Alors hm, en ce jour tout à fait spécial - non, même pas, vu que Raphaël n'était même pas certain de connaitre la date d'aujourd'hui - il était question de cuisiner, chose plutôt logique, vu que le suisse se trouvait au beau milieu de la cantine depuis maintenant une bonne demie-heure. Sauf que bon, en ce laps de temps relativement important, il semblerait qu'il n'ait trouvé le moyen que d'éplucher une pomme. Bien, bien. Sauf qu'une pomme épluchée, ça ne faisait pas tout. Alors soit il avait simplement envie d'un casse-croûte naturel et prévoyait de l'ingurgiter dans la minute, soit il voyait plus grand, mais alors dans ces cas là, il faudrait éventuellement songer à faire preuve d'un peu plus d'ambition, et pourquoi pas envisager d'éplucher d'autres pommes pour, allons bon, peut être réaliser une tarte ? Oui, voilà qui serait pas mal, mine de rien. Sauf que cela impliquait de se dégoter un moule à tarte, de la pâte, de s'épuiser à éplucher et découper maintes pommes ... Autant dire qu'il ferait tout aussi bien de démarrer la réalisation d'une joyeuse ratatouille, ce qui reviendrait à peu de choses près à la même chose. Mais bon, peut être était-il justement temps de prouver qu'il pouvait se montrer résistant et persévérant, et que ça n'était pas quelques pommes qui allaient avoir raison de son désir de cuisiner. Parce que vraiment, il avait envie de se coucher avec la satisfaction d'avoir changé le monde, d'une certaine manière. Bah ouais, au moins quoi. Il allait donc réaliser une tarte aux pommes, même s'il y laissait son après-midi, et probablement au moins l'un de ses dix doigts. Pommes à sa droite, couteau à sa gauche, l'opération s'avérerait périlleuse. Parce qu'il y a quelques temps, si quelqu'un l'avait surpris avec ce genre d'engins à la main, on aurait crié à la tentative de suicide. Il n'en était ici rien, évidemment. Pour preuve, c'est avec une extrême précaution qu'il ... fit un mouvement brusque et perdit le contrôle de l'objet. Fort heureusement, ce dernier ne le blessa pas et se contenta d'atterrir en direction de Joshua, qui venait alors d'entrer, et qui venait donc de frôler une mort certaine. Oh, rien de grave donc. Euh ... « Hm, je ... je sais, on pourrait interpréter ce geste comme le désir de t'assassiner pour laisser davantage de chances à ma partenaire d'accéder aux demies-finales » lâcha-t-il alors, horriblement confus. « Mais ne te méprends pas, Joshua ... je sais pertinemment qu'un couteau à pain serait bien plus efficace. » Un rictus s'échappa alors de ses lèvres, avant qu'un sourire joueur apparaisse sur ses lèvres. Naturellement, il plaisantait. S'il n'avait jamais violenté celle qui lui avait fait le plus de mal en ce monde, il n'allait clairement pas s'en prendre à Joshua. Entre nous, il le voulait en demies-finales, également.

Croyez-le ou non, mais cette situation résultait d'un malheureux hasard. Disons qu'il était regrettable que le moment où Raphaël perdit le contrôle du couteau qu'il tint jusqu'ici dans sa main coïncide avec celui où Joshua débarqua dans la cantine, ne s'attendant probablement pas à frôler brusquement la mort. Parce que bon, tout de même, il n'était pas certain que se prendre un tel objet en pleine tronche, ou même n'importe où d'ailleurs, lui aurait fait franchement du bien. Surtout que le geste du suisse fut si précipité que la vitesse donnée au couteau aurait pu faire d'autant plus de dégâts. Alors vraiment, Joshua venait de l'échapper belle. Et l'ensemble de son corps pouvait probablement remercier le fait que Raphaël soit décidément bon à rien, même à tuer quelqu'un. Gnah, ça avait failli ! Mais non, décidément, on ne pouvait pas compter sur lui pour accomplir quoi que ce soit. Désolant. Bon, par contre, pas sûr qu'après de telles émotions il eut été franchement malin de se lancer dans une navrante tentative d'humour, assurément censée détendre l'atmosphère. Il ne faudrait pas que Joshua s'imagine que Raphaël avait un sérieux problème avec lui, vu que cela faisait tout de même deux fois - oui, deux fois - qu'il manquait de lui causer beaucoup de tort. Pourtant, à l'instant où le suisse se risqua à plaisanter de façon assez douteuse, l'on put penser qu'il s'enfonçait, en fait. Parce qu'en plus, autant Joshua avait bien ri à la suite de ses premières paroles, autant il prenait subitement un air plus intrigué. Oula, pas sûr que cette rencontre finisse franchement bien, d'autant plus que la bêtise de Raphaël pousserait peut être son camarade à se méfier véritablement de lui, et qui sait, peut être à attaquer férocement avec le couteau qu'il aurait alors récupéré dans un coin. Un couteau qui, à vue d’œil, semblait légèrement introuvable. Les propos du tatoué parvinrent alors à l'oreille paranoïaque du suisse - à noter que chaque partie de son corps, jusqu'à ses ongles d'orteils de pieds, était purement paranoïaque, en fait - et le jeune homme ne manqua pas de déglutir. Parce que bon, il comprenait évidemment l’exagération, l'ironie, mais il est vrai qu'il ne pouvait subitement s'empêcher de penser à son père, à cette crainte qu'il avait toujours du fait que ce dernier puisse se cacher un peu n'importe où, pourquoi pas en Joshua, justement. Raphaël contint en tout cas son embarras, sa fébrilité, et tâcha de garder en tête que son camarade n'avait de toute manière probablement pas voulu le mettre mal et qu'il serait bien vain de le faire culpabiliser en partant dans un délire psychotique bien inutile. Alors il tenta, aussi fermement que possible, de laisser ses pensées de coté et de poursuivre ce délire improbable. C'était aussi en apprenant à prendre ce genre de situations avec "humour" qu'il s'en sortirait une bonne fois pour toute, il le savait. « Hors de question. Je ne me laisserai pas faire, sache-le » lui assura-t-il alors, apparemment persuadé de pouvoir résister à l'emprise d'un fantôme revanchard. « Et ... et Lulu sera toujours là pour me protéger, pour ... pour me soutenir, de toute manière » ajouta-t-il, dans la précipitation, avant d'afficher un sourire tout à fait niais. Dans le fond, il avait envie de croire à ce qu'il disait, même si tout cela n'était à la base dit que sur un ton humoristique. C'est ce qui le rendait encore plus niais, probablement. Bon, et sinon, le couteau voulait bien réapparaitre, hm ?

Non, il ne fallait pas que Joshua culpabilise. Tout comme il ne fallait pas que Raphaël se laisse abattre par ce qui avaient assurément été quelques paroles maladroites et involontairement troublantes. Le fait est qu'il savait maintenant faire la différence entre ceux qui lui voulaient intentionnellement du mal, et ceux qui pouvaient simplement faire preuve d'un peu de maladresse de temps à autre. Joshua appartenait tout naturellement à la seconde catégorie, parce qu'il était bon, parce qu'il était un homme bien, oui, Raphaël le savait. Il avait toujours lu en lui une extrême bonté. Il avait toujours eu l'impression d'avoir à faire à un être authentique, de confiance, empli de bienveillance. Il se questionnait alors d'autant plus au sujet de son passé amoureux, mais cela ne le regardait absolument pas. Le principal ici était que Raphaël soit capable de contenir son embarras pour ne surtout pas mettre à mal le présent moment. Il était plus que nécessaire, oui, que le suisse parvienne à faire abstraction de sa gêne, qu'il puisse intérioriser ses émotions, pour une fois, et afin de prouver, aux autres autant qu'à lui même, qu'il pouvait ne pas nécessairement faire une maladie de quelques propos un peu mal choisis, que personne n'en mourrait, que le Monde n'en périrait pas pour autant. C'était important qu'il parvienne à tenir le coup, une fois encore, parce qu'il savait en plus que l'intention de Joshua n'avait jamais été de le troubler. Il était de toute façon déjà tout pardonné. Ses propos n'étaient alors plus que de l'histoire ancienne, puisque de toute manière, Raphaël tenait à assurer au jeune homme qu'il ne se laisserait certainement pas faire par un vilain fantôme. Il était bien trop fort, oui oui. Tellement fort que ... que ... et bien, qu'il se cacherait derrière Lulu, en fait. Et bien oui, c'était un peu comme ça qu'il voyait les choses, figurez-vous. Navrant, oui. Mais si Lulu tenait à lui - à cet instant précis, Raphaël n'était même pas réellement fixé sur les sentiments du tatoué à son égard - nul doute que le dublinois ne le laisserait pas tomber. C'est alors qu'au moment où il formula naïvement de telles paroles, quelque chose d'étrange se produisit. Un sourire particulier gagna les lèvres de Joshua, et Raphaël en fut pour le moins ému. Et puis il se mit à réfléchir. Finalement, ça devait être la première fois qu'il évoquait son histoire avec Lulu en compagnie du partenaire de ce dernier. Il ne savait pas tellement ce qu'il pensait de tout ça - il supposait que cette relation ne pouvait pas plaire à tout le monde - mais il avait tendance à se confier en toute confiance. C'était Joshua, alors à ses yeux, ça n'était clairement pas n'importe qui. Et lorsque le jeune homme le serra dans ses bras, puis qu'il employa le terme "pote" pour qualifier le suisse, celui-ci se sentit incroyablement bien. Lui qui avait passé plus d'une décennie à fuir les autres, après avoir été fui par ces derniers, s'était ici trouvé de réels amis, des amis sur qui compter, des amis qu'il comptait bien revoir une fois tout cela terminé. Joshua était de ces amis. De ses amis. Un sourire radieux gagna alors les lèvres de Raphaël, qui lâcha ensuite un petit rictus suite aux nouveaux propos de son camarade. Il disait vrai, et à y réfléchir, c'en était étonnant. Troublant, aussi. Mais plaisant, surtout. L'amour était une chose merveilleuse, il avait fini par le comprendre. Il en avait longtemps eu peur, en avait longtemps souffert ... Mais à ce jour, l'amour le rendait heureux. « Pourtant, peu d'entre nous devaient être venus ici dans cette optique, je veux dire, pour trouver une moitié, une âme sœur. » Et des papillons s'échappaient de sa bouche, oui oui. Raphaël était simplement un grand romantique. Rappelons que son adolescence avait été marquée par maintes histoires d'amour littéraires, musicales ou cinématographiques. Il avait développé un coté très sentimental, très romanesque. Pourtant, lui non plus ne s'était pas rendu à Fake Lover pour tomber amoureux. Ce fut simplement une péripétie aussi inévitable qu'imprévisible. Et on ne peut pas empêcher l'imprévisible de se produire. « As-tu des projets, Joshua ? Quand tout cela sera fini, et je te souhaite sincèrement de rester dimanche soir, comment crois-tu que se déroulera ton après-Fake Lover ? Comment aimerais-tu qu'il se déroule ? » S'il demandait cela, ça n'était pas que pour parler. Cela l'intéressait. Parce qu'il était curieux, mais aussi parce qu'il tenait à Joshua. Mais si celui-ci estimait ne pas avoir à lui parler de tout cela, naturellement, Raphaël comprendrait.