Elliot

JEUDI 22 NOVEMBRE - 14H29
QUARTIER D'ARAGON - ÉPICERIE

Comme chaque milieu de semaine, je m'étais rendu à l'épicerie dans l'idée de rapporter à la cantine quelques bocaux de cornichons pour tenir plusieurs jours. Seulement aujourd'hui, tout ne se passa pas comme prévu. En effet, en me rendant devant le rayon aromates, comme à mon habitude, je constatai avec effroi que celui-ci était quasiment vide. La place consacrée aux cornichons l'était tout du moins. J'en venais à m'interroger, scrutant tout autour de moi, sceptique. « On est pourtant pas le premier avril... » Bah non, pas que je sache. On était en novembre, il faisait super froid dehors alors ça ne pouvait pas être une méchante farce de la production ou de mes camarades. J'aurais aimé que quelqu'un sorte d'un coin et crie "suupriiise !! haha on t'a bien euuu !!" mais au final, ce devait être un oubli de la production, et rien d'autre. Ou alors quelqu'un était passé avant cela et avait tout emporté. Oh non, personne n'aurait pu me faire une telle chose tout de même... Quoi qu'il en soit les faits étaient là : pas de cornichons, pas un seul bocal à l'horizon. J'étais dans une sacrée mouise. « C'est un cauchemar, je vais me réveiller. Oui un cauchemar, un vilain cauchemar... t'es en train de rêver Malik. » me répétais-je, en tournant sur moi-même, à deux doigts de choper le tournis. C'est alors que des pas se firent entendre, au bout du rayon. Immédiatement, je tournai la tête, manquant de me faire un torticolis, et aperçus Elliot venir à moi. Ma sauveuse ? Bah, elle semblait venir les mains vides... Je m'approchai d'elle, légèrement affolé. « Ah Elliot ! Tu tombes bien, je... c'est terrible, effroyable, monstrueux... » Ouais, j'en passe et des meilleurs. Bon d'accord, j'allais peut-être un peu loin et en faisais certainement trop seulement vous ne deviez pas vous rendre compte à quel point cette situation était abominable pour moi. « Il n'y a plus... un. seul. bocal. de. cornichons. » articulais-je mécaniquement, mes yeux vaguant du rayon devant moi à celui juste derrière. Des fois qu'un bocal apparaisse comme par magie ici ou là. Elliot me connaissait, enfin je pense que comme beaucoup ici elle savait ô combien pour tenir dans cette aventure il me fallait mon stock de cornichons chaque semaine. Or nous étions au milieu de la neuvième semaine de jeu et voilà que je me retrouvais démuni de tout bocal de condiments, ce qui n'était pas concevable pour un type comme moi en consommant régulièrement. « Qu'est ce qu'on peut faire ? Comment j'vais tenir aujourd'hui sans ça ? » Allo, c'était la panique à bord. Je n'allais quand même pas hurler au scandale ou me jeter par terre en gesticulant à-tout-va, seulement il fallait être réaliste, sans ma dose quotidienne de cornichons je ne pouvais pas aller bien. Et en ce moment, j'avais cruellement besoin de ça, aller bien, ou tout du moins aller... mieux.

On approche la fin de Novembre. Ce qui veut dire que les jours de l'hiver vont débuter. Tout ce à quoi je pense à ce moment précis. C'est Thanksgiving. Alors, j'ai décidé de faire une tarte à la citrouille pour fêter dignement Thanksgiving. Je m'habille, mets ma veste en cuir pour affronter le froid. Je me dirige vers l'épicerie. J'entre. Mon regard croise celui d'un Malik … fébrile. Je l'observe en silence. Il semble agité. Quelque chose cloche. Il prends un air paniqué en s'avançant vers moi. - Ah Elliot ! Tu tombes bien, je... c'est terrible, effroyable, monstrueux... J'ouvre grands les yeux. Il parle comme si quelque chose de catastrophique venait d'arriver. Je le détaille de la tête aux pieds. Il n'est pas blessé. Le problème n'était vraisemblablement pas là. C'était ailleurs. Ses yeux ne cessent de faire des allers et retours entre les rayons. Je fronce légèrement les sourcils et commence à m’inquiéter, pensant que le pire est arrivé. Il m'annonce : - Il n'y a plus... un. seul. bocal. de. cornichons. Je hausse les sourcils. Soulagée, je soupire. Je lui souris doucement en le couvant du regard. C'était juste à propos de cornichons. Je le savais amateur de cornichons, mais je ne pensais pas que c'était carrément une drogue pour lui. Il a besoin de sa dose, je crois. Apparemment, il n'y avait plus. Étrange ... D'habitude, ils ont tout ici. Il est en manque. Les effets de cette manque commencent à apparaître. - Qu'est ce qu'on peut faire ? Comment j'vais tenir aujourd'hui sans ça ? Je fronce de nouveau les sourcils. J'essaie de me rappeler la dernière fois où j'ai vu des bocaux de cornichons. C'était avant-hier, je crois. Je suis venue chercher des légumes pour faire un potage. J'ai cru voir un ou deux bocaux restants. Entre temps, quelqu'un a du en prendre. Il doit normalement en rester. Je scrute les alentours. Je vais voir près du rayon des légumes. Je fouille, je fouille. Aucun résultat. Je cherche encore une fois. Je l'ai trouvé ! Je saisis le bocal, le Saint-Graal de Malik. Ses fameux cornichons sont entre mes mains. Je reviens vers lui tout en souriant. - Tiens. Je l'ai trouvé. Un des techniciens a du le déplacer sans s'en rendre compte. J'espère lui avoir redonné le sourire. Il est mieux quand il est plus souriant et plus enjoué. Allez, un sourire puis j'aurai la conscience tranquille. - Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui mange autant de cornichons. Tu en mange tous les jours ? J'arque un sourcil interrogateur, puis je ris.

Spoiler:

Je n'arrivais pas à admettre l'impensable : nous étions en pénurie de cornichons, et pour de vrai cette fois. Plus un seul bocal nulle part, et ça n'était pourtant pas faute de chercher ! J'avais fait le rayon aromates en long et en large, passant à la loupe le moindre recoin, sans succès. Je devais me rendre à l'évidence : la fin du monde était proche. Oui c'est comme cela que je prenais la subite disparition de tous les bocaux de l'épicerie. C'était louche, ça sentait le complot. Le gouvernement, peut-être même la CIA étaient-ils derrière tout ça. Elliot ne tarda pas à arriver près de moi, et je lui exposai l'horreur de la situation. Elle sembla d'abord sceptique, avant de me quitter quelques secondes... et de revenir avec ce qui semblait être, véritablement, un bocal de cornichons en mains. « Tiens. Je l'ai trouvé. Un des techniciens a du le déplacer sans s'en rendre compte. » Je n'en croyais pas mes yeux, c'était comme un présent tombé du ciel ! Elliot me sauvait la vie là, s'en rendait-elle seulement compte ? Je restais la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés plusieurs instants, avant que mes lèvres ne s'étirent en un très, très large sourire. « Oh mon dieu ! Je ne saurais comment te remercier, je... » Je vins me saisir du dit bocal, avec précaution, comme s'il s'agissait là d'un bien précieux à manier délicatement, et puis... je lui sautai littéralement au cou, déposant un baiser sur l'une de ses joues, sans doute un peu baveux d'ailleurs... oups. « MERCI !! » Me détachant d'elle, je ne me lassais pas de regarder le bocal que j'avais maintenant entre les mains. Elliot, quant à elle, poursuivit. « Je n'ai jamais rencontré quelqu'un qui mange autant de cornichons. Tu en mange tous les jours ? » Et à ces mots elle se mit à rire - un rire très contagieux puisque l'instant d'après je m'y mettais aussi. Aaaaah, ma passion pour les cornichons et la très grande consommation que j'en faisais n'avait de cesse d'intriguer mes camarades et ce depuis la toute première semaine. Il fallait croire qu'à leurs yeux, un type dont le principal centre d'intérêt était les cornichons n'avait rien de normal. Mais sur ce point ils n'avaient peut-être pas tort, en fait. Je reconnaissais moi-même que quelque chose ne devait pas tourner bien rond chez moi pour être devenu avec le temps un véritable obsessionnel du cornichon. J'assumais pleinement néanmoins. Après tout, il n'y avait rien de honteux à cela, ce n'étaient que de petits condiments savoureux et croquants. « Tous les jours, c'est exact. Plusieurs fois par jour même. Je crois qu'on peut clairement affirmer que j'y suis accro. » Heu, à peine. Les cornichons, ici comme à l'extérieur, constituaient la grande majorité de mes repas. Au petit-déjeuner, au déjeuner, au goûter, au diner... Les cornichons étaient partout, partouut ! Il ne fallait pas s'étonner avec ça que je dilapide à une vitesse folle les stocks de bocaux dans la cantine. Je ne comptais plus mes allées et venues à l'épicerie pour nous réapprovisionner, au moins deux fois par semaine, parfois même plus... « Et toi Elliot, dis-moi, y a-t-il une chose dont tu serais incapable de te passer ? » Un pêché mignon, un grigri la suivant partout... Il y avait forcément quelque chose qui, aux yeux d'Elliot, devait être sacré. Tenez, mon frère jumeau, lui, était fan de Lara Croft. Et il ne quittait jamais un fameux porte-clé à l'effigie de la célèbre aventurière à queue de cheval et à rangers. Mais chacun son truc hein. Quel que soit celui d'Elliot, je ne risquais pas d'émettre la moindre critique ou moquerie. Dans la mesure où tout le monde ici acceptait le culte que je vouais aux cornichons, j'estimais qu'il était de mon devoir de faire de même de mon côté.

Spoiler: