FITZ+EMILIEN
S’il y avait bien quelque chose qui manquait beaucoup à Emilien, c’était bel et bien son piano. Certes, maman, papa et ses frangins aussi, mais ce n’était pas la même chose. Pas la même relation, pas le même vécu. Il y avait quelque chose avec la musique qu’Emilien ne pouvait pas retrouver avec ses proches… et cette chose, il ne savait pas l’expliquer, il ne savait pas lui donner de noms. Et en quelques mots, vous êtes déjà entrain de vous dire que ce garçon ne sait pas grand-chose. Il y a quelques jours –deux ou trois jours pour être un peu plus précis– Emilien avait repéré un piano justement, pour son plus grand plaisir. Il aurait bien été tenté d’aller caresser quelques touches, mais il fallait dire que le salon était souvent colonisé par un groupe bavard composé de candidats lambda. C’était par hasard qu’il passa dans le salon, un gâteau à la main. Il s’arrêta dans sa foulée et observa le piano. Piano seul, tout comme lui à cet instant précis. Sans se faire prier, il s’approcha à grand vers le majestueux instrument. D’une traite, il engloutit la nourriture qu’il tenait entre ses mains et décida de s’installer face au piano. Avant de pianoter quelques notes, il jeta des regards à droite, à gauche, espérant que personne ne viendrait. On lui a le coup une fois avec la douche, on lui en fera pas un second. Alors il se mit à jouer. A jouer comme il savait le faire, à jouer comme on lui avait appris. A jouer tout simplement. Les notes mélodieuses s’enchainèrent, encore et toujours. Le moment dura de longues minutes, pas assez au goût d’Emilien. Il en avait même oublié la présence de ces fichus caméras. Puis de toute façon, ça intéressait qui un gars qui jouait du piano ? Pas grand monde. (…) Lorsqu’il entendit l’une des portes s’ouvrir, il tressaillit sur place et stoppa tout mouvement. Il lança un furtif regard au grand homme qui venait d’entrer dans la pièce. Il ne savait pas vraiment qui cela était, et il n’avait pas envie de croiser son regard plus longtemps. Alors, comme un gamin qui venait de se faire prendre la main dans le sac, il baissa du regard, baissa la tête et se pinça les lèvres. Il chercha finalement la force de se lever et fit quelques pas en avant. Les mains dans le dos, il osa enfin relever la tête et affronter du regard l’homme. « S’lut » lâcha-t-il dans un air faussement décontracté, faisant comme si de rien n’était finalement.

Il passa la main dans ses cheveux, le décoiffant par la même occasion. A vrai dire, aujourd’hui, il n’avait même pas pris la peine de mettre un peu d’ordre dans ses cheveux. Sûrement parce qu’il n’avait pas réussi à remettre la main sur son peigne. Emilien haussa les épaules lorsque ce grand homme pris la parole. Il lui demandait si ce qu’il venait de jouer était d’un compositeur connu, ou non. Qu’est-ce qu’il en savait lui ? Evidemment, ce n’était pas d’un compositeur connu. « J’sais pas. » dit-il brièvement. Il aurait pu lui dire qu’il ne s’était juste contenté d’improviser, d’enchainer quelques notes hasardeuses, mais Emilien trouvait que ça aurait fait bien trop prétentieux. Alors, il préférait jouer la carte de l’ignorance. Au pire, cet homme le prétendrait juste pour un inculte, et ça, ce n’était pas si grave que cela. Ici, on ne leur demandait pas de savoir citer x compositeurs, de savoir scander des vers latins, ou bien même de traduire du sanscrit. En y réfléchissant, même lui n’était pas capable de tout cela. Un regard intéressé se posa sur le visage mûr de ce bonhomme. Il disait que lui aussi jouait du piano. Intéressant. Peut-être que comme Emilien, il avait tombé dans la musique hasardeusement. Peut-être pas en fait. Peut-être qu’il avait grandi avec, des parents musiciens, ou une connerie comme ça. Ou peut-être qu’il jouait de la musique juste pour s’en servir comme piège à nénettes. Emilien plissa légèrement les yeux. Non pas pour réfléchir à la façon dont ce gars était tombé dans la musique, mais pour répondre à la question qu’il lui avait posée. Question tartinée de curiosité, c’est un fait. Depuis quand jouait-il… «Depuis… Huit, neuf… peut-être dix ans, je ne sais plus trop. ». Et en une poignée de minutes, il avait réussi à lancer deux « je ne sais pas ». A croire que cette petite expression était la Passe-Partout des mots. On la disait lorsque l’on ne savait vraiment pas, quand on ignorait quelque chose, ou bien quand on était gêné. Dans le cas d’Emilien, c’était un mélange des deux. De l’ignorance et une certaine gêne bercées ses paroles. Sûrement parce que cet homme l’impressionnait un peu, juste un petit peu… Comme si Emilien était si impressionnable que cela. Comme si, en fait si, mais un peu, juste un petit peu. Il s’éclaircit la voix, en se raclant la gorge. « Amoureux de la musique, j’me trompe ? ». Et il posa son regard sur le visage de l’homme qui se tenait en face de lui, avide de curiosité.

Emilien haussa les épaules lorsque ce grand gars s’excusa. Il était désolé. Désolé de l’avoir interrompu. Il n’avait pas vraiment à être désolé de cela. Après tout, si ça n’avait pas été lui, peut-être était-ce un autre candidat –bien plus féroce– qui l’aurait obligé de mettre un terme à son intermède musical. Il n’avait pas à être désolé, au fond. Et malgré cela, Emilien tenta de continuer cette conversation. Il écouta sagement. C’était donc cela. Il était tombé dans la musique depuis sa plus tendre enfance. Par obligation, s’il avait bien compris. Tout le contraire d’Emilien. Mais malgré cela, il disait qu’il ne semblait pas regretter, bien au contraire. Puis il continua de prendre la parole. Il était content de rencontrer un autre pianiste, confia-t-il. Emilien, aussi. Même si cela ne devait pas vraiment se voir. Il était pourtant ravi de rencontrer un autre musicien, pianiste qui plus est. Combien de chance avait-il pour pouvoir en rencontrer un au sein de cette aventure ? Peu. Ce n’était pas comme si c’était un télé-crochet old school où des candidats étaient enfermés pour apprendre à devenir chanteur : dans ce genre de contexte, il aurait pu. Là, c’était différent comme endroit. « Moi aussi, je dois avouer… » lâcha-t-il timidement. Son interlocuteur lui demanda alors s’il était habitué de jouer en public. « Si… » souffla-t-il. Se donner en public, en spectacle presque… un petit concert. Il connaissait ça, on l’obligeait même. Comme si c’était son devoir de jouer devant des gens. Il n’aimait pas cela, il n’aimait pas ces sensations quand il était face à des quidams. « Mais je n’aime pas cela. Pas du tout ! » prit-il le temps d’ajouter. Ca, sûrement que ce gaillard l’avait sûrement constaté depuis son entrée dans la pièce.