“ Karma Police, I've given all I can,
it's not enough ”

w/danica

En soi, cette forêt était comme beaucoup d'autres. Avec ses allées d'arbres feuillus et son ambiance pas très rassurante, elle n'apportait rien de bien nouveau dans sa catégorie et ne présentait donc pas d'intérêt particulier. Mais Jorah, qui n'avait pas particulièrement l'habitude d'être plongé au cœur d'une nature aussi authentique, lui trouvait un charme indéniable, et ne regrettait pas un seul instant d'avoir laissé ses pas l'y mener. La seule chose un tant soit peu limite, dirons-nous, était qu'il ait toujours possédé un sens de l'orientation pour le moins imprécis. C'est qu'autant il n'avait pas eu de mal à arriver à destination, autant il était plus probable qu'il galère gentiment à refaire le chemin inverse, et à sortir de ces bois qui, il n'en doutait pas un seul instant, devaient avoir été aménagés de façon à égarer ceux qui ne seraient pas encore suffisamment nuls pour se perdre tous seuls. Lui, clairement, n'estimait pas avoir besoin d'aide pour se paumer, hein, c'était le genre de trucs dans lesquels il était encore relativement doué. Toujours est-il qu'alors qu'il ne se laissa pas décourager par l'idée d'avoir bien du mal à s'extirper de cette forêt à la fin, il continua de s'y enfoncer, préférant penser que les bruits douteux audibles à quelques mètres n'étaient rien de plus qu'une navrante manifestation de son imagination qui, décidément, choisissait toujours un moment déjà pas très, très confortable pour se pointer. Mais lorsque ce furent des bruits de pas qui lui parvinrent aux oreilles, il ne put les lui mettre sur le dos. Elle avait beau faire des heures supp', son imagination était un peu comme lui : faire deux choses à la fois, c'était pas trop pour elle. En tout cas, et alors qu'il se retourna, c'est avec un certain contentement qu'il reconnut Danica, sa partenaire, avec qui le courant était bien passé. « Eh, d'ici on peut apercevoir un parcours perché dans les arbres, ça te dit d'aller voir ça de plus près ? » Oh bah oui, tiens, autant jouer les aventuriers en plus de ça. « Bon, vu ce que j'ai cru entendre y'a deux minutes, c'est pas dit qu'on y arrive vivants, mais l'avantage d'être deux, c'est que l'un pourra toujours faire diversion pendant que l'autre sauvera sa peau. Notre partenariat prendra tout son sens, au moins. » C'est qu'il préférait voir le bon coté de la chose, en effet. « On se met tout de suite d'accord sur le sacrifié ou on verra ça sur le moment ? » On sous-estimait la capacité de l'Homme à prendre des décisions déterminantes même dans les pires situations. Lui, en tout cas, restait très optimiste sur la question.

Oh, Jorah n'avait rien d'un aventurier. Il était globalement ni très sportif ni très disposé à le vérifier, mais pour le coup, avoir aperçu ce parcours perché dans les arbres lui avait donné assez envie d'y jeter un œil. C'est donc plus par curiosité qu'autre chose qu'il eut dans l'idée de s'en approcher. Cela dit, maintenant que sa partenaire était là, il avait tendance à penser qu'ils pourraient tout aussi bien y aller ensemble. Non pas qu'il ait nécessairement besoin d'un témoin pour éventuellement se tourner en ridicule, mais ce serait l'occasion de passer un moment ensemble. Acquiesçant suite à l'étonnement de la jeune femme - du coup il regarda à nouveau en direction du parcours, parce qu'elle l'avait quand même fait douter l'espace d'un instant - il s'amusa de son enthousiasme. « Ah oui, j'oubliais, j'ai à faire à une sportive » qu'il commenta, quand elle même revint sur ce qu'il avait confié dimanche, à savoir que lui, en revanche, ne pratiquait pas franchement du sport régulièrement. « Roh, tout de suite ! » qu'il s'exclama en tout cas, marchant et laissant échapper quelques rires. « J'ai un peu grossi les traits, tu sais, l'autre soir. En réalité, je suis au moins aussi sportif qu'un banjo, alors hein, ne sois pas si sûre que je vais me ridiculiser parce qu'on n'est pas à l'abri d'une révélation, figure-toi. » Avec un peu de chance, il se découvrirait des talents insoupçonnés pour le sport en général, comme ça, d'un seul coup. On y croyait tous, c'est clair. Quant à cette histoire de zombie ... « C'est marrant, j'aimais bien le début de ta phrase, je me suis genre bêtement imaginé que t'essaierais quand même de me tirer d'un tel pétrin ... Mais non, pas du tout, tu me laisserais me faire démembrer, j'ai bien compris ! » Oui, ça le prenait de temps en temps, de jouer les drama queen. Et tandis qu'ils n'étaient maintenant plus qu'à quelques pas du parcours, la question de Danica eut le mérite de le faire sourire. « Ça dépend. Est-ce qu'on considère qu'être déjà monté au 35ème étage d'une tour constitue un quelconque précédent ? En laissant de coté l'étourdissement qui a suivi, bien entendu ... » C'est qu'ils devenaient déjà intimes, vu qu'il se confiait là sur un épisode assez traumatisant de sa vie. Bah oui, monter si haut et manquer de s'évanouir devant une bande de grands patrons de la télé, ça faisait partie des grands drames de sa vie. Et finalement, ils arrivèrent à destination. Devant eux, le fameux parcours. Et ça rigolait pas, apparemment. « Tu m'offres quoi si j'arrive jusqu'en haut en pas trop mauvais état ? » Eh oh, il voulait bien dépasser ses limites, mais il fallait quand même un peu le motiver.

C'est vrai, Jorah était peu sportif dans son genre. Disons qu'il n'avait jamais tellement ressenti le besoin de se mettre activement au sport. Il n'était pas un gros fainéant pour autant, simplement il estimait qu'il perdrait plus de temps qu'autre chose dans une salle de sport. Cela dit, il était presque sûr de n'être pas aussi ridicule que ça s'il lui fallait simplement se bouger un petit peu. Mais pas sûr que la référence au banjo aide Danica à le comprendre. « Difficile à dire, il faudrait que t'interroges ma cabine de douche, à ce jour unique témoin de mes hypothétiques talents vocaux » qu'il souffla, dans un haussement d'épaules. Lui, il aurait tendance à dire qu'il chantait aussi bien qu'il grimpait aux arbres, globalement, mais qui sait s'il ne manquait pas un peu d'objectivité. Danica disait en tout cas se préparer à la fin du monde. « Tu penses vraiment que tout ça puisse disparaître du jour au lendemain ? » qu'il releva, plutôt intéressé par la question, et par l'avis de Danica sur celle-ci. Pour le coup, il était donc devenu un petit peu plus sérieux, mais n'en avait absolument pas perdu le sourire. Quant à cette histoire de tour, il aurait peut être du la garder pour lui. « Tu imagines bien. Cela dit, si j'avais su que je ressortirai aussi vert que la cravate de mon client, j'aurais revu ma position sur l'alpinisme. » Parce que monter tout là-haut, c'était déjà un peu l'angoisse, mais rester un bon moment dans un ascenseur exigu avec pour fond sonore l'une de ces musiques clichées généralement préinstallées sur les ordinateurs, c'était l'horreur. Il en était heureusement ressorti indemne, à sa dignité près. Toujours est-il que Danica eut le bon réflexe en entreprenant de s'attacher, Jorah commençant à l'imiter à l'instant où il comprit qu'il ne pourrait de toute façon pas revenir en arrière. « Rassure-moi, quand tu dis 'redescendre', tu veux bien dire 'faire des roulés-boulés jusqu'en bas' ? » Ou à la rigueur, si ça impliquait de près ou de loin un toboggan, ça lui irait aussi. Mais se refader tout le parcours à l'envers, déjà beaucoup moins. Danica l'aida alors à régler ses lanières et les voilà partis pour une aventure qui ne rassurait pas particulièrement Jorah. Arrivés à la première plate-forme, ils échangèrent un regard convenant de continuer. Mais logiquement, la difficulté accroissait au fil de la montée. « Eh, je suis sûr qu'arrivés là-haut, Cupidon sautera de son nuage pour nous tirer des flèches dans la tronche et nous récompenser à sa manière de nous être montrés courageux. » Oui, il sentait un méchant coup fourré. Ou bien c'était une excuse pour repartir dans l'autre sens. A la rigueur.

L'on pourrait croire que Jorah y mettait beaucoup de mauvaise volonté, mais la vérité c'est qu'il ne voulait juste pas se ridiculiser devant Danica. Le sport, ça n'était pas son truc, mais il aurait aimé qu'elle ne s'en rende pas compte dès la première semaine. Alors oui, il traînait un peu en route et avait du mal à se motiver, mais pas pour l'embêter, parce qu'à choisir, il avait bien conscience qu'il valait mieux qu'il se retrouve dans cette situation avec quelqu'un qui, mine de rien, avait déjà laissé passer pas mal d'occasions de se foutre de lui. « T'avoueras que mon idée était quand même un peu plus amusante » qu'il souffla, l'air de rien, en haussant doucement les épaules. Heureusement que Danica était d'un sérieux implacable, parce qu'elle apportait à leur petit duo la rigueur dont était dépourvu Jorah. Ils se lancèrent alors et commencèrent le parcours. Mais voilà qu'au bout de quelques mètres, une musique retentit et prit Jorah complètement au dépourvu. Cette histoire de musique, il ne l'avait pas particulièrement suivie, alors forcément, quand sa partenaire parla d'un cadeau, puis qu'elle se retourna et l'attrapa par le col pour lui voler un baiser, il se demanda ce qui pouvait bien être entrain de se passer. Serait-elle déjà folle de lui ? Il l'envisagea une demi-seconde avant de faire le lien, et de se sentir un peu bête. « Je l'aime bien, en fait, ce Cupidon » qu'il énonça, parce que passer d'une histoire de flèches dans la tronche à un baiser plutôt agréable, bah ça lui donnait envie de lui laisser sa chance. Mais voilà que Danica ne mit pas longtemps à se remettre dans l'esprit de leur petite ascension, au grand damne d'un Jorah qui, c'est vrai, avait pu espérer qu'elle se laisserait déstabiliser. « Pas difficile, pas difficile ... Pour toi, j'en doute pas un instant, mais pour le boulet juste derrière, je te prie de croire que ça risque d'être une autre histoire. » Certes, ça commençait plutôt doucement et il tenait encore pas mal le coup, mais il se doutait que ça ne durerait pas. Quant au fait qu'ils ne soient pas "très haut", c'était aussi relatif, parce qu'un Jorah pas très motivé pourrait se croire perché à cinq-cent mètres, alors hein. Ah et cette tyrolienne, oui, parlons-en. « Déjà, ça a l'air de demander moins d'efforts. Mais on n'y est pas et en attendant rien ne dit que la tyrolienne, je ne l'expérimenterai pas sur une civière. » Dans des moments comme celui-ci, il s'étonnait lui-même d'être aussi pessimiste. « Surtout que pour l'instant, ça se passe un peu trop bien » qu'il reprit, sur le même ton, continuant d'avancer jusqu'à une prochaine plate-forme, pour qu'enfin ils arrivent à l'ultime étape. D'un regard, Jorah sous-entendit que, vraiment, lui il ne le sentait pas plus que ça.