W/ OPALINE

J'ai repoussé le sale boulot jusqu'au dernier moment mais là on en arrive à un stade où, si je ne fais pas quelque chose dans la journée, je vais être obligé de me balader sans sous-vêtements les jours à venir. Chez moi, peinard et seul et tout ça me dérangerait pas, mais là j'ai un semblant de réputation à tenir, et même si l'opinion d'autrui à tendance à glisser sur ma carapace je crois que j'ai pas spécialement envie d'être étiqueté comme étant le mec qui ne portait pas de caleçon – c'est-à-dire qu'il y a plus glamour, comme étiquette, tout de même. D'humeur égale, un peu dépité d'être obligé de passer par cette corvée, je me rends à la laverie automatique et commence mes lessives. Je me fais la réflexion que y'a quand même une sacrée masse de vêtement, ce qui me laisse un peu perplexe compte tenu du fait que généralement j'aimais assez me balader torse-nu voire en sous-vêtements carrément – pour l'heure, je me retrouvais dans le premier cas de figure, soit dit en passant. Durant la première lessive, je patiente en grignotant des trucs puis en feuillant des magazines pas franchement dignes d'intérêt. Je lance ensuite la seconde, et tant que je suis là, j'en profite pour aller étendre le linge juste devant la laverie – c'est d'ailleurs en sortant que je remarque une jeune fille venant dans cette direction. « Hey, salut ! » je lance à son intention, avant de m'en retourner à mes pénates. Je contemple fièrement le fruit de mon dur labeur, ondulant au gré du vent. « Waouh, si ma mère me regarde à la télé, elle doit être super fière de moi. » je commente, non sans un soupçon de, hum, autodérision. Un panier de linge propre coincé entre ma taille et mon coude, je me retourne à demi vers la jeune fille. « Au fait, comment tu t'appelles déjà ? Je suis sûr d'avoir su ton prénom, mais là comme ça il m'échappe. » je plisse à demi les yeux, concentré, mais y'a pas moyen.

Je ne suis toujours pas décidée à laver mes fringues. Les quelques vêtements que je possède. Autant dire pas beaucoup. Je préfère piquer dans les affaires des autres. Ça ne me dérange pas d'emprunter des fringues aux autres filles. Vu que certaines font à peu près la même taille que moi. J'avoue que je me fais plaisir avec la penderie de Jay. Puisqu'elle a bien voulu me prêter un maillot de bain, je me donne le droit d'emprunter d'autres trucs. Et puis, si c'est vraiment indispensable, je peux toujours glisser mes vêtements dans ceux des autres et comme ça, ils me les lavent sans même le savoir. C'est une technique comme une autre, après tout. Si je me dirige vers la laverie, c'est juste parce que je n'ai rien à faire. Je me promène, c'est tout. Mais quand j'arrive près de la bâtisse, il y a quelqu'un qui m'appelle. Un type. Il me fait penser à Cole. Je ne sais pas, ça doit venir du fait qu'il est probablement dans les mêmes âges que lui. Plus ou moins. J'en sais rien. C'est bizarre. Je pense déjà assez à Cole comme ça, de toute façon. Je ne veux pas penser à lui. Ou au fait qu'il doit bien rigoler de ma tronche, depuis que je suis dans cette émission. Je suis trop perdue dans mes pensées, tellement que je n'ai pas le temps de le saluer à mon tour. Pas que je l'aurais fait, de toute façon. Il me parle de sa mère. Du fait qu'elle serait fière de lui, si elle le voyait. Ah ? Bah... tant mieux pour lui ? Je ne sais pas, moi. Je plisse un peu les yeux à cause du soleil qui m'aveugle. « Tant mieux ? » Je ne sais pas ce que je suis censée lui répondre de plus. Ça fait un peu peur, de ne pas savoir. Il me demande mon prénom. Parce qu'il ne le connaît pas. C'est pas grave, au pire. Il peut ne pas le connaître, je m'en fiche. Non ? J'en sais rien. J'hésite un peu avant de lui dire comment je m'appelle. C'est un moyen comme un autre pour me protéger, je suppose. « Opaline. » je finis quand même par lui dire, hésitante. Je dois lui demander comment il s'appelle, lui ? Je ne sais pas. Dans le doute... « Et toi ? » C'est peut-être mieux comme ça. Je crois qu'il s'appelle Seth. Mais tant pis. Je lui ai posé la question, au moins. Un peu plus et on croirait que je suis sociable. Je glisse mes mains dans les poches de mon jean, toujours avec une certaine hésitation.

« Tant mieux ? » Je me détourne vers elle, vaguement intrigué. Elle avait même pas spécialement l'air narquoise et je soupçonnais sa question d'être, genre, sincère et tout. Pour le coup, c'est moi qui sais pas trop quoi lui répondre – une première. Je trouvais toujours mon mot à dire, j'avais jamais été spécialement timide ou gêné en publique, et globalement j'avais toujours quelque chose à raconter et je trouvais systématiquement le moyen de rebondir pour raconter ma vie d'une manière ou d'une autre, en omettant de grandes parties de vérité et en agrémentant mon récit de quelques cuillerées à café de petits mensonges inoffensifs qui n'auraient jamais tué personne parce que ce n'était tout simplement pas leur genre. « Ouais, tant mieux. » je réponds finalement, un sourire bizarrement apaisé au visage. Je lui demande comment elle s'appelle parce que ça m'échappe, et quand elle me dévoile son prénom je laisse échapper un petit « Mais oui… » qui me rappelait très précisément mon adolescence et ces moments où le prof finissait par lâcher la réponse à une question qu'il répétait inlassablement depuis une demi-heure, et que du chœur des élèves s'élevait un "mais oui" universel dans lequel toutes leurs voix semblaient unies, comme s'ils avaient prévu leur coup et tout et tout. « Je le savais, en vrai. J'avais juste momentanément oublié. » j'affirme avec un haussement d'épaules, non pas que ça ait son importance, si ? Pour moi, d'un coup, ça semble en avoir. Elle me retourne la question. J'accroche un tee-shirt, et constate qu'une tâche de ketchup n'est pas partie au lavage. « Moi c'est Seth. » je réponds, grimaçant, en grattant cette fichue tache sans trop d'espoir de m'en débarrasser. Et puis, parce que ma grande gueule est une source intarissable de paroles, je poursuis : « Mais dis-moi Opaline, qu'est-ce que tu viens faire dans le coin ? T'as une machine à tourner, un truc comme ça, ou tu te promènes juste ? » C'était pas franchement mes affaires, et honnêtement je faisais juste la conversation, curieux sans être non plus indiscret, aussi je m'arrangeais pour que mon ton reste suffisamment léger, ce qui n'était pas très difficile puisque c'était un peu le mode par défaut de mes inflexions, je crois.