spittin' out smoke
ft. Yityish & Maxence

Elle m'avait sauté aux yeux tout de suite, cette pancarte. Le petit cellulaire barré de rouge, l'interdiction formelle d'utiliser son téléphone portable dans l'enceinte du bâtiment ... Mon pire cauchemar, en somme. Je m'étais depuis longtemps déjà rendu à l'évidence concernant ma dépendance à cette petite chose qu'était mon téléphone portable, et rien que l'idée de devoir l'éteindre durant plusieurs heures relevait du supplice. Peut-être pas du supplice, c'est vrai, j'exagérais un peu le truc pour montrer le caractère dramatique de la chose ... Mais n'empêche que ça me foutait bien en vrac. Le pire c'était qu'il n'avait pas quitté la poche de mon jean depuis ... Depuis quand déjà ? Ah oui, depuis que j'avais vérifié mes messages en descendant de l'avion à l'aéroport, en début de matinée. Cette nuit, ce matin, je ne savais plus trop, saloperie de décalage horaire, j'étais totalement déphasé ... La preuve, je fumais actuellement ma cigarette du soir, et nous étions le matin. Et putain il fallait que j'arrête cette manie de recommencer à fumer dès que je rentrais chez moi, j'en avais pour des semaines à arrêter d'être d'une humeur de merde quand j'essayais d'arrêter. J'avais aucune volonté, c'était risible. Mais je n'avais pas que des défauts, la preuve, je ne polluais pas ... Ne sachant pas quoi faire de mon mégot et désireux de ne pas le balancer par terre je l'avais remis dans mon paquet. Au même moment je m'étais décalé sur le côté, puisque je bouchais gentiment l'entrée, pour laisser passer une jeune femme, blonde, qui elle-même eu la gentillesse de retenir la porte pour que je puisse entrer à sa suite. « Hm, non, merci ... je vais encore en fumer une ou deux avant. Ou trois, ou quatre, je ne sais pas. » Et du même coup j'avais agité le paquet de clopes que je tenais donc toujours à la main. C'était même pas que je stressais ou je ne sais quoi, mais j'avais la sensation que si je rentrais dans ce bâtiment je n'en ressortirais pas avant la fin de la journée, et très franchement ça me donnait l'impression d'une privation de liberté hautement insupportable. Surtout si je ne pouvais pas laisser mon téléphone allumé ... Si j'avais eu une imagination un peu plus débordante j'aurais presque pris ça pour un guet-apens. « Mais ... bonne chance. Je suppose. » C'était pas ce qu'on était censé dire à ceux qu'on croisait, plus ou moins ? Je voyais pas trop quoi leur dire d'autre, de toute façon. Je venais surtout simplement de réaliser que je m'étais adressé à elle en français le plus naturellement du monde, mais que si ça se trouve elle n'en baragouinait pas un mot et allait me regarder avec deux yeux ronds comme des soucoupes avant de me faire comprendre par gestes et signaux de fumée qu'elle n'avait foutrement rien compris à ce que je venais de dire.

Yityish a fini le casting, elle a eu un cadeau – 1000 euros déjà en plus si elle est prise – et maintenant, elle se dit qu’il faudrait rentrer. Ou en tout cas, sortir de là parce que bon, il faut laisser de la place aux autres quand même. Alors elle va sortir. Elle ouvre la porte ; elle tient la porte, parce qu’elle est polie et qu’il y a un monsieur qui se trouve devant. Il veut rentrer sûrement. Pourtant non, il fume. Beaucoup même ! Elle agite l’une de ses mains. « Lalala autant ? » Elle est un petit peu choquée quand même. Ca fait beaucoup de fumer quatre cigarettes. Déjà qu’elle n’en fumera pas une seule elle, parce qu’elle ne veut pas commencer un cancer de la gorge. Elle le sait hein, qu’elle pourrait en avoir un en fumant. D’ailleurs, elle s’inquiète déjà pour le jeune homme devant elle. « Tu devrais pas hein, c’est beaucoup trop ! » S’exclame-t-elle, toujours étonnée, mais aussi un peu « dégoûtée ». Qu’elle horreur aussi pour l’haleine. C’est mauvais pour la santé et c’est mauvais pour l’hygiène ; Ca sent tellement mauvais, c’est dégoutant. Elle ferme alors la porte derrière, avec un sourire, un peu godiche. Mais pas méchante. Non. Yityish est un peu simplette c’est tout. Si elle est là, c’est qu’elle attend la voiture. Elle ne connait personne, elle a juste donnée rendez-vous à un taxi qui doit la prendre et l’emmener en ville. Le jeune homme, gentil, lui souhaite bonne chance. Elle lâche un rire, pas exagérée. « Non. Je n’ai pas besoin de chance maintenant, mais c’est SUPER gentil. » Elle sourit. « Comme on dit, les dés sont BA-LAN-CES pour moi. On peut plus rien faire. C’est tout. J’ai plus qu’à prier Jesus le seigneur pour être prise !» Elle a déjà passé le casting en fait et puis finalement, elle est plutôt confiante. Elle sent qu’elle ne les a pas laissés indifférents. Titi espère juste que ce n’est pas une idée, qu’ils ont vraiment apprécié sa compagnie. Elle, elle a apprécié en tout cas. Elle aime beaucoup parler. Comme avec lui, là, par exemple. Avec qui elle parle français d’ailleurs, mais elle ne s’en ait pas rendu compte. C’est naturel. Elle est française. On lui parle français. Elle ne réfléchit pas – comme d’habitude – mais quand elle s’y met, ça lui semble étonnant. « Mais comment t’as su que j’étais française ? » Elle fait une petite moue, ne comprenant pas. « Non, parce que tu parles suuuper bien français. » Elle est fière de le complimenter à en croire son large sourire.

J'en connais un qui me mettrait sans aucun doute un énorme coup de pied aux fesses s'il me voyait là, à m'enfiler clope après clope sans encore avoir songé de manière sérieuse à pénétrer dans le bâtiment. Mais je n'étais pas en retard, et donc pas pressé, par extension ... Peut-être que je me demandais simplement ce que je foutais ici, de loin cela semblait une idée géniale mais maintenant je n'en étais plus aussi certain. Y'en avait certains en revanche qui ne semblaient pas douter du bien fondé de leur présence ici, à en juger par la bonne humeur apparente sur leur visage ; C'était le cas de cette fille, justement. Assez charmante pour me tenir la porte en plus de ça, les bonnes manières ne se perdaient donc pas de partout, même si je l'avais gentiment remerciée sans pour autant passer la dite porte. J'avais de la fumée à respirer et le terrain pour un hypothétique cancer du poumon à préparer. « Lalala autant ? Tu devrais pas hein, c’est beaucoup trop ! » Bizarrement c'était quelque chose que j'avais l'impression d'avoir déjà entendu un certain nombre de fois. Pas que cela ait changé quoi que ce soit à la situation d'ailleurs, j'avais peut-être légèrement l'esprit de contradiction qui sait. « J'ai prévu d'arrêter ... Bientôt. Mais faut bien que je finisse le paquet du coup. » C'était à peu de chose près la pire excuse du monde, c'était comme prendre la dernière part de gâteau en assurant que ce n'était pas par gourmandise mais uniquement dans le but de ne pas gâcher. Mais bien sûr. Fort heureusement elle ne sembla pas s'embarrasser de ça ou de quelque chose d'autre et se contenta d'accueillir avec un nouveau sourire - elle souriait beaucoup à vrai dire, pas que ce soit du reproche, c'était mille fois mieux que quelqu'un qui tirait la gueule - le fait que je lui souhaite poliment bonne chance « Non. Je n’ai pas besoin de chance maintenant, mais c’est SUPER gentil. Comme on dit, les dés sont BA-LAN-CES pour moi. On peut plus rien faire. C’est tout. J’ai plus qu’à prier Jesus le seigneur pour être prise ! » Cela voulait donc dire qu'elle était déjà passée, et qu'on l'avait laissée ressortir après ? Bon, c'était déjà une bonne chose en soi, au moins ils n'enfermaient pas les candidats potentiels dans une cave pour en faire des cobayes ou pour les transformer en sandwichs. Et puis si ils étaient tous aussi sympathique qu'elle c'était bien moins pire que ce que j'imaginais ... Parce que vive les à priori, quoi. « Mais comment t’as su que j’étais française ? Non, parce que tu parles suuuper bien français. » qu'elle m'avait finalement lancé, avec un air de surprise si sincère que si j'avais été tenté de croire d'abord qu'elle plaisantait ce n'était plus le cas ensuite. Bon, pas très futée de toute évidence, mais je pouvais mettre ça sur le compte du stress qui redescendait après un entretien qui lui tenait visiblement à cœur. « Faut croire qu'on se repère facilement entre compatriotes ? » avais-je demandé de façon tout à fait rhétorique et d'un ton amusé. Je ne savais pas trop quelle proportions de français avaient l'habitude de se présenter au casting de cette émission, ni même s'ils étaient beaucoup à intégrer effectivement l'aventure. Concernant celle que j'avais en face de moi en tout cas, puisqu'elle souriait toujours je n'avais pas pu m'empêcher de commenter « En tout cas, si tu souriais autant au moment de passer ton entretien je pense que tu n'as pas trop de souci à te faire, ils ne risquent pas de t'oublier. » Puisqu'elle avait commencé avec le tutoiement j'avais continué, de toute façon j'étais le genre qui restait rarement très longtemps au vouvoiement, hormis au boulot avec mes supérieurs hiérarchiques, parce que bon tout de même. Coinçant une nouvelle cigarette entre mes dents sans l'allumer encore, j'avais rangé le paquet dans la poche de mon blouson avant de tendre finalement la main vers la jeune femme avec l'intention de la lui serrer, du moins si elle me tendait la sienne en retour « Maxence. » Il allait sans dire que si je lui disais mon prénom c'était évidemment pour qu'elle me dise le sien également, autrement cela n'avait aucun intérêt. A moins qu'elle ne préfère me laisser deviner, mais nous pourrions en avoir pour un moment, sachant que je n'avais jamais été très doué pour les devinettes.

« C’est une excuse BI-DON ! » Elle lance ça, comme si elle le connaissait depuis toujours ou tout du moins, depuis un moment. Oui, c’est bidon de dire qu’il va arrêter, mais qu’il doit continuer pour ne pas gâcher, patati, patata. Il veut juste fumer tranquillement. Elle ne peut pas l’en empêcher après tout, mais elle lui fait quand même savoir que c’est juste TROP. Comme l’idée qu’il soit français. Vraiment. Elle s’étonne réellement de le voir parler français. Elle n’a comme qui dirait pas penser qu’ils seraient plusieurs français à participer au jeu. Elle se voyait déjà être la seule d’ailleurs, fraichement débarquée de la capitale française et puis finalement, non. Enfin, c’est ce qu’elle croit parce qu’il parle de compatriotes et compatriote ça veut bien dire qu’ils vivent au même endroit. Enfin, ce n’est pas aussi limpide dans son esprit et elle marque un petit temps de pause, de quelques dizaines de secondes tout de même, avant d’ouvrir la bouche : « Aaaaaaaaaaaah… » Elle a comprit. Il est français. Tout comme elle, alors après il ne vient peut-être pas de Paris, mais il vient de France alors c’est un peu pareil. « T’es français, c’est ça ? » Oui, elle est vraiment certaine d’avoir compris, alors elle prend le risque de paraitre bête s’il n’est pas français. En tout cas, elle est bien heureuse de pouvoir papoter dans sa langue natale. Si elle sait parler anglais, elle ne se voit pas non plus parler tout le temps la langue et tout, aussi aisément qu’un anglais, par exemple. Ou un américain. D’un coup de main, elle remet ses cheveux blonds, légèrement ondulé en place, avec minutie, quand il exprime l’idée générale qu’elle ait pu marquer le jury. Elle sourit de plus bel. C’est trop gentil ce qu’il dit là. « Oh t’es mignon toi ! » qu’elle s’exclame gaiement, en fronçant son petit nez, en bougeant la tête et en bougeant ses bras. Si seulement, dans le jury, il pouvait le voir comme ça. Si seulement elle avait pu marquer ne serait-ce que l’un d’entre eux, ça serait vraiment méga super cool. Comme elle l’a dit précédemment, il ne reste plus qu’à prier en fait. Comme pour qu’il arrête de fumer, oui, parce que finalement il reprend une cigarette et elle fait une grosse moue, à peine abusée. Elle marque clairement son désaccord avec lui. Un mécontentement qui se barre assez rapidement, parce qu’il lui tend la main. Ca va quoi, elle sait bien qu’il faut qu’elle la prenne pour le saluer. Elle lui serre la main alors, avec un beau sourire ravie. Il s’appelle Maxence. « Enchantée. Yityish… » Elle est sérieuse, enfin, le plus qu’elle le peut, sans forcément penser à ça sur le coup et puis finalement, elle se rend compte que son prénom est assez… « Hors norme », même pour les français… « J’te jure, je ne mens pas tu sais ! Je m’appelle vraiment comme ça ! » Elle secoue sa tête de haut en bas en faisant de gros yeux, pour appuyer ses dires. Franchement, jamais elle n’aurait pu inventer un tel prénom en tout honnêteté alors, non, elle ne ment pas. Elle va même plus loin, elle lui faisant une confidence qui n’en est pas vraiment une en réalité : « Mais en fait personne ne m’appelle comme ça. » Non, jamais personne, mais elle n’a pas dans l’idée de lui dire comment on l’appelle en général, mais plutôt de revenir sur la cigarette. « Tu sais, si je fini vieille, toute ridée et avec un cancer de la gorge, je te prendrais pour seul responsable ! » Autant pour le cancer que pour les rides !

Je ne vais pas dire que je ne m'y attendais pas, à m'entendre répondre que « C’est une excuse BI-DON ! » parce qu'effectivement, je ne m'étais pas trop fatigué à trouver quelque chose de convaincant ... Sans doute parce que de toute façon y'avait pas véritablement de bonne excuse au fait de se pourrir la santé en fumant. Mais chacun ses vides, dirons-nous. Reste que j'avais eu la chance à cet instant précis de tomber sur une compatriote, et ma foi fort sympathique, bien que visiblement un peu longue à la détente ... Mais puisqu'en plus d'être sympa elle était souriante, j'avais décidé de ne pas lui en tenir rigueur. « Aaaaaaaaaaaah … T’es français, c’est ça ? » Voilà, il suffisait juste de lui laisser le temps de lier les choses les unes avec les autres. Souriant à nouveau pour lui signifier qu'elle avait effectivement compris, je n'avais pu m'empêcher de lui faire remarquer sa bonne humeur, relativement communicative qui plus est. Il faut dire que depuis que j'étais planté là, c'est à dire depuis une demi-heure environ, les seules personnes que j'avais vu rentrer tiraient une tête de six pieds de long. Une nana m'avait carrément regardé de travers quand je lui avais murmuré un bonjour par politesse, comme si je venais de l'insulter, limite. « Oh t’es mignon toi ! » Mignon ? Pourquoi pas. Ce n'était pas vraiment le genre d'adjectif avec lequel j'avais l'habitude d'être désigné, mais enfin ce n'était pas non plus péjoratif alors je suppose que je devais considérer ça comme un compliment. Lui donnant finalement mon prénom en lui tendant la main, elle l'avait serrée avec de me répondre « Enchantée. Yityish … » Sûr que ce n'était pas le genre de prénom que je m'attendais à entendre, ça devait même être assez difficile à porter à mon avis. « Yit ... ? Euh d'accord, enchanté. » Je crois que je risquais d'avoir besoin qu'elle me le répète une seconde fois pour espérer le retenir, je n'étais déjà plus certain de la prononciation complète. Et mon air dubitatif n'était visiblement pas passé inaperçu puisque la voilà qui me précisait « J’te jure, je ne mens pas tu sais ! Je m’appelle vraiment comme ça ! Mais en fait personne ne m’appelle comme ça. » Ah mais je ne remettais pas du tout en cause la véracité de la chose, je la croyais sur parole ... En même temps je ne voyais pas quel intérêt elle aurait eu à me donner un faux prénom, surtout que quitte à mentir j'aurais opté pour quelque chose d'un peu plus simple et de beaucoup plus passe-partout, personnellement. « Et comment est-ce que je dois t'appeler, alors ? Sauf si on passe directement au stade où je te trouve un surnom, mais avoue que ça serait avancer un peu vite dans notre relation. » Et vous parlez d'une relation, maintenant on se connaissait depuis, oh, au moins cinq minutes. J'aurais presque eu envie de lui demander de quelle origine pouvait bien lui venir ce prénom en tout cas, c'était le genre de truc qui me rendait curieux ... Mais j'avais peur de l'être un peu trop justement, curieux, aussi avais-je gardé ma question pour moi, me contentant d'allumer la cigarette que j'avais entre les lèvres. Semblant me scruter un instant, la jolie blonde n'avait alors pas pu retenir un nouveau commentaire « Tu sais, si je fini vieille, toute ridée et avec un cancer de la gorge, je te prendrais pour seul responsable ! » Marquant un temps d'arrêt, j'avais retiré ma cigarette de ma bouche et, après une courte hésitation, j'avais levé un pied pour écraser l'extrémité de la clope sous ma semelle avant de la lui montrer éteinte et de la ranger dans mon paquet. Bah oui, je voulais bien faire l'effort de ne pas fumer en sa présence, mais au prix du paquet de clope il ne fallait pas croire que j'allais la balancer alors qu'elle était à peine entamée. « Parce que c'est demandé gentiment, et parce que je n'ai pas envie d'avoir ton cancer éventuel sur la conscience. Mais vieille et ridée je te le souhaite, c'est toujours mieux que de mourir jeune. » Enfin après je ne sais pas, peut-être qu'elle faisait partie de ces gens que la vieillesse terrifiait. Mais personnellement ça ne me faisait pas peur, j'espérais bien vivre vieux et profiter de mes petits-enfants.

Yityish sait que son prénom peut susciter l’incompréhension et la surprise. Oh et bien elle a l’habitude et ça l’amuse à mort de voir les gens buter sur celui-ci. Comme lui, Maxence. Elle rigole. Elle prend le soin aussi de lui dire que c’est vrai, oui, elle s’appelle vraiment comme ça, bien qu’elle n’ait jamais entendu personne l’appeler comme ça, mis à part les professeurs à l’école. Elle lui dit. Ca lui facilitera la vie. Enfin non, elle ne lui dit pas comment, mais tout simplement qu’on ne l’appelle pas comme ça. Elle est bête. Alors elle lui répond, avec un petit sourire en coin. « Je ne trouve pas moi… On est déjà pote là… » Elle pince ses lèvres pour ne pas sourire de plus bel, on va croire qu’elle n’a que ça pour elle, le sourire. « Ca va, je rigole. En fait tout le monde m’appelle Titi ! C’est déjà un surnom ! Alors toi aussi tu peux m’appeler comme ça. Mes parents m’appellent comme ça. Mes frères et sœurs m’appellent comme ça. Mes amis m’appellent comme ça. Mes voisins m’appellent comme ça ! Tout le monde m’appelle comme ça ! » Elle lève les bras pour faire un mouvement englobant tout. Parce que c’est plus facile à retenir et à écrire que Yityish, qui en plus se prononce « yitayishe ». Et puis il faut bien avouer que Titi, c’est plus mignon, comme elle tout simplement. En plus c’est vrai, elle ressemble un peu à Titi. Elle est blonde, lui est jaune, elle a de grands yeux bleus, comme lui. Et elle sait bien papillonner des cils… Enfin bref. Elle exagère un peu, mais c’est dans sa nature. Elle parle sans réfléchir, sans penser qu’elle puisse dire n’importe quoi. Et puis elle aime bien taquiner les gens. D’ailleurs, elle ne pensait pas être aussi persuasive que ça. Pourtant, l’homme devant elle finit par éteindre sa cigarette. Elle le regarde éberluée, ses deux grands yeux très clairs bien ouverts. Elle l’écoute parler et finalement elle fait une petite danse en dandinant ses hanches. « Oh oh, comment je suis trop convaincante. » Alors si elle peut le convaincre de ne pas fumer, elle a peut-être vraiment convaincu la production de la prendre. Cette idée la met en joie, mais quinze ans plus tard, elle réagit à ce qu’il a dit : « Quoi ? T’es dingue ! Moi et des rides ? Ca JA-MAIS ! » Elle fait une petite grimace en secouant son index devant elle. « J’ai déjà prévu de me mettre du botox là et là. J’veux bien vieillir, mais pas être toute fripée ! » Elle montre son front qu’elle plisse à extrême pour faire apparaitre des « sortes » de rides, ainsi que l’emplacement des fameuses pâtes d’oies. Comme ça, elle aura toujours l’air aussi fraîche et pimpante qu’en ce moment même. « Regardes-moi là… Dans trente ans, j’aurai toujours la même temps ! » Elle rigole. « Mais au fait ? Tu viens d’où en France ? »

« Je ne trouve pas moi … On est déjà pote là … » Ah oui ? Non mais je veux dire, elle avait l'air sympa et tout, je crois même que c'était la personne la plus agréable que j'avais rencontré depuis que j'étais à Dublin pour être parfaitement honnête, mais bon je ne sais pas si on lui avait déjà appris le concept de ne pas faire confiance aux inconnus. Concept un peu cynique il est vrai, mais pas toujours dénué de sens. « Ça va, je rigole. En fait tout le monde m’appelle Titi ! C’est déjà un surnom ! Alors toi aussi tu peux m’appeler comme ça. Mes parents m’appellent comme ça. Mes frères et sœurs m’appellent comme ça. Mes amis m’appellent comme ça. Mes voisins m’appellent comme ça ! Tout le monde m’appelle comme ça ! » Est-ce que c'était si mal, d'avoir d'abord et avant même pensé à autre chose, imaginé ce petit piaf jeune et zozotant tandis qu'elle terminait sa phrase ? On avait les références qu'on pouvait après tout, et les miennes se résumaient dans le cas présent aux dessins-animés qui passaient à la télévision quand l'enfant que j'étais revenait de l'école et engloutissait un bol de céréales. « Alors va pour Titi. » avais-je en tout cas fini par répondre en souriant. C'était en tout cas sans aucun doute bien plus facile à retenir que son prénom ... Que j'avais déjà plus ou moins oublié à vrai dire. Enfin, pas oublié, mais je ne me rappelais déjà plus avec certitude de la façon dont j'étais censé le prononcer. Je lui aurais bien dit qu'elle pouvait m'appeler Max en retour, mais à vrai dire j'avais horreur de ce diminutif ... Je faisais partie de ces personnes qui adhéraient totalement à leur prénom. Bref, tout cela aurait bien mérité une clope supplémentaire, si tenté que le regard réprobateur de ma nouvelle acolyte ne m'en ait pas dissuadé presque autant que ses mots « Oh oh, comment je suis trop convaincante. » Et moi bien trop influençable de toute évidence, mais j'avais du mal à résister aux battements de cils d'un joli minois. L'histoire de ma vie je crois. Et j'avais la flatterie facile, je venais encore de le prouver « Quoi ? T’es dingue ! Moi et des rides ? Ça JA-MAIS ! J’ai déjà prévu de me mettre du botox là et là. J’veux bien vieillir, mais pas être toute fripée ! » Parait-il pourtant que les rides n'étaient rien d'autre que des preuves de sagesse ; Du moins dans la plupart des cas, même si comme pour tout l'exception était permise. Pas sûr ceci dit que la dénommée Titi adhère à ce concept, aussi l'avais-je gardé pour moi tandis qu'elle ajoutait « Regardes-moi là … Dans trente ans, j’aurai toujours la même tête ! » Je la suivais des yeux avec amusement tandis qu'elle s'agitait, avec ce presque trop plein d'énergie comme en avaient d'ordinaire les enfants. « Ça tombe assez bien, j'ai une bonne mémoire des visages. Alors si je te croise dans trente ans je pourrais sincèrement te dire "ah oui, je me souviens de ce casting, j'ai l'impression que c'était hier". » Non mais, le pire c'est que je ne plaisantais pas pour ce qui était de ma capacité à mémoriser les visages ; J'étais ce genre de personne capable de reconnaître presque du premier coup un type avec qui j'aurais pris l'avion un jour, ou que j'aurais interviewé y'a dix ans. « Ceci dit là, je viens de réaliser l'âge que j'aurais de trente ans, et je préfère ne plus y penser, du coup. » J'avais pensé tout haut. Trente ans c'était abstrait comme notion, dit comme ça, mais quand je faisais le calcul de ce que représentaient trente ans dans la gueule, me concernant, ça me paraissait bien moins abstrait tout de suite. Dans ma gueule et dans celle de mes proches. Enfin bref, toujours est-il qu'elle avait fini par me demander « Mais au fait ? Tu viens d’où en France ? » Pas con, c'est vrai que c'était bien beau de se trouver une compatriote mais cela ne voulait pas dire pour autant que nous venions du même coin. Je sais bien que par rapport à d'autres pays comme la Russie ou les États-Unis la France pouvait paraitre ridiculement petite, mais je doutais qu'un breton et un dauphinois acceptant sans broncher d'être mis dans le même panier. « Briançon. C'est perdu au milieu des montagnes, pas loin de la frontière italienne. » Je préférais préciser, c'était pas avec le nombre d'habitants que comptait mon patelin que j'espérais que son simple nom suffise à parler aux inconnus. A moins d'être adepte des sports d'hiver, parce que pas loin de certaines stations aux noms plus évocateurs ... J'avais donc un faible pour le ski, c'était presque obligatoire. « Et toi ? » avais-je en tout cas demandé avec la même curiosité. Elle n'avait pas d'accent spécialement prononcé, c'était tout ce que j'avais réussi à déduire, ce qui en soit ne voulait absolument rien dire.