Cette fascination qu'il avait pour ce train, Sully ne l'expliquait pas. Non, il était bien incapable de comprendre ce qui pouvait tant le subjuguer, parce qu'en soit, ça n'était jamais qu'un train comme beaucoup d'autres, ou du moins comme on pouvait en trouver dans des parcs d'attractions, ce qui ne faisait donc pas de lui un exotisme à proprement parlé, à moins de n'avoir véritablement jamais eu à faire à ce genre de machines. Et pourtant, ce train ne le laissait tout bonnement pas indifférent, un peu comme s'il avait une sorte de pouvoir sur lui, qui l'incitait alors à se rendre régulièrement à la gare et à attendre d'y voir arriver le wagon qu'il connaissait maintenant plus que bien, chaque fois plus impatiemment, comme si l'attente était toujours plus longue et plus pénible. Tout ça, ça n'avait rien de très rationnel, en soit. Porter autant d'intérêt à un train, non, ça ne présentait a priori aucune logique, car bien qu'il soit relativement classe, plutôt confortable et assurément plus que pratique, ce train n'avait tout de même rien d'extraordinaire et était même pour le moins banal dans son genre. Sauf aux yeux de Sully, manifestement. Sully qui attendait alors une fois de plus le train, debout sur le quai, les mains dans les poches et le regard lointain. Il ne savait plus exactement à quelle heure le train était susceptible d'arriver, parce qu'il savait simplement qu'il viendrait, et que ça lui suffisait. Alors il resta là, se coupant petit à petit de ce qui l'entourait pour se concentrer sur l'arrivée du train, qu'il sentait imminente. Plus de bruit autour de lui, plus de mouvement, il fixait inlassablement le coté par lequel il savait qu'il ne tarderait pas à apparaitre. Mais alors qu'il se concentra peut être un peu trop, il ne pensa naturellement pas être rejoint par l'un de ses camarades, par quelqu'un qui était assurément loin de se douter qu'il faisait une aussi improbable fixette sur l'arrivée d'un train. Ainsi donc, lorsqu'il sentit soudainement une présence à ses cotés, Sully ne manqua pas de faire un bond de surprise. Okay, il allait falloir qu'il se calme un peu avec ce train, parce que ça pourrait lui jouer quelques tours, hm. Il reconnut en tout cas Seth et put souffler doucement. « Excuse-moi, j'ai été surpris » qu'il fit alors, en lui souriant légèrement, parce qu'il en venait à se demander pourquoi il s'était à ce point déconnecté de la réalité, au point d'avoir frôlé l’infarctus à la simple venue de l'un de ses camarades. « Si le train n'est pas là dans deux minutes, je vais le chercher moi-même ... » Car oui, il était perturbé à ce point. Ou très fatigué, surtout. Oui, voilà.

J'étais jamais monté sur ce train jusqu'à présent, je sais pas trop à quoi c'était dû, pas à la peur, sûrement pas, non non non, pas le genre de la maison, mais bref, en tout cas, c'était ma quatrième semaine ici et je l'avais toujours pas testé. C'était en parti dû au fait qu'il m'avait fallu dix jours pour noter l'existence du truc, mes capacités d'observations n'étant plus ce qu'elles avaient été, et en parti dû à une espèce d'impatience qui ne me caractérisait pourtant pas, puisque je n'étais pas du genre pressé, pourtant, mais les seules deux ou trois fois om j'avais manifesté le désir de monter dans le tchou-tchou (ouais, j'ai gardé mon âme d'enfant, c'est mignon nan ?)  j'avais fini par abandonné, déclaré forfait, capitulé, en somme, face au temps, ce vainqueur ultime, et j'avais fini par tourné les talons, persuadé que le train n'arriverait de toute façon jamais, puisque j'avais attendu quatorze secondes et qu'il s'était pas pointé. J'aimerais bien vous dire que ce jour-ci est différent, que je suis fermement décidé à attendre le petit train et que rien ne m'empêchera, mais y'a pas plus tard que quinze minutes j'ai mangé des saucisses Fnacki froides parce que ça met trop de temps à se réchauffer au micro-onde, et je crois que ça en dit long sur mon aptitude à la, hum, patience, en ce début d'après-midi. Cependant, quand j'arrive à la gare, je note la présence de Sully, et s'il est là aussi pour ça, j'me dis que ça pourrait m'aider à me motiver, en quelque sorte. Lui, en revanche, a un peu plus de mal à noter ma présence, il doit être genre perdu dans ses pensées ou que sais-je, il paraît que ça arrive aux gens ces choses-là, je n'en sais trop rien. « Excuse-moi, j'ai été surpris. » J'ai vu ça mon bonhomme. « Arf, t'excuses pas, c'est ma faute, c'est à cause de ma démarche leste et féline, on m'a déjà fait la réflexion, j'ai tendance à surprendre les gens et tout, j'suis désolé, c'était pas, hum, intentionnel. » Je mens pas, c'est vraiment pas volontaire, j'ai juste naturellement, euh, le pas souple et feutré, et c'est pas ma faute si je suis si discret. « Si le train n'est pas là dans deux minutes, je vais le chercher moi-même ... » Je souris – j'ai affaire à aussi patient que moi, clairement. « C'est marrant, je pressentais que tu attendais le train. Je dois avoir un sixième sens ou un truc dans le genre. T'attends depuis longtemps ? J'sais pas vraiment combien de temps il met à faire tout le tour et tout… » je souligne avec un air pensif, comme si je réfléchissais et émettais de muettes hypothèses intérieurement, alors qu'en réalité l'aveu de mon ignorance ne signifiait pas nécessairement que je cherchais à y remédier. « En tout cas j't'aiderai à aller le chercher, si le cas de figure se présente. J'admire les hommes qui savent ce qui veulent et son prêt à prendre les choses en main quand cela devient nécessaire. » je précise, et j'imagine que j'ai donc pas perdu mon habitude de parler à tort et à travers en déblatérant des tas de trucs auxquels j'ai pas accordé beaucoup de, hum, temps de pensée et tout.

Aussi longtemps que ce train décidera de le faire attendre, Sully resterait sur ce quai, à poireauter comme un idiot - qu'il était un peu, pour le coup - et à rêvasser légèrement. Rêvasser, c'est justement ce qu'il fit quelques peu, lorsqu'il fut rejoint par l'un de ses camarades. Il faut dire qu'à fixer avec tant d'attention le coté où était censé arriver le train, il en perdit quelques peu le sens des réalités et ne s'attendit absolument pas à ce que quelqu'un approche. Ce fut pourtant le cas, et le moins que l'on puisse dire, c'est que Sully eut l'impression que son cœur lui était subitement sorti de la poitrine, qu'il avait dansé la polka devant lui puis qu'il était revenu bien sagement à sa place, en mode 'bien fait pour ta tronche, la prochaine fois tu rêveras moins'. Car oui, il eut incroyablement peur, ou disons qu'il sursauta suffisamment pour croire qu'il perdrait l'équilibre et se ramasserait directement sur les rails. Parce que bon sang, cette arrivée, il ne l'avait véritablement pas attendue. Mais puisqu'il semblait s'agir de Seth, disons que c'aurait quand même pu être pire, hein. Sully ressentit en tout cas le besoin de s'excuser, parce que bon, il avait peut être fait également peur à son camarade lors de son petit bond de surprise. La réponse de celui-ci le fit alors légèrement sourire, parce que bon, ça n'était techniquement pas à lui d'endosser la responsabilité de ce qu'il venait de se produire, parce qu'aussi discrètement avait-il pu arriver, il avait bien le droit d'espérer pouvoir se rendre quelque part sans que Sully manque de claquer sous le coup de la peur, hein. « Mais si je n'avais pas été bêtement dans la lune, j'aurais quand même eu plus de chances de t'entendre arriver. Alors partons du principe que les torts sont partagés, comme ça pas de jaloux. » C'était plutôt équitable, non ? Disons que Sully aurait du éviter de rêvasser et que Seth, lui, aurait du s'annoncer. Ouais, voilà, c'était pas mal de voir les choses de cette manière. Toujours est-il que si le train n'arrivait pas dans deux minutes, Sully irait effectivement le chercher lui-même. Oui, bon, disons qu'il essaierait surtout. Mais s'il avait été capable de soulever le canapé du salon, il pouvait bien essayer de tirer un train, non ? Hm, non. Bon. « C'est vrai, tu es d'une perspicacité incroyable, parce que j'aurais très bien pu être entrain de faire cuire des gaufres, en fait. » Il lâcha un ou deux rires, plus parce qu'il se trouvait con de dire ce genre de trucs qu'autre chose. « A vrai dire, je ne sais plus trop si je suis ici depuis cinq minutes ou bien depuis trois heures. J'ai un peu perdu la notion du temps, c'est fâcheux. » Si tant est qu'il l'ait seulement déjà eu, hm. Quant à savoir combien de temps le train pouvait bien mettre à arriver, Sully ne le savait plus tellement non plus, alors il se contenta de hausser les épaules, espérant quand même qu'il arriverait avant Noël prochain, ce qui serait mieux disons. « C'est une bonne chose, parce qu'on ne sera je pense pas trop de deux pour transporter ce train. » Ouais, disons que ce serait le strict minimum, d'être deux, dans ces cas-là. Sully laissa alors se regard détailler à nouveau le coté par lequel était toujours censé arriver le train, et alors qu'il s'apprêta à reprendre la parole pour sommer son camarade d'y aller dès maintenant, voilà que le wagon apparut au loin. Alors ça, c'était du beau timing. « Ah bah tiens, le voilà. Si tu veux mon avis, il a du nous entendre et avoir peur pour son matricule ... » Oh bah oui, la menace avait été réelle après tout.