Austin avait endossé le rôle d'un écorché vif, victime de son amourette étouffante et critiquée avec Alice. J'avais conscience de ne pas être un don de la nature, il ne m'était encore jamais arrivé de m'apitoyer sur mon sort et de me morfondre comme pouvait le faire en permanence le candidat, et ce avec un talent inéluctable. Ces états d'âme étaient parfaitement à l'image d'une jeune femme comme Deirdre, qui connaissait l'art et la manière de jouer la martyr comme personne n'aurait su faire. Ce qui ôtait toute crédibilité au prétendant de la belle blonde. Traversant le jardin enneigé, j'imaginai en chemin mon partenaire effondré sur le lit, du sang ruisselant le long de ses poignets froids, inerte à côté d'une déclaration d'amour destinée à sa demoiselle. Malgré les efforts que je faisais pour tourner la situation au dérisoire, mon visage perdit de son éclat peu à peu, me résignant à avouer que ce scénario utopique resterait le fruit de mon imagination. Je tournai la poignée de la lourde porte qui jusqu'à lors était masquée par d'épais rideaux de velours rouges puis pénétrai dans la chambre éclairée de lumière tamisée. La production avait dû énormément miser sur cette nouvelle pièce pour en faire le nouvel atout du jeu. D'épaisses tapisseries s'étendaient sur les murs de bois sombre. Au milieu trônait un majestueux lit rond, recouvert de multiples couettes, coussins et autres coquetteries futiles. Je m'assis finalement sur celui-ci, poussant un long soupir. Bien que j'étais ressortie satisfaite de mon entrevue encore chaude avec Rusty, je n'avais pas encore réussi à me débarrasser de la tension qui s'était emparée de moi. Et Austin n'était sûrement pas la meilleure personne pour arranger cela. La nuit allait être longue et je priais alors pour que Cupidon périsse en enfer pour ce satané présent qu'il m'avait offert.

Mon corps se pétrifiai en même temps que j'entendis la poignée de la porte crisser. J'avais comme le sentiment d'être livrée à un bourreau, et moi je devais subir, subir les états d'âme. Austin entrai et je ne lui décrochai ni regard ni sourire. Inévitablement, ma nervosité s'accentua lorsque je croisai enfin ses yeux innocents. Il était là, planté devant moi comme un benêt, tout sourire. J'arquai un sourcil en l'entendant me saluer.

C'est pas comme si on s'était pas déjà vus... Chuchotai-je.

Je lui renvoyai alors un sourire on ne pouvait moins franc puis arrachai le couvre-lit de notre couchette ce soir avant de m'engouffrer dedans. M'adossant sur un oreiller, j'empoignai La tragédie d'Hamlet le célèbre Shakespeare que je finissais par connaître par cœur, placé sur ma table de chevet. Le silence se fit pesant, renforçant d'avantage la tension qui régnait dans la chambre. Après quelques minutes de lecture, je relevai enfin le visage que je détournai vers Austin.

Austin. J'ai apporté des mouchoirs au cas ou.

Non, je n'étais absolument pas d'humeur ce soir et déchargeais mes ondes sur Austin. Et puis après tout, il était celui qui le méritait le plus. D'abord parce qu'il nous avait sucré cinq mille euro, ensuite parce qu'il se plaçait en statut de victime. Je pensais avoir tout vu jusque là mais il n'en finissait plus de m'étonner. Et négativement en plus.

Mon Dieu. Faites le taire. Je ne pensais pas qu'une simple remarque sarcastique allait inspirer Austin à tel point qu'il était plus soporifique qu'une musique de Coldplay. Oui, une étude avait démontré que le groupe londonien faisait office de narcotique chez certaines personnes. Mais quelles personnes. Je baillai à plusieurs reprises en écoutant la tirade de mon partenaire qui me semblai interminable à tel point que j'aurais pu lire mon Shakespeare trois fois. Ou presque.

Évidemment que tu l'as mérité, c'est bien fait.

Il n'était pas dans mes habitudes d'enfoncer des gens déjà bien profonds sous terre mais c'était là plus fort que moi. Le jeune homme s'était montré si faible et minable au cours des semaines précédentes qu'il ne m'était plus possible de contenir mon ressenti. Après tout, nous étions censés avoir une affinité particulière, il fallait bien instaurer cela un jour ou l'autre. Son regard se fit oscillant, tandis que le mien monta au ciel. Quelle comédie, quel trop plein d'émotions. Seule sa dernière phrase m'interpella vraiment, avant qu'il ne marque une pose. Elle avait au moins le mérité de faire remonter mon esprit tolérant à la surface ainsi que pour mon regard qui se planta dans les iris d'Austin.

Séneque aurait dit, "Errare humanum est, perseverare diabolicum." Je marquai une pause. L'erreur est humaine. Persévérer est diabolique. A méditer, comme on dit.

Je baissai à nouveau la tête, plongée dans ma lecture et complètement décrochée de son monologue. Il vint alors se glisser dans le lit à mes côtés puis éteignit sa lumière.

Je lis. S'il te plaît.