. Il ne voulait manquer de respect à personne, ni aux éliminés, ni à leurs amis encore présents. Il n'avait pas décidé d'aller mieux pour les narguer, évidemment. Et lui même avait regretté certains départs, d'ailleurs. Sa camarade sembla en tout cas surprise du fait qu'il ait dit s'être inquiété pour elle, après l'avoir assuré d'avoir maintenant un plein contrôle sur son sang-froid, ce qui le fit sourire nerveusement. Disons qu'il apprécierait qu'elle ne retente pas l'expérience en remplaçant le mur par le nez du suisse, par exemple. « Je me suis dit que pour en arriver à cogner un mur, tu devais vraiment t'être sentie mal. Mais j'avoue ne pas avoir envisagé que cela puisse simplement être dans ta nature. Après tout, il doit bien y avoir différents degrés dans l’impulsivité, même si je ne prétends pas savoir quel est le tien. » Il se pinça les lèvres et l'observa attentivement. Il voyait en elle une incroyable force, constat qui lui venait de la révélation du secret de sa camarade. Il avait compris qu'elle était passée par des choses difficiles, et que cela avait fait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. Une femme incroyablement forte, donc.

Lorsque Raphaël avait appris le secret de Branca, lorsque celle-ci l'avait expliqué à ses camarades et qu'ils avaient eu droit à bon nombre de faits et de détails, il n'avait pas manqué d'être empathique à ce qu'avait traversé la jeune femme, à ce qu'appartenir à un gang lui avait coûté, notamment la vie de son frère. Il avait repensé à leur confrontation, à ses paroles malheureuses qu'il n'avait pas cherché à retenir et qui avaient assurément blessé la jeune femme. Il avait compris sa réaction et avait commencé à se convaincre qu'en fin de compte, elle n'avait peut être pas de problème avec lui. Parce que durant quelques semaines, le suisse s'était véritablement persuadé que sa camarade ne l'affectionnait pas, qu'elle avait comme une vraie dent contre lui. Il avait fait preuve, comme souvent auparavant, d'une extrême paranoïa. Mais aujourd'hui qu'il allait mieux, qu'il guérissait progressivement de ses problèmes, il prenait doucement conscience de son erreur. Pour autant, il ne pouvait s'empêcher d'être encore un peu distant, méfiant, craintif vis à vis de Branca. Elle ne serait jamais quelqu'un en qui il aurait profondément confiance, ni qui lui ferait pleinement confiance. Elle ne serait jamais une véritable amie. Il était trop tard pour tout cela, il le savait. Mais qu'importe, le présent échange n'en était pas moins important et riche de sens. La fin de l'aventure approchait, alors autant terminer sur quelque chose de définitivement plaisant, vu qu'il avait du mal à poser un regard optimiste sur leurs précédents échanges. Lorsque Branca commenta la réflexion de Raphaël, ce dernier ne put que hocher positivement la tête. Elle disait vrai, c'était certain. Autant lorsqu'elle disait qu'il n'avait pas à avoir honte, que lorsqu'elle avançait qu'on ne pouvait pas tellement savoir quelle semaine serait bonne ou mauvaise, et pour qui. Le hasard en décidait, et jusqu'à présent, celui-ci avait été plutôt vache avec le suisse. Pourtant, ces derniers jours, il vivait un retournement de situation assez plaisant. Si cela pouvait continuer, il ne s'en plaindrait évidemment pas, même s'il souhaitait que les choses s'arrangent pour tout le monde. Le jeune homme n'ajouta rien, se contentant alors de l'écouter poursuivre. Ah, visiblement, il n'avait pas vu tout à fait juste au sujet de sa camarade. Le fait est qu'elle n'était pas facilement facile à comprendre, à analyser. Elle disait donc qu'il n'avait jamais été question d'impulsivité. Bien, si elle le disait, il voulait bien la croire. Après tout, il n'avait aucune raison de douter de sa parole, d'autant plus qu'elle était encore la mieux placée pour savoir ce genre de choses. Il ne put en tout cas qu'afficher une moue désolée - peu être malvenue - lorsqu'elle insinua que sa place ne serait plus en ce monde si l'impulsivité avait véritablement fait partie d'elle depuis toujours. Puis il se mit à sourire légèrement lorsque sa camarade lui fit savoir qu'elle était "très forte en médiation". Il n'était pas tellement étonné à vrai dire, puisqu'il ne la connaissait pas suffisamment pour avoir des aprioris et pour être surpris d'apprendre ce genre de choses. Il ne trouva en tout cas rien à répondre à cela. En réalité, depuis le début de cette conversation, il avait envie d'une chose. D'une chose bien précise. De s'excuser, en fait. « Branca, je ... j'aimerais te présenter mes excuses. Je ne sais pas si je me suis déjà montré désolé pour ce que j'ai pu dire durant notre confrontation, quelques semaines plus tôt, et au sujet de la mort, de ce qu'elle représentait pour moi, ou de ce qu'elle avait longtemps représenté ... mais depuis la révélation de ton secret, j'ai cette profonde envie de m'excuser officiellement, parce que ça m'a permis de réfléchir, de prendre conscience du mal que j'ai pu te faire, du fait qu'il ait été malvenu de me victimiser alors que j'ai eu quelques paroles malheureuses, maladroites ... » Confus, il baissa la tête. On lui reprochait bien souvent de trop s'excuser, mais pour le coup, il estimait ça nécessaire, normal. « Je dois aussi te dire ... ne te méprends pas ... que je suis assez admiratif de ta force, de ton courage. Je sais probablement bien peu de choses au final te concernant, concernant ton vécu, que ce soit au sein du gang ou en dehors ... mais tu m'as l'air d'être une femme épatante, Branca. » Et il disait cela sincèrement, certainement pas pour s'attirer ses faveurs si tardivement. Cela ne l'intéressait pas, il ne fonctionnait pas comme ça. S'il le lui disait aujourd'hui, c'est parce qu'il s'en voulait, mais aussi parce qu'une part de lui devait être jalouse. L'homme qu'il était ne serait jamais aussi fort, aussi brave, aussi courageux que Branca. Un constat peut être un peu désolant.