hymne à la beauté

starring hyram and carmen

Je retrousse les manches de ma chemise, un sourire narquois aux lèvres. Je me pavane dans les couloirs, les mains dans les poches en sifflotant. J'arrive dans la chambre, je m'avance vers l'armoire portant le nom de la ritale. Je dépose le post-it sur la porte du placard - (Rendez-vous dans la bibliothèque à 22:30). Un mot signé de mon nom. Je repars dans le sens inverse, en espérant intérieurement qu'elle viendra. J'ai comme l'intuition qu'elle sera au rendez-vous. Il y a des jours où je n'ai envie que de poésie et rien d'autre que de la poésie. On ne lit pas ni écrit de la poésie parce que c’est joli. On lit et écrit de la poésie car on fait partie de l’humanité. Et l’humanité est faite de passions. La médecine, le droit, le commerce sont nécessaires pour assurer la vie, mais la poésie, la beauté, la romance, l’amour, c’est pour ça qu’on vit. J'ai une vision particulière de la vie. Elle est ambivalente, double parfois contradictoire, faite de clair-obscur et d'illuminations. Après le dîner, je débarque dans la bibliothèque un verre de vin rouge à la main. Mon regard bleuté balaie la salle. Je ferme les yeux et j'inspire l'air ambiant. L'odeur de vieux livres flotte dans les airs. Une odeur familière, capiteuse et terriblement enivrante. Je crois qu'il va devenir mon nouveau refuge. L'asile idéal où m'enfermer lors des intempéries. La neige, ce n'est pas mon truc. Je préfère la pluie à la rigueur. Je bois une gorgée en me dirigeant vers les étagères remplies de livres à foison. Malheureusement, c'est mal rangé. Dans le désordre total. Je ne suis d'humeur joyeuse, ce soir. Sinon, je me serai révolté. Le rayon "poésie" est mal fait. C'est un scandale. Mes yeux s'attardent longuement sur une p'tite trouvaille. Une saison en enfer, de Rimbaud. Une vieille édition à en juger la reliure. Je l'attrape et le feuillette un peu. Mes prunelles s'illuminent au fil des pages. Je sens une main venir caresser mon dos. Un léger rictus flotte sur mes lèvres. C'est elle. Je me retourne et caresse son menton en douceur. - Alors prête pour vivre une expérience inoubliable ? Je lui lance un regard complice.

La blondinette se dirigea d'un pas de loup vers sa penderie. Encore en nuisette, ses jambes se frictionnèrent afin d'attirer un peu de chaleur. Sortie du lit depuis quelques minutes seulement, la froideur ambiante la tirailla et la jeune femme s'empressa de fouiller sa montagne de vêtements à la recherche d'un gros pull et d'un jean moulant. Ses doigts effleurèrent le post-it collé sur la porte, ses yeux glissèrent sur les quelques mots écrits rapidement et un sourire se dessina sur ses lèvres tremblotantes. Hyram se révélait être plein de surprises. Impatiente, elle se maudit d'avoir lu ce mot en début de journée.Ses nerfs ne tiendraient certainement pas jusqu'au soir. Elle attendit pourtant sagement, et se dirigea en direction du lieu du rendez-vous, peu en retard (une femme se devait de se faire désirer), armée d'un poncho, d'un jean slim et de talon comme à son habitude. Il était déjà là, concentré, beau, réellement beau à regarder. Doucement, elle ôta ses escarpins afin de ne pas faire de bruit et se dirigea en sa direction, caressa le haut de son dos tendrement. Son sourire, niais toute la journée se transformait désormais en un sourire avide de connaissances, avide de poésie. L'italienne n'avait jamais su manier ses mots comme avaient pu le faire de grands italiens (il était difficile de croire que des italiens avaient pu écrire l'histoire, et pourtant) jadis. Sa main effleura son menton, ses yeux pétillèrent d'envie. Carmen n'était pas certaine de savoir comment se comporter face à cet homme des plus mystérieux. Ce qui était certain, en revanche, c'est qu'elle était elle-même, sans artifices, lorsqu'il se retrouvait près d'elle. Doucement, elle vint s'asseoir entre ses jambes, prenant place confortablement. « Fais-moi voyager. » lui intima-t-elle doucement, d'une voix de velours. Sortir de ce nid, voltiger, changer d'époque.

Elle a cette façon de se mouvoir, de me toucher auquel je ne suis pas insensible. Je suis sûr que je n'ai pas été la seule victime de son charme indéniable. A croire ce qu'ont dit les présentateurs de l'émission. Pourtant en la regardant de plus près, je n'entrevois aucun jeu en ma présence. Je l'apprivoise pour le moment, je ne veux rien d'autre que sa compagnie. Je ne cherche rien d'autre. Contrairement à ce qu'on pourrait le penser, je n'utilise pas la poésie pour appâter les donzelles en mal d'amour ou les ingénues effarouchées. Je souhaite partager ma passion avec autrui. Cette jeune femme semble être intéressée. Chose surprenant car on a tendance à considérer que la poésie est quelque peu désuète pour une époque qui préfère les romans de gare aux poèmes d'un ancien temps. Elle vient me rejoindre à la bibliothèque comme prévue. Je dépose Rimbaud pour prendre un autre recueil. Plus classique, pré-Renaissance. Du Pétrarque. Mon verre de vin à la main, je m'avance vers le canapé l'invitant à m'y rejoindre. Au lieu de s'asseoir à côté de moi, elle se pose entre mes jambes. Ce qui me déstabilise un peu. Je reste de marbre et me contente de sourire, séduit par sa démarche un peu désarmante. Je fais comme si de rien n'était. Sa voix langoureuse me dit : - Fais-moi voyager. Je lui tends mon verre de vin afin que j'ouvre le recueil. - Tiens-moi ça. Je prends soin de ne pas trop abîmer les pages en les tournant. C'est une véritable relique. Je trouve le poème que je voulais. Un sonnet. C'est une des formes que je préfère en poésie. - En hommage à tes origines, je vais te lire du Pétrarque. Je lui glisse à l'oreille, ma voix se faisant plus solennelle et habité :

De longs cheveux brillant à rendre l'or jaloux,
Le regard le plus pur, le plus charmant visage
Qui jamais aient fait mettre un mortel à genoux,
Un sourire ineffable, un gracieux langage,

Une main, de beaux bras noblement arrondis
A faire implorer grâce au cœur le plus rebelle,
Un pied fait par l'amour, une femme si belle,
En un mot, qu'il n'est rien de tel au paradis,

Me faisaient d'heureux jours; mais Dieu l'a rappelée,
Empressé de la voir parmi sa cour ailée,
Et moi, je reste seul, les yeux morts au bonheur.

Pourtant une espérance ici-bas m'est laissée :
Peut-être l'ange heureux, qui lit dans ma pensée,
De nous voir réunis obtiendra la faveur.

Je me tais, laissant les derniers vers résonner pour leur donner plus d'émotion. Rien ne vaut le silence après la lecture d'un poème. En général, j'aime apprendre les vers pour me les approprier ensuite. Ma main vient caresser délicatement ses cheveux blonds, d'un air songeur. Une question me tracasse depuis une semaine déjà : - Qu'est-ce que la poésie représente à tes yeux ? La poésie lui plaît. Cela se voit dans son regard. Les yeux ne mentent jamais. Ils sont le miroir de l'âme, n'est-ce pas ? Elle ne semble pas être celle qu'elle ne paraît. Elle se comporte différemment avec moi. J'ai l'impression d'être privilégié par rapport aux autres. Ce qui est plaisant. Elle est touchante dans un sens.

« Tiens-moi ça » Même ces quelques mots suffisent à faire frissonner l'échine de l'italienne. La voix d'Hyram est pesée, suave et rauque. Tant est si bien qu'elle procure à l'italienne une sensation bizarre mais agréable. Elle la prend au tripes et se dissipe dans tout son être. Calée contre son maître en matière de poésie, la blonde se sentait merveilleusement bien. Le verre de rouge du français dans la main, Carmen le porta à ses lèvres sans aucune once de gêne. Ce n'était pas tant pour l'alcool, qu'elle n'appréciait pas plus que ça mais plutôt pour s’abreuver de lui, inconsciemment. Sereine, enfantine, naïve, un large sourire s'était dessiné sur ses lèvres carminées. Un sourire franc, témoignant du bonheur d'être à ses côtés, dans cette bibliothèque. Le lien qui unissait les deux jeunes s'était tissé à une vitesse fulgurante. Un lien que l'italienne était bien incapable de décrire tant il était spécial. Se retrouvée installée entre les jambes d'un quasi inconnu après quelques rencontres seulement était presque inimaginable pour la femme méfiante qu'elle avait toujours été. Et pourtant.. « Petrarca » lui dit elle, tournant la tête afin d'apercevoir le visage concentré d'Hyram, persuadée que le nom de l'écrivain sonnait bien mieux en italien qu'en anglais. Calmement, elle ferma les yeux, appréciant ce poème à sa juste valeur. A l'école, chaque italien se devait de connaître son œuvre la plus réputée ainsi que le nom de sa muse. Laura. Laure, pour les autres. « Il canzoniere.. le chansonnier, je crois ? » Elle n'en était pas sûre. Pas que le poème soit issu du recueil, mais que la traduction soit exacte. Quoiqu'il en soit, elle connaissait cette partie pour l'avoir étudiée. Et ses lèvres s'étaient mouvées, se calquant sur son rythme et avaient chuchoté ce même refrain, dans sa langue maternelle. Le silence s'installa. Pas un silence pesant, non. Un silence qui lui permit de réfléchir, de s'imprégner des mots et de profiter de cet instant. Sa main vint caresser doucement la cuisse du français, songeuse. Pourquoi aimait-elle la poésie ? L'histoire était longue, peut-être un peu futile. « Une façon de m'échapper de cette vie pourrie qu'on m'a offert. » répondit-elle simplement, sans entrer dans les détails. Détails peu importants de toute façon. Doucement, l'italienne se retourna, de manière à lui faire face, à ce que leurs jambes soient entremêlées. « Tu es une énigme pour moi, Hyram. Je... J'ai l'impression qu'un lien s'est instauré entre nous sans pour autant le comprendre, te comprendre. » ajouta-t-elle, un peu moins mutine que d'ordinaire, un peu plus sérieuse, mais toujours tendre. Ne pouvant être autrement avec lui.