Changer de partenaire, à trois semaines de l'arrêt officiel du jeu, ça avait tendance à faire tout drôle. Surtout lorsqu'on se coltinait le même partenaire depuis dix semaines. Et d'autant plus lorsque ledit partenaire était un amour et quelqu'un à qui l'on avait fini par s'attacher. Pourtant, autant le dire, les choses ne furent pas évidentes aux débuts du partenariat de Bob et Mado. Leurs premiers échanges furent électriques et teintés d'une nette méchanceté, si bien que personne et certainement pas eux n'aurait pu s'imaginer que les choses tourneraient finalement de la sorte, que Mado se prendrait d'affection pour celui qui était devenu un ami avant tout, et qu'elle serait si dépitée, si déphasée, au moment où on le lui enlèverait. Définitivement, ils étaient partis de bien loin. Mais c'était finalement tout autant le cas avec son nouveau partenaire, Emilien, avec qui tout ne fut pas non plus particulièrement facile au départ. Eux aussi avaient connu quelques tensions, quelques malentendus, et il ne fut clairement pas évident de les dépasser. Pour autant, à force d'efforts et de bonne volonté, ils y étaient parvenus. Et à ce jour, Mado n'était pas mécontente à l'idée qu'Emilien soit son partenaire, même si elle se voyait mal dormir dans le même lit que le petit ami de son petit frère, mais ça, ça n'était finalement qu'un détail, car ça n'étaient pas les lits vides qui manquaient par ici. Toujours est-il que son nouveau partenaire lui avait proposé, la semaine passée, de lui apprendre à jouer du piano. Rappelons que Mado avait connu une petite honte au moment où il avait laissé entendre qu'il avait huit ans d'exercice derrière lui, ce qui n'était assurément pas le cas de la française qui, disons-le clairement, n'avait jamais tellement touché une touche de piano de sa vie. Alors oui, elle comptait sur Emilien pour qu'il lui apprenne les bases, pour qu'il lui donne l'impression qu'elle n'était pas bonne qu'à faire de la boxe ou de la natation. Elle ne voulait pas nécessairement savoir jouer, car ça ne se ferait très certainement pas en une fois, mais au moins pouvoir tenir quelques notes justes. Peut être n'était-ce pas bien difficile. Mais peut être l'était-ce, alors dans le doute, elle voudrait qu'il soit perpétuellement derrière elle pour l'aider. En attendant, ils s'étaient donnés rendez-vous dans le salon, dès le lundi après-midi, histoire de ne pas perdre de temps. Mado arriva la première et campa devant l'instrument, fermement décidée à s'y essayer. Et lorsque son camarade et nouveau partenaire arriva, elle ne put que s'enthousiasmer, naturellement. « Emilien, te voilà ! C'est le grand jour. Tu sais, celui où je vais m'essayer au piano pour la première fois de ma vie et où tu vas potentiellement passer trois heures à tenter de m'expliquer ne serait-ce que le principe des gammes. » Oui, c'était encourageant, elle en avait conscience. Nul doute qu'il aurait d'autant plus envie de lui apprendre à jouer, hein. Olala, c'est que ça faisait franchement envie d'avoir une élève telle que Mado. Elle aurait du demander une lettre de recommandation à Myles, qui avait tenté de lui apprendre à patiner. Ouais, c'aurait été judicieux. « Bon par contre, si tu pouvais éviter de me faire jouer une mélodie triste, ce serait bien. Parce que je n'ai pas tellement envie qu'on soit tentés de pleurer la perte de nos partenaires, en fait. Vraiment, si l'on pouvait éviter, ce ne serait pas plus mal, je pense. » Mais elle, elle disait juste ça comme ça, hein. C'est qu'elle pouvait être vachement sensible, par moment. Et puis, elle aurait suffisamment de larmes à verser au moment où Emilien capitulerait devant sa médiocrité. Ouais, voilà.

Une nouvelle semaine commençait au sein du chalet. Il ne les comptait plus vraiment, peut-être cela faisait juste huit ou neuf, ou dix semaines. Il ne savait pas vraiment, ou plus. Il était arrivé à un moment où il arrêtait de compter. Et qui disait nouvelle semaine, disait nouvelle partenaire. Le prime, d’hier soir, avait sonné le glas pour la partenaire d’Emilien, Emmeline. Cette nouvelle ne l’avait pas si enchanté que cela. Il avait vécu depuis le début de cette aventure avec cette seule et même personne, Emmeline. Il était attaché à la jeune femme, à un tel point qu’elle était devenue sa confidente, son soutien permanent au sein de ce nid. Il était peiné par la perte de sa partenaire. Il savait qu’avec celle qui était devenue sa nouvelle partenaire, cette relation ne sera pas la même que celle qu’il avait pu avoir avec Emmeline. Il n’y aura plus de câlins, plus de baisers, plus de confidences sur l’oreiller. Il ne s’imaginait pas dormir aux côtés de sa nouvelle partenaire, d’ailleurs. Non pas qu’il ne l’apprécie pas, non. Tout simplement parce qu’elle était la sœur de celui qu’il aimait, Ezra. Dormir avec Mado serait un peu étrange. Car oui, Mado était devenue sa nouvelle partenaire. Leur relation n’avait pas été aussi simple qu’elle pouvait laisser paraitre aujourd’hui. Elle était teintée de tensions, de problèmes communicationnels, de malentendus. Mais ce temps-là semblait à présent révolu, puisqu’ils semblaient commencer à s’apprécier. Ce n’était pas plus mal en soi. Ils avaient d’ailleurs de passer un peu de temps ensemble. En effet, il y a de cela une semaine, Emilien lui avait proposé de lui faire son baptême de piano. Il ne savait pas dans quoi il s’était lancé en lui proposant de l’initier au piano. Deux schémas pouvaient se dessiner, à vrai dire. Soit, Mado était une élève vraiment médiocre, au point où Emilien abandonnera, soit elle était une élève appliquée et rigoureuse, ayant un minimum le rythme musical. Emilien rejoignit le salon, lieu où le piano créchait. Mado était déjà là, sûrement un peu en avance, mais surtout bien décidé à réussir à manier l’instrument. Que d’enthousiasme. Un sourire se peignit sur les lèvres du suisse à l’écoute des paroles de sa nouvelle partenaire. Il était certain que ce ne sera pas une demi-heure qu’il réussira à lui faire jouer quelques notes correctement. Mais avec de la bonne volonté, et du travail, elle y arrivera. Il prendra le temps qu’il faudra pour qu’elle y arrive. Il espérait surtout que Mado ait la patience. « Ne t’en fais pas, nous passerons le temps qu’il faudra. » répliqua-t-il aussi. Il ne fallait pas qu’elle s’inquiète pour cela, Emilien était prêt à passer toute sa fin d’après-midi assis devant ce piano. Ce n’était pas lui que ça dérangerait. Mado lui demanda alors de ne pas lui faire jouer une mélodie triste. Emilien laissa s’échapper un petit rire étouffé entre ses lèvres. Qu’elle ne se fasse pas de soucis là-dessus, ce n’était pas dans les attentions du jeune garçon. Elle mentionna par la suite la perte de leur partenaire respectif. En effet, le même soir, Mado avait perdu son partenaire, Bob, et Emilien avait perdu la sienne. Les deux nouveaux partenaires étaient, certainement, touchés par la nomination de leur compère. Ils avaient vécu de longues semaines à leur côté. Enfin soit. Ils n’étaient pas venus pour ruminer sur le sort de leur ancien acolyte. « Ne t’en fais pas, ce n’était pas dans mes attentions. De toute façon, tu vas commencer par des choses vraiment basiques. J’espère que tu n’espérais pas savoir jouer ta chanson préférée d’ici une ou deux heures. ». Il était certain que si sa chanson préférée était l’une de ces chansons enfantines que l’on pouvait apprendre à l’école, il n’y avait pas de doute, elle pourrait apprendre à la jouer. Mais, ça ne devait pas être du goût de la jeune femme. Emilien vint alors s’asseoir sur le siège au côté de Mado. « Quoique… c’est possible. Ca nous éviterait de passer par toutes ces leçons formelles et ennuyantes. Que veux-tu donc jouer, Mado ? » lui demanda-t-il. Oui. Voilà autant lui demander, comme cela il saura ce que la jeune femme écoutait au quotidien. Puis autant qu’elle apprenne une mélodie qui lui faisait plaisir, et non pas quelque chose qu’Emilien pourrait lui imposer. Certainement, dans ce dernier cas, elle ne prendrait pas plaisir à apprendre.

Mado ne croyait pas si bien dire lorsqu'elle prétendait que c'était le grand jour. Parce que, clairement, ça l'était. Oui, vraiment. Parce que l'empotée qu'elle était apprendrait à pianoter quelques peu, et que ça n'était pas loin d'être un évènement à importance capitale. C'était tout de même une chose qui lui faisait envie depuis bien longtemps, probablement des années, mais qu'elle n'avait jamais suffisamment assumé pour oser prendre des cours ou demander directement à son petit frère de l'aider à la concrétiser. Finalement, il aura fallu qu'elle participe à cette aventure et qu'elle y rencontre Emilien, pour que ce soit chose faite. Quelle ironie, quand on sait combien leurs rapports furent particuliers au départ. Combien il ne fut pas aisé pour eux de s'entendre, mais surtout de se comprendre. Car cela avait été leur plus gros problème, pendant bien longtemps. Et cela avait bien failli conduire Mado à baisser les bras définitivement, ce qui aurait été dommage, autant parce qu'Emilien pourrait pleinement intégrer l'entourage d'Ezra et Mado une fois le jeu terminé, que parce que la jeune femme appréciait beaucoup la tournure de sa relation avec son camarade, qu'elle commençait à apprécier. Surtout que bon, il était aussi devenu son partenaire. Oui, oui. Qui l'eut cru, hein. Pas elle, c'est certain. Mais elle n'était pas contre cette idée, vous savez. Bien sûr, il ne remplacerait pas Bob, avec qui elle avait été liée pendant de longues et symboliques semaines, mais étant donné que sa relation avec Emilien était d'avantage au beau fixe depuis quelques temps, elle était assez enthousiaste à l'idée de former un "couple" avec lui. Elle prenait ça comme une sorte de pied-de-nez qu'ils feraient au destin, pour lui prouver que malgré tout ce qui avait pu se passer, les choses prenaient une tournure appréciable. C'était tout ce qui importait. Ça, et le fait qu'il veuille bien lui apprendre les bases du piano, évidemment. Il était assurément un homme de parole, et Mado s'en réjouissait, elle qui tenait véritablement à sa leçon. Nul doute qu'elle n'aurait pas supporté qu'il annule et brise ainsi tous ses rêves. Vraiment, c'aurait été triste. « Dans ce cas, je pense qu'on aurait du faire un détour par le cellier avant de venir ici. C'est que ça risque de prendre des jours, quand on y pense. » Oui, après avoir prétendu que ça mettrait trois heures, maintenant elle était encore moins optimiste. Okay, elle était probablement entrain de s'amuser de la situation, et du fait qu'elle puisse être franchement longue à la détente lorsqu'il s'agissait d'intégrer certaines choses. Pourtant, elle y mettrait autant de bonne volonté que possible, c'est certain. Quant au fait de pleurer la perte de leurs partenaires, et bien non, ça ne la tentait pas plus que ça. C'est fou, hein ? Oui, très. Donc bon, si Emilen pouvait éventuellement opter pour quelque chose d'assez gai, ce serait sans doute une bonne chose. « Quoi ? Alors, le but de tout ça, ça n'est pas de me préparer pour les prochaines Victoires de la Musique Classique ? » s'insurgea-t-elle, lorsqu'il laissa entendre qu'il valait mieux qu'elle n'espère pas atteindre un niveau remarquable à l'issue de cette leçon. Mais, pourquoi tant de haine ? Elle était si déçue, olala. « Mais à quoi ça rime, alors ? » reprit-elle, ne pouvant cette fois-ci s'empêcher de sourire de façon amusée. Oui non mais, attendez, elle savait bien qu'elle saurait tout juste appuyer sur une touche sans que le piano s'effondre, hein. Pas de panique, elle était consciente qu'elle ne risquait pas de briller. Oui, vraiment, elle ne se faisait pas d'illusions à ce niveau-là. Mais voilà qu'Emilien laissait maintenant entendre que Mado pourrait directement choisir ce qu'elle voudrait jouer. Oula, c'était risqué ça. D'ici à ce qu'elle lui sorte un truc impossible à jouer, hein, bon. « Oh tu sais, je n'y connais absolument rien en musique. Donc je peux toujours te dire que j'adore les chansons d'Elton John, mais je doute que ça nous avance. On devrait peut être viser Frère Jacques dans un premier temps, non ? » Non pas qu'elle se pense franchement nulle à chier avant même d'avoir essayé, mais ... si.

Emilien lui avait promis cette leçon de piano. Ce baptême de piano. Malgré cette promesse, il aurait très bien annuler au dernier moment, décrétant qu’il avait d’autres choses de prévu (fait qui s’avérerait être un mensonge) ou bien ne pas venir et lui poser un lapin. Evidemment, Emilien tenait toujours ses paroles. Même si ses oreilles risquaient de souffrir au début de ce dit cours. En effet, ce sera la première fois que Mado touchera à piano. La première fois qu’elle pianotera quelques notes. Elle n’avait jamais joué de piano, alors son niveau allait forcément être médiocre. Il se douterait bien qu’au début, des fausses notes émaneront de ce piano. Mais il ne fallait pas partir perdant dés le début. Ils prendront donc le temps ensemble pour que Mado parvienne à jouer quelques notes justes et harmonieuses. Ils pourront mettre une, deux, trois même cinq heures ce n’était pas trop grave. Mado ajouta qu’ils y passeront des jours. Des jours… peut-être, mais il n’allait pas non plus s’acharner sur la jeune femme. Il n’était pas non plus contre l’idée de passer au cellier avant de se rejoindre. Ils auraient pu grignoter entre deux ou trois notes, ou se désaltérer quand la soif se fera sentir. Il la rassura sur le fait qu’il ne lui fera pas jouer quelque chose de triste ou mélancolique. Ils commenceront des choses simples, pas d’artifices dés le début non. Apparemment, ce n’était pas dans les attentes de ladite élève. Elle espérait pouvoir acquérir un bon, très bon, niveau à la fin de cette leçon. Sûrement n’était-elle pas sérieuse. Ou alors, elle devait être sacrément optimiste quant à ses compétences. Chose qui contrastait avec ses quelques paroles précédentes. Finalement, Emilien décida de mettre de côtés la leçon formelle. Mado trouvera certainement cela trop ennuyant, et lui aussi à vrai dire. Il lui demanda alors ce qu’elle voulait jouer. C’était beaucoup plus sympathique qu’elle apprenne à jouer une musique qu’elle appréciait. Elle prendra certainement plus de plaisir que si Emilien imposait ses choix. Les clés étaient donc dans ses mains. Il lui lança un bref regard, dessinant un petit rictus. Elle ne s’y connaissait pas en musique. Pire encore. Elle n’y connaissait rien. Devait-il commencer à s’inquiéter ? Allez, ça n’allait pas être quelques mots qui le rendraient timoré. Elle mentionna ensuite le nom d’Elton John. Elle voulait donc jouer du Elton John ? Quelle chanson de l’artiste ? Frère Jacques. Ah ? C’était un autre registre que celui de Sir Elton John. Un registre un peu plus enfantin. Emilien émit alors un petit rire. Mado semblait assez sérieuse quant au choix de la chanson. Il se racla doucement la gorge, reprenant alors ce sérieux qu’on lui connaissait tant. « Va pour… Frère Jacques, alors. Avec une telle chanson, il n’y a pas de raison que tu n’y arrives pas. ». Oh ça oui. Une comptine pour enfant. Elle aurait quand même choisir un peu plus difficile, n’est-ce pas ? Après tout, elle était sportive. Savoir prendre des risques, elle devait savoir faire. « Ne perdons donc pas une seconde. Plus vite on s’y met, plus vite on aura fini ! ». Ou pas vraiment. Il ne savait pas le niveau de Mado. Alors, peut-être qu’elle réussira à assimiler chaque geste, chaque note rapidement… ou peut-être pas. « On va commencer à jouer avec une main, ensuite, on compliquera en jouant avec les deux mains. Alors, tu vas te concentrer sur ma main droite, et regarder ce que je vais faire. Ensuite, tu reproduiras, d’accord ? ». Reproduire, imiter. Ce sera forcément plus simple que quelques explications floues. Les enfants se basaient sur l’imitation au cours de leur apprentissage. Certes, Mado n’était plus une enfant. Emilien commença donc à jouer. Appuyant tout doucement sur trois touches distinctes. Il ne voulait pas aller trop vite dans ses mouvements afin que la jeune femme puisse mémoriser. Puis il reproduit ses trois notes, en y ajoutant trois autres différentes. Le suisse rejoua alors un peu plus rapidement afin de montrer le résultat final à la jeune femme. « Allez, à toi maintenant ! » lâcha-t-il alors en croisant les bras.

Très honnêtement, Emilien avait eu tout intérêt à ramener ses fesses jusqu'au salon et à honorer sa parole, parce que sinon, Mado aurait très probablement été capable d'aller le chercher elle-même, puis de le trainer ici par les cheveux. Oh oui, ça lui ressemblait bien. Non pas qu'elle soit violente - ça dépendait des situations, du moins - mais elle était très branchés principes, valeurs, tout ça ... Bref, il avait été malin en se pointant, voilà tout. Mais de toute façon, c'était un bon petit, quelqu'un de réglo, alors elle n'avait jamais tellement supposé qu'il oserait lui faire l'affront de ne pas venir. Surtout que bon, c'aurait été dommage qu'il s'y risque alors que leur relation commençait à prendre de jolies couleurs. Oui, vraiment, ça aurait tout gâché et Mado aurait été d'autant plus rancunière. Voilà, voilà. Tout ça pour dire qu'elle exagérait à peine, finalement, lorsqu'elle disait qu'il pourrait falloir plusieurs jours pour qu'il lui apprenne le principe des gammes. Alors déjà, "gammes" était un mot qu'elle avait du entendre un beau jour, et qu'elle ressortait comme elle le pouvait. Elle n'était même pas certaine qu'il lui faille vraiment s'emmerder à comprendre ce genre de trucs, parce que la théorie, c'était bien mignon, mais la pratique, c'était quand même un peu mieux. C'était un peu comme le sport : on apprenait en s’exerçant, tout simplement. A noter que Mado était toujours aussi optimiste, hein. A croire qu'elle voulait faire fuir son professeur en le décourageant une bonne fois pour toute. Mais pour le coup, c'était elle qui tombait de haut, en apprenant qu'elle n'atteindrait pas un niveau d'excellente à l'issue de cette leçon. Ah non, vraiment ? Et bien elle était très déçue. Parce que naturellement, elle s'était imaginée choper le truc à vitesse grand V, épater Emilien, puis dépasser son maître, et tout ça en une seule après-midi. Okay, pas du tout. Elle n'était heureusement que trop lucide concernant son niveau, qui était pour le moins inexistant en fait, et qui ne lui permettrait assurément pas de briller, ni aujourd'hui, ni demain, ni l'année prochaine probablement. De toute façon, ça n'était pas comme si elle avait prévu de se lancer dans la musique, hein. Pas vraiment. Disons qu'elle allait rester dans le sport, parce qu'au moins, elle y était assez forte. Mais apprendre à pianoter étant toujours d'actualité malgré cette tentative d'humour bien foireuse, Mado fut amenée à choisir une chanson qu'elle apprendrait à jouer. Dans un premier temps, elle crut bon de préciser qu'elle adorait les chansons d'Elton John. Alors déjà, qui n'adorait pas les chansons d'Elton John ? C'était la came de tout le monde, généralement. Et donc, c'était la sienne. Un détail d'une importance capitale, oui, surtout quand on sait qu'elle ne risquait pas d'être capable de jouer la moindre intro du moindre tube d'Elton John justement. Donc hm, pourquoi ne pas viser un peu moins haut ? Oh, Frère Jacques, c'était beaucoup plus accessible non ? Adjugé vendu pour Frère Jacques, donc. Ce serait assurément beaucoup plus simple de se faire la main sur un morceau comme celui-ci. Disons que c'était plus de son niveau et qu'il y aurait bien moins de risques qu'elle soit ridicule, ce qui n'était pas négligeable quand on y pense. « Oula, attends, évite de me dire ce genre de trucs, parce que j'ai tellement l'esprit de contradiction que je pourrais faire exprès de me foirer, justement. » Le pire, c'est qu'elle assez sérieuse quand elle disait ça. Comprenez bien qu'elle était tellement chiante, qu'elle pourrait vouloir lui donner tort sur ce point, quitte à passer pour une grosse nouille. Emilien lui proposa en tout cas de s'y mettre, ce qu'elle accueillit avec un certain enthousiasme, en hochant vivement la tête en somme, tandis qu'il lui expliquait déjà comment les choses se passeraient. Une main, deux mains, main droite, reproduire ... Oui bon, elle allait essayer d’assurer, hein. « Dit comme ça, ça me semble faisable. » En théorie, en tout cas. Parce que concrètement, elle appréhendait quand même un peu le moment où elle devrait déposer ses doigts sur les touches. Ce serait un grand moment, mais peut être de solitude surtout. Toujours est-il qu'elle était impatiente de commencer. Elle laissa alors le jeune homme commencer à jouer, fixant sa main avec une certaine fascination - et un air très abruti, oui, c'est vrai - avant de paniquer légèrement au moment où ce fut à elle. « Ah ... déjà ? Okay, j'y vais. » Ainsi, elle tâcha d'imiter ce qu'elle avait retenu des gestes de son camarade, rejouant avec plus ou moins d'efficacité le début de mélodie. Voilà qui était fait. « C'était comment ? Nul, ou très nul ? Parce que je ne suis pas sûre d'être parvenue à ... Non parce qu'en fait, je pense que j'ai ... Et du coup, il est probable que ... Bref, on s'en fout. Ton verdict, Emilien ? » Autant dire que s'il pensait à tourner ça subtilement histoire d'éviter de heurter sa sensibilité, c'était bien inutile. Elle voulait la vérité. Et elle la voulait maintenant.

Mado avait ainsi choisi la chanson qu’elle apprendra à jouer. Frères Jacques. Un choix quelque peu surprenant. Qu’un enfant lui demande de jouer cela, il ne serait pas surpris… mais là. Une jeune femme d’une vingtaine d’années. Il n’aurait certainement trouvé cela moins drôle, moins plaisant qu’elle lui cite l’un des hits d’Elton John. Frères Jacques. Une comptine pour enfant, il n’y avait donc pas de difficulté là-dedans. Et surtout, Mado devait très certainement connaitre l’air par cœur, alors elle n’aura encore moins de difficulté pour trouver le rythme. Son choix était simple, trop facile certainement aux yeux d’Emilien. Mais il ne pouvait pas lui en vouloir de cela. Après tout, c’était la première fois qu’elle allait jouer, qu’elle allait toucher du bout des doigts l’instrument. Alors, il valait peut-être mieux qu’elle s’essaie à quelque chose de plus simpliste. Le jeune suisse proposa donc qu’ils s’y mettent aussitôt, et qu’ils ne trainent pas. Plus vite ils s’y mettront, plus vite ils auront fini. Voilà. Mado lui conseilla malgré tout de ne pas lui dire de telles choses. Ah ? Il sourcilla légèrement quelque peu surpris. Après tout, il n’avait rien de mal, il se montrait plutôt encourageant dans ses mots. Expliquant à la jeune femme qu’il n’y aurait aucune difficulté dans le morceau à jouer. Elle lui expliquait qu’elle pourrait faire exprès de se tromper, de mal de jouer, de se foirer comme elle venait de lui dire. Oh ? Vraiment ? « Tu n’ferais quand même pas ça ? » rétorqua-t-il alors. Qu’elle se méfie, il serait capable de changer ses plans et de choisir, finalement, de lui faire jouer du Chopin ou du Beethoven en la torturant. Emilien finit par lui expliquer comment il procéderait. Elle commencerait à jouer d’une main, puis de deux. Evidemment, la difficulté ira crescendo. Ce serait trop simple autrement et pas intéressant, ou moins drôle. Pour Mado, cela semblait être faisable. Evidemment que ça l’était. Il ira tout doucement au début, pour lui permettre de bien photographier chacune des touches où Emilien appuiera et dans quel ordre surtout. Le jeune pianiste montra donc à Mado la première partie du morceau. Lorsqu’il eut fini, il lança un bref regard en lui disant que c’était son tour. Un fin sourire s’esquissa sur ses lèvres, tant dit que Mado se lança dans l’exercice. Son rictus s’élargit petit à petit. Il observa alors son élève jouer, écoutant avec attention chaque timide son qui émanait du piano. Lorsqu’elle eut fini, elle lui demanda aussitôt son avis. Comment c’était ? Nul, très nul ? Elle semblait assez pressée d’avoir un avis sur son début. Sur ces toutes premières notes qu’elle venait de jouer. Elle lui demanda donc ce qu’il en pensait. Emilien prit un petit air songeur, laissant s’échapper un « hum » entre ses lèvres. Enfin, il n’allait pas faire durer le suspens aussi longtemps que cela. Mado aurait très certainement envie de meurtre s’il faisait cela. « Pour une première fois, tu t’en sors pas trop mal. J’ai entendu des choses bien pires… Essaie juste t’appuyer un peu plus fort sur les touches. Le piano ne va pas s’écrouler, tu sais. Il est bien solide ! ». Evidemment. Il ne fallait pas qu’elle ait peur de cela. Comme si le piano pouvait s’écrouler. Bah voyons. Si elle ne le croyait pas, il pourrait lui en faire la démonstration. Mais il n’aura pas à le faire, puisqu’elle le croira sur parole, n’est-ce pas ? « Passons donc à la suite… » souffla-t-il. Elle semblait avoir compris le truc, alors autant passer à autre chose, plutôt qu’à s’attarder sur ce qu’elle venait de jouer. Ils auront tout le temps de corriger les petits détails, de toute façon. Emilien joua alors de l’autre main, cette fois-ci. Main gauche, donc. Fait qui ne s’avérait pas si évident que cela pour certaines personnes. Il lui montra donc au ralenti sur quelles touches devait-elle donc appuyer et l’ordre précis. L’ordre avait une importance, autrement la mélodie ne ressemblerait pas du tout à celle que la jeune femme avait envie de jouer. Frères Jacques, rappelons-le. « Prends ton temps, et ne cherche pas à te précipiter, d’accord ? » lui conseilla-t-il alors, avant que la jeune femme se mette à jouer.

Que tout le monde se rassure, non, Frère Jacques n'était pas la chanson préférée de Mado. Pas vraiment, non. Mais c'était quelque chose d'assez élémentaire, et donc de plus accessible que toutes les chansons qui avaient pu lui passer par la tête au moment où son partenaire lui avait demandé ce qu'elle voudrait apprendre à jouer. Parce que oui, évidemment, elle aurait pu laisser entendre qu'improviser l'intro de Bohemian Rhapsody l'aurait bien tenté, mais comment dire, elle estimait que ça n'était pas encore de son niveau. Si elle venait à faire huit ans de piano comme Emilien, là elle reconsidérerait la chose, mais de toute façon ça n'était pas franchement prévu. Ouais non, Frère Jacques, c'était définitivement très bien. Le choix parfait. Oui, elle en était franchement certaine, et du coup, elle était un peu moins sûre qu'elle allait se foirer. Elle gardait une infime part d'optimisme, disons. Ça ne coûtait rien d'y croire, après tout. Toujours est-il qu'il ne fallait pas non plus s'emballer, hein. Rappelons tout de même que Mado n'avait jamais touché une touche de piano de sa vie, que c'était un univers qui lui était absolument inconnu, et donc qu'il était à peu près certain qu'elle ne brillerait pas aujourd'hui. Donc Emilien était bien mignon de dire qu'avec un tel choix de chanson, elle aurait peu de chances de se manger une honte mémorable, mais c'était bien mal la connaitre que de croire qu'elle n'était pas capable de générer sa honte, justement. Oui, en grande chieuse qu'elle était, qui dit qu'elle ne serait pas tentée de se foirer juste pour lui donner tort et ainsi lui prouver que, eh oui, elle pouvait tout aussi bien merder sur Frère Jacques que sur Your Song ? C'était Mado, hein, quand même. Emilien sembla alors s'interloquer de sa remarque, ce qui la fit doucement sourire. Oh il allait probablement se dire qu'on lui avait refilé une grosse emmerdeuse en tant que partenaire, et il était probable qu'il ne se trompe pas. « Si, si. Mais ce serait plus un acte manqué qu'autre chose, à mon avis. C'est simplement dans ma nature de contredire les autres. Je crois que je n'y peux pas toujours grand chose. » Et le pire, c'est qu'elle ne se foutait même pas de sa tronche. Non, elle était bien sérieuse. Parce que souvent, elle en arrivait à ne pas pouvoir faire autrement que de se donner raison, sans toujours le vouloir donc. C'était parfois plus fort qu'elle, oui, aussi fou cela puisse-t-il être. De toute façon, elle n'était pas non plus très nette comme fille, ou disons qu'elle était tellement compliquée que ça la dépassait parfois elle-même. Ouais, ça devait très certainement être ça. Tout ça pour dire que son camarade était prêt à commencer, et que Mado l'était tout autant. Elle avait hâte, tout de même, de pianoter pour la première fois de son existence. Même si elle appréhendait le résultat. Emilien avait beau se montrer rassurant et précis dans ses explications, elle n'en doutait pas moins de ses capacités. Comme quoi, dans le domaine qui permettait à son partenaire de prendre confiance, c'était Mado qui galérait un peu plus. Quelle douce ironie. Emilien se mit alors à jouer quelques notes, que la jeune femme tâcha de mémoriser tant bien que mal, vu qu'elle était peut être distraite par le fait de l'entendre jouer, vu que ça aussi c'était la première fois et que ça faisait écho à leur discussion dans la cuisine. Il termina et ce fut à elle. Oui, déjà. Et oui, elle avait tendance à penser qu'il n'aurait pas été plus mal qu'il lui joue la mélodie huit fois de plus, histoire d'être sûre de pouvoir se lancer. Sauf que non, c'était à elle, et maintenant. Alors elle joua, sans oser trop en faire, si peu sûre d'elle qu'une fois après avoir terminé, elle interrogea son partenaire sans trop se faire d'illusions. Allez, il pouvait bien le dire que c'était nul à chier. Elle le vivrait bien, promis. Emilien sembla perplexe, ce qui ne la rassura pas des masses évidemment. Puis il commenta sa prestation, et un sourire fendit les lèvres de Mado. Ouais bon, effectivement, elle n'avait pas tellement osé appuyer sur les touches. Mais il fallait la comprendre, elle débutait. « Je m'en doute, mais tu sais, je ne maitrise pas toujours ma force non plus, hein. » Mais là elle plaisantait, évidemment. Elle tâcherait donc d'appuyer un peu plus, car elle comptait bien prendre ça comme un bon conseil à suivre. Il était son professeur après tout, alors autant apprendre de ce qu'il avait à dire, hein. Bon. La suite, donc. Emilien joua alors de la main gauche, et là, ça se compliquait. Des mains gauches, soyons claires, Mado en avait techniquement deux, ou selon l'expression en tout cas. Mais jouer de la main gauche, il n'était pas dit que ce soit pour autant faisable. Oui, elle avait tendance à penser qu'il rendait la chose franchement complexe, et dès le début. Un vrai petit fourbe, cet Emilien. Toujours est-il que c'était à nouveau à son tour, et qu'elle craignait une belle catastrophe du coup. Ah et, il lui disait de ne pas se précipiter. Un autre bon conseil, probablement. Ainsi, elle hocha doucement la tête et se mit à jouer, toujours peu convaincue. Elle appuya davantage sur les touches, tâchant de se rappeler de celles qu'il venait lui-même de jouer. De la main gauche, clairement, c'était encore moins évident. Du coup, c'était loin d'être fameux. « Voilà. Alors hm, si la fin t'a paru suspecte, c'est normal, elle était un peu improvisée. J'ai perdu la mélodie sur les dernières notes alors j'ai essayé de rattraper le truc, mais ça n'a pas du faire illusion ... » Non, probablement pas du tout. Parce qu'elle avait voulu prendre une initiative, parer à son trou de mémoire, mais que ça avait peut être été pire que si elle n'avait pas joué les notes, finalement.

Esprit de contradiction. Nature de contredire. Emilien n’était sûrement pas tombé sur la partenaire la plus simple d’esprit. Ni la plus compliquée, certes. Elle était peut-être enquiquineuse. Un peu. Ou beaucoup. Il ne savait pas vraiment. Ou pas encore. Il espérait malgré tout qu’avec un peu de bonne volonté, elle ne le contredirait pas comme elle lui avait annoncé quelques minutes auparavant. Ce n’était pas trop grave, il saurait se venger. Une vengeance vraiment pas méchante, en soi. Ne vous inquiétez pas. Emilien n’était pas un garçon très offensif. Alors, elle n’avait vraiment pas grand-chose à se méfier de lui. Elle pouvait donc se rassurer en se disant qu’elle était tombée sur le partenaire le plus… ou plutôt le moins violent du nid. Même Bob devait être plus teigneux qu’Emilien. Ce dernier commença alors sa leçon. Pas de minute à perdre, non. Il avait donc commencé par une suite de notes simples à jouer. Simples oui, puisque Mado y était arrivée. C’était certain qu’elle n’osait pas appuyer sur les touches. D’ailleurs, le suisse ne manqua pas de lui faire remarquer une fois qu’elle eut terminée. Elle ne se débrouillait pas trop mal. Elle n’était pas si… nulle. Enfin pour le moment. Peut-être qu’en augmentant la difficulté, là, Mado montrera ses failles. C’était inévitable. Elle lui précisa alors qu’elle ne maitrisait pas toujours sa force. Certes, mais on ne lui demandait pas non plus de donner des coups de poings dans les touches. Juste d’appuyer un peu plus fort, et avec un peu plus d’assurance. « Roh, tu n’as quand même pas une poigne d’ours voyons ! » lui fit-il remarquer, un petit rictus amusé s’éprenant petit à petit de ses lèvres. C’était juste une remarque pour lui faire comprendre qu’elle pouvait appuyer aussi fort qu’elle le voulait, il n’arrivera rien à ce piano. A moins qu’elle soit d’une force surnaturelle. Là, il regretterait d’avoir prononcé ces mots. Après lui avoir prodigué ce premier conseil, Emilien passa alors à la suite. Suite un peu plus compliqué puisqu’il s’agissait de jouer avec la main gauche. Fait qui s’avérait être d’une simplicité déconcertante pour Emilien, mais qui ne l’était pas pour la plupart des personnes. Sûrement Mado faisait-elle partie de ce groupe de personnes. Il le saura bien d’ici quelques secondes de toute façon. Il joua donc lentement, très lentement, pour Mado. Après avoir répété l’enchainement quatre fois, il s’arrêta donc. Laissons place à son élève pour qu’à son tour elle puisse jouer. Il l’observa attentivement, prenant un petit air sérieux et concentré. Elle semblait quelque peu… perdue. Pour ne pas dire qu’elle n’y arrivait pas vraiment, ou peu. Certains diront qu’elle galérait bien. Mado lui expliqua donc que la fin de l’enchainement était improvisée. Tout cela expliquait donc la présence de fausse note. Emilien ne put s’empêcher d’émettre un petit rire, amusé par les explications de la jeune femme. Il ne se moquait pas d’elle. Ce n’était pas son genre d’être moqueur de toute façon. Elle avait donc perdu la mélodie. Mélodie des Frère Jacques. C’était malgré tout à son honneur, puisque malgré cela, elle ne s’était pas arrêtée au beau milieu de l’enchainement en prétextant qu’elle ne savait plus. Emilien reprit alors son sérieux. Il n’allait pas continuer de rire sous son nez. « Regarde, je vais te réexpliquer en divisant l’enchainement en deux. Tu commences par ça… Jusque là, tu n’avais pas de problème… et ensuite, tu fais ça… regarde bien… un, deux… et trois. » souffla-t-il alors tout en réexpliquant à la jeune femme. A ses mots étaient associés quelques gestes. Lui remontrant alors l’enchainement de quelques notes qu’il lui avait expliqué avant l’envolé peu lyrique de Mado. « Allez vas-y, retente ! Le début, tu l’as assimilé, plus que la fin. » reprit-il alors, en voulant se montrer encourageant. Elle arrivait à jouer les premières notes, alors elle arrivera à jouer ces dernières notes qui semblaient lui échapper. Il fallait juste qu’elle s’acharne un peu. Puis il ne fallait pas rester sur un échec. Jamais. « Tu me le rejoues trois fois, il faut que tu t’entraines… ». Elle n’avait quand même pas cru qu’en jouant une fois qu’Emilien passerait à la suite. Ah ça non.

Mado ne faisait pas exprès d'être chiante, vous savez. Elle l'était, ça c'était indéniable, et beaucoup pourraient d'ailleurs en attester, mais ça n'était pas toujours de sa faute. Car quelques fois, elle ne pouvait pas faire autrement que d'être franchement casse-pieds, voilà tout. Il ne fallait pas croire qu'elle n'essayait pas de résister à la tentation de se montrer pénible, hein, mais c'était souvent bien vain. Alors oui, elle avait un esprit de contradiction très développé, au point d'avoir bien souvent envie de donner tort aux autres simplement par principe. Ici, par exemple, il n'était pas exclu qu'elle ne soit pas tentée de se foirer sur Frère Jacques simplement pour prouver qu'Emilien avait eu tort de dire qu'elle ne risquait pas le ridicule avec un tel choix de mélodie. Déjà, pour sa gouverne, Mado risquait toujours le ridicule. C'était comme ça. Aussi, ça n'était franchement pas une chose à dire à quelqu'un comme elle qui, sans le faire nécessairement exprès, pourrait donc donner lieu à un massacre musical. Non, vraiment pas. Donc il était prévenu, et qu'il ne vienne pas se plaindre si, à un moment donné, tout partait en cacahuète. Ce serait naturellement de la faute d'Emilen, et pas de celle de Mado. Mais ça, tout le monde l'avait déjà compris. Bien. Concernant le reste, Mado n'était franchement pas confiante lorsqu'il s'agissait de s'essayer au piano. C'était tout à fait inédit, donc relativement impressionnant pour elle. Elle craignait naturellement de mal faire, de péter quelque chose, si bien qu'effectivement, elle n'osait pas tellement appuyer sur les touches. Et cela pouvait en effet être un poil embêtant pour bien entendre les sons. Emilien lui fit alors savoir qu'elle pourrait tout de même se permettre d'appuyer davantage, vu qu'il était effectivement peu probable qu'elle fasse s'écrouler le piano. Ou alors, c'est qu'elle y aurait été vraiment, vraiment fort. Mais ça n'était pas vraiment au programme, de détériorer le matériel, et surtout pas ce beau piano. A noter que la jeune femme prit la peine de faire un peu d'humour, parce que non, évidemment, elle n'avait pas tant de force que ça. Pas au point de pouvoir nuire à un objet de cette taille, c'est certain. « Oh si, quelques fois. Ça dépend juste du contexte. » Oui oui, bien sûr. Autant dire qu'elle n'était pas plus sérieuse, là non plus. Il n'arriverait donc rien à ce piano, tout le monde pouvait se rassurer. Toujours est-il qu'il était maintenant question de jouer avec la main gauche, et que ça n'était pas franchement une idée qui plaisait à Mado. Comprenez bien qu'elle était prête à faire preuve de bonne volonté, mais s'il se montrait fourbe et qu'il lui mettait des bâtons dans le roues dès le début, elle n'allait pas arriver à grand chose, hein. Elle perdrait définitivement confiance en elle et n'oserait plus jamais toucher un piano de sa vie. C'est ça qu'il voulait ? Il voulait briser ses rêves ? Quel monstre. Parce que bon, c'était bien joli de lui montrer quoi jouer, mais de la main gauche, ça risquait de toute façon d'être catastrophique. Pour autant, elle voulait essayer, parce qu'elle était déterminée à mettre toutes les chances de son coté pour gagner en assurance, et surtout en talent. Ainsi, elle pianota à son tour, prenant en compte le conseil d'Emilien, celui lui intimant d'appuyer plus fermement sur les touches et tâcha de limiter la casse sur la fin. Car Mado rencontra un petit problème, sur les dernières notes. Elle ne les avait pas entièrement mémorisé et ne sut donc plus sur quelles touches appuyer. Mais désirant voir si elle pourrait faire illusion, elle avait appuyé de façon hasardeuse sur quelques touches aléatoires. Sauf qu'elle fut bien consciente que c'était tout à fait flagrant, hm. Alors elle préféra le lui avouer, parce qu'il s'en était de toute façon rendu compte, vu qu'il s'y connaissait et qu'il ne devait pas être dupe de ce genre de petites choses. Mado avait simplement voulu parer à un petit trou de mémoire, quoi qu'assez maladroitement il est vrai. Emilien s'amusa en tout cas de ses explications foireuses, ce dont elle ne lui tint pas rigueur, vu qu'elle était elle même disposée à en rire, pour le coup. Il valait mieux ça que d'en pleurer, après tout. Bon. Il se montra alors conciliant et tâcha de lui réexpliquer, histoire qu'elle retienne mieux que la première fois. Ainsi, elle se montra particulièrement attentive, mémorisa chaque touche plus minutieusement que tout à l'heure. Elle dut alors retenter le coup, tâcher de jouer les notes en entier et sans improvisation, et attention, elle devait jouer trois fois. Oui, trois fois. « D'accord, je vais faire de mon mieux » qu'elle souffla alors. Elle prit deux secondes pour se remémorer l'enchainement, puis se lança, pianotant à nouveau. Elle joua les premières notes, et les dernières vinrent naturellement. Une première fois, puis une seconde, et enfin une troisième. Trois fois elle avait joué l'enchainement, et trois fois il fut complet et plutôt mélodieux. Autant dire qu'elle n'était pas peu fière. « Bon, ça n'est pas pour me vanter, mais là je crois que je tiens le truc. » Allez, elle avait bien le droit de se la péter gentiment, parce que quand même, ça n'était pas rien pour elle. Elle prenait même doucement confiance, ce qui annonçait du bon pour la suite. Tout était lié, finalement. « Tu t'y connais mieux que moi, mais franchement, ça m'a semblé convainquant. » Mais peut être se faisait-elle des idées et peut être la corrigerait-il, parce qu'après tout, Mado n'avait pas l'oreille franchement musicale, hm. D'autant plus qu'il pouvait lui manquer une certaine objectivité, hm. « Hé, si ça se trouve, je pourrais jouer ce morceau à Aaron une fois que je le connaitrai en entier. » Oui, elle y pensait tout à coup. Frère Jacques, ça devrait lui plaire. Il avait quatre ans, il ne ferait pas son difficile. Et puis, c'était un gentil gamin, il s’accommodait de pas mal de choses. Bon, allez, elle avait une motivation concrète, là.

Quelques mots, quelques notes, quelques timides rires venaient meubler le silence qui régnait dans ce salon. Dans ce salon aux apparences. En effet, tout semblait être calme. Que ce soit ici, dans ce salon, ou même à l’intérieur du chalet. Ce n’était pas plus mal. Ils étaient dans de bonnes conditions pour cette leçon de piano. Cette fameuse leçon. Mado semblait si enthousiaste à l’idée de pouvoir jouer, de pouvoir apprendre à jouer. Emilien n’était pas aussi exalté que la jeune femme. Mais malgré cela, ça lui faisait plaisir. Plaisir de pouvoir partager l’une de ses passions. Sûrement la seule. Evidemment, Emilien ne ferait pas cela avec n’importe qui. La plupart des candidats ne l’avait d’ailleurs jamais écouté joué. Rare était ceux qui avaient pu écouter quelques notes émaner de ce piano sous la dictée du suisse. S’il n’avait pas apprécié Mado, jamais il ne lui aurait proposé cela. Ou bien, il lui aurait fait faux bond. Là, il s’engageait juste à lui dispenser une leçon de piano. Il n’allait pas devoir jouer un quelconque morceau. Une seule personne lui avait fait cette requête. De lui jouer quelques notes de musique, de lui jouer un morceau, de jouer le temps d’un instant. Une seule personne. Ezra. Emilien n’était pas le genre de garçon à jouer à tout bout de champ devant un quidam, juste pour prouver de quoi il était capable. Il préférait être discret. Aujourd’hui, il allait juste se contenter à aligner quelques notes. Quelques petits enchainements. Mais ce ne sera pas lui qui jouera. Non. Pas lui. Mais Mado. La jeune femme semblait d’ailleurs assez appliquée. Elle voulait sûrement bien faire. Elle avait donc réussi avec brio le premier enchainement dicté par le jeune pianiste. S’en suit un second. Un second qui semblait un peu plus délicat pour la novice pianiste. Elle avait fini par quelques notes improvisées, quelques notes fausses. Les explications prononcées et l’enchainement joué par Mado firent sourire, firent rire le jeune suisse. Il ne se moquait pas. Oh non. Il ne fallait pas que Mado le prenne mal… à vrai dire, il ne savait pas vraiment si elle pouvait prendre mal ou non une telle réaction. A vrai dire, il ne la connaissait pas tant que cela. Pas si bien que cela. Enfin soit. C’était un détail qu’il apprendrait à connaitre, à découvrir au fil de ces quelques jours qui lui resteront à vivre dans ce chalet. Après tout, elle était devenue sa nouvelle partenaire attitrée. Le suisse partit dans de nouvelles explications. Jouant de plus en plus lentement les quelques notes. Il l’encouragea à réitérer. Après tout, c’était en recommençant encore et encore, qu’elle parviendra à mémoriser chaque enchainement. Elle allait faire mieux, lui avait-elle dit alors. Elle avait intérêt. Tout du moins, c’était dans son intérêt à elle. Pas dans le sien. Silencieux, il l’écouta retenter l’exercice. Une fois. Puis deux, et pour finir une troisième fois. Un sourire étira les lèvres du suisse, assez satisfait par la jeune femme. La remarque de Mado le fit sourire un peu plus. En effet, elle semblait tenir le truc. Enfin, s’en rappellerait-elle quelques minutes plus tard ? Il se contenta alors d’un petit hochement de tête, approuvant les paroles de sa nouvelle partenaire. « C’était beaucoup mieux, en effet ! confia-t-il. Cette fois-ci, pas d’improvisation foireuse, mes oreilles n’ont pas trop eu mal. » lâcha-t-il, d’une voix quelque peu teintée d’amusement. Il faisait juste référence au petit incident qui s’était passé, il y a de cela quelques minutes. Mado lui confia à son tour qu’elle pourra jouer ce morceau à son fils, à Aaron, une fois qu’elle le connaitra en même temps. « En effet, je suis certain que ça lui fera plaisir en plus. ». Après tout, ce genre de chansonnette berçait chaque enfance de n’importe quel gamin. Le petit Aaron devait en être friand, certainement. « Tu crois que… je pourrais le rencontrer un jour ? » souffla-t-il alors. La question ne se posait certainement pas. Sa relation avec Ezra semblait devenir de plus en plus sérieuse, profilant à une belle histoire. Un fin sourire se dessina sur les lèvres du suisse. « Enfin, si tu veux lui jouer le morceau en entier, on a du pain sur la planche. D’ailleurs dés que tu te sens prête, tu rejoues les deux enchainements que l’on a vus pour le moment. ».