jorah

Je suis loin d’être un chef cuisinier. À vrai dire, dans la vie de tous les jours, je suis plutôt du genre opportuniste, à me faire inviter chez des gens pour profiter du confort de leur chez soi et de leur bonne bouffe. C’était d’ailleurs le cas à Uluwatu, où je vivais chez une fille qui prenait plutôt bien soin de moi, dans tous les sens du terme. Je dirais presqu’elle me manque aujourd’hui, mais je ne suis pas certain de vouloir aller jusque là. Reste qu’elle était de bonne compagnie, et qu’elle cuisinait comme une pro. Des plats locaux et typiquement indonésiens. Et j’ai décidé de m’inspirer d’une de ses recettes pour mon repas de ce soir. Je crois que je devrais m’en sortir, ayant regardé en directe la confection de ce plat à plusieurs reprises. Je me met donc à la tache, créant un énorme vacarme en cuisine. Je n’ai jamais été doué pour la subtilité. La poêle en main, les légumes sautés dans celle-ci, je suis sur le point de mettre les nouilles à l’intérieur lorsque j’aperçois Jorah qui fait son entré. En même temps, je trouvais ça étrange de ne pas encore croisé personne à cette heure là. C’est pourquoi j’ai même prit la peine d’en faire un peu plus, au cas où. Voilà que je pense aux autres maintenant. C’est qu’il y a place à l’amélioration. « T’arrives juste à temps, j’dirais. » J’annonce au candidat, alors que je me débat avec la poêle pour faire sauter le tout. Ça va, je n’en échappe pas par terre. « Je suis meilleure en cuisine qu’en musique, si ça peut te rassurer. » Je préfère l’informer, ça pourrait modifier les excuses qu’il était sur le point de me donner pour ne pas goûter à mon plat. « Bakmi goreng. » C’est le nom de ce que je suis entrain de lui mettre dans une assiette.

Il est clair que certaines personnes ont le don d’arriver à la cuisine au moment parfait. Ce n’est pas la première fois que je me prépare un plat et que je suis rejoint par un candidat dans les quelques minutes suivantes. C’est surement pourquoi j’ai prit l’habitude de toujours en faire un peu plus. Et puis, c’est un retour des choses, puisque je profite aussi des talents culinaires des autres. Jorah semble penser la même chose que moi sur le point qu’il arrive pile au bon moment. J’ai envie de dire tant mieux pour lui. Et puis je l’aime bien moi ce Jorah, enfin, pour le peu que je connais de lui jusqu’ici. Et comme je lui propose de partager, je tiens à lui préciser que mes talents culinaires sont bien plus élevés que mes talents musicaux. Aucun doute là-dessus même. « Un peu que ça me rassure ! Parce que si tu m'avais dit que tu traitais généralement les pâtes avec la même dextérité que les cordes de guitares, j'aurais été en droit de craindre le pire » Mon rire résonne dans la pièce en entendant sa remarque. Il n’a pas tord, je crois que je ne mangerais même pas ce que j’aurais cuisiné moi-même si c’était le cas. « Je ne t’en aurais pas proposé si ça avait été le cas. » Je lui sers justement une assiette séparant le tout en deux avant de mettre l’assiette devant lui, satisfait du look et de l’odeur qui s’en dégage. Diah serait fière de moi. J’annonce finalement le nom du plat, sans réfléchir que ça ne doit rien signifier aux oreilles du candidat. Et effectivement, il se manifeste ce qui m’arrache un nouveau sourire. « Si c'est comme ça qu'on appelle ce truc, je préfère te dire que j'évite la plupart du temps de goûter à un plat dont je serais incapable de formuler le nom » Ah non mais il me déçoit sur ce point. « Pourtant, les plats avec les prénoms les plus étranges sont souvent les meilleurs. C’est bien de sortir de sa zone de confort. Je veux dire, du spaghetti, c’est bien bon, mais c’est tellement ennuyeux. » Je répond, comme si j’étais un fin connaisseur en matière culinaire. Mais il faut avouer qu’avec tous les endroits que j’ai visité, j’ai eu l’occasion de goûter plusieurs plats exotiques. Des bons, comme des moins bons. Voilà que monsieur veut que je lui vende le repas que je viens de lui offrir. C’est qu’il en demande beaucoup. « Se sont des nouilles frites avec des légumes, poulet, crevettes. Terriblement délicieux et typiquement indonésien. » Je me veux convainquant dans ma description, comme s’il s’agissait de la meilleure chose qu’il était sur le point de manger de toute sa vie. Enfin, si lui ne veut pas goûter, moi j’attaque mon plat avec appétit.

Une chose est certaine, je n’aurais pas proposer à Jorah de se joindre à moi pour manger si je n’avais pas été un bon cuisinier. Non, j’aurais plutôt essayé de lui faire préparer le repas, cela reste dans ma personnalité. Mais comme j’en ai beaucoup trop fait, et que Jorah est plutôt de bonne compagnie, je ne vois pas pourquoi je ne partagerais pas. Je tente d’expliquer à Jorah une théorie que j’ai à propos des noms étranges de quelques repas, qui s’avèrent être délicieux. Donc, plus c’est étrange, plus c’est bon. Ok, ce n’est pas vrai à tout coup, y’a des trucs qui restent dégueulasse peu importe le nom, mais bon, ça reste drôle. « Ah ouais ? Vas-y, cite-moi un nom de plat qui va dans le sens de ta remarque ! Un plat qui existe, hein, t'as pas le droit de profiter du fait que j'y connaisse rien pour en inventer un, ce serait de la triche ! » Ah ouais, il veut me prendre au piège là, je vois bien que c’est ce qu’il essaie de faire. « Hm... » Oui, il faut que je réfléchisse un peu. « Je dirais que les sushis sont un bon exemple. Lorsqu’on m’a dit de manger un sashimi pour la première fois, je me demandais bien ce qu’on allait me mettre dans mon assiette. » Et c’est franchement délicieux. Ce n’est pas le meilleur exemple que j’aurais pu lui donner, mais c’est la première chose qui m’est venue en tête. Au moins, je n’ai pas besoin de convaincre bien longtemps Jorah pour qu’il se décide à goûter à mon plat. Et il me dit que c’est délicieux. Je confirme, j’ai bien réussi ma recette. Même si celle de Diah est encore meilleure. « Merci, merci, je devrais peut-être me reconvertir en chef cuisinier. » Non, je n’irais pas jusque là par contre. « Donc c'est indonésien, tu dis ? T'as voyagé là-bas ? » Je hoche la tête, finissant ma bouché avant de reprendre la parole. « Ouais, j’y habitais récemment, avant de venir ici. À Uluwatu, sur l’île de Bali. C’est magnifique. » Je dirais même que ça me manque un peu, disons que j’avais commencé à m’habituer à l’endroit. Mais évidemment, aussitôt que je deviens trop confortable, je décide de me pousser. « Ma coloc aussi était magnifique. » J’ajoute, en riant légèrement. Elle aussi me manque un peu, j’imagine que c’est la même chose de son côté. Mais ça va, elle se remettra bien vite de mon départ.