Il y avait ces couleurs, bleu, jaune, rouge, elles se fondaient dans la masse, elles pourtant si belles. J'avais toujours eu du mal à comprendre cet attrait pour la couleur. Moi, j'aimais le gris, le noir, le blanc. J'aurais pu vivre dans un film des années cinquante, là, cigarette coincée entre les lèvres tandis que mon regard perçant se portait au loin. Noir comme la nuit, imperturbable. Ces castings, je les trouvais amusant, mais je ne le montrais pas pour autant, bien trop occupé à réfléchir aux questions qu'ils pourraient me poser. Je n'avais rien à dire sur moi. Je me sentais banal. Je n'avais aucune carte particulière en poche. Cette fille là bas, au décolleté plongeant, elle, elle avait des arguments. Ça n'était peut-être pas les plus percutants, mais j'étais presque certains qu'ils seraient tout aussi utiles. Moi, j'avais mon nez un peu trop droit, mes yeux un peu trop bleus, mes mèches un peu trop blondes, mon sourire un peu trop imperceptible et cette froideur bien trop apparente. Je n'y pouvais rien. Quittant le balcon réservé aux fumeurs, j'avais rejoint la salle d'attente, armé de ma passivité et de ma nonchalance habituelle tandis que je prenais place sur l'un des sièges à dispositions, jambes croisées, manches de mon pull relevées et sourire rangé bien au fond de ma poche. Toisant la salle d'un regard, j'humidifiais mes lèvres, osant un regard vers la concurrence. En vérité, j'étais excité de me retrouver ici, bien que je ne le montrais pas. Peut-être était-ce à cause de cet environnement auquel je n'étais clairement pas habitué, moi, coréen armé d'un simple billet d'avion et d'une valise pas plus grosse que mon palpitant. J'étais venu ici par mes propres moyens, saluant mon pays natal d'un maigre sourire tandis que je m'étais envolé vers d'autres cieux. L'Irlande avait un charme indéniable, du moins, pour ce que j'en avais vu. On ne pouvait pas dire que j'avais eu le temps de faire le tour du voisinage, je n'étais de toute façon pas un grand explorateur. Je pouvais entendre l'horloge toquer au dessus de ma tête, une deux, comme un compte à rebours qui ne demandait qu'à être désamorcé. Alors, pour faire le faire taire, je m'étais finalement penché au dessus de la table basse centrale, où quelques magazines étaient disposés. Je n'étais pas franchement au courant de toute l'actualité occidentale, ne m'intéressant de toute façon que très peu à tous les gossips de ces bouts de papiers un peu trop uppés à mon goût. Mais il fallait bien tuer le temps, n'est ce pas ? Sauf que voilà, sans réellement faire attention, je venais d'attraper le même magazine que la jeune femme en face de moi. Elle semblait vouloir me le laisser, mais je me trouverais bien impoli d'accepter sa proposition. Aussi, je jetais un coup d'oeil à la couverture de celui ci, notant une jolie blonde en première page. « Non, merci. Je n'aime pas Madonna. » prétextais-je d'un phrasé tranchant, souligné par mon accent occidental... Sauf que bon, ça n'était pas Madonna mais une certaine Winslet qui était mise en avant. Aucune importance. Avec un peu de chance, elle n'y verrait que du feu.

Il ne savait pas vraiment ce à quoi il s'était attendu en passant un casting. Ce n'était pas dans ses habitudes, aussi Ghika n'avait-il aucune idée du développement du processus. Ce qu'il n'avait surtout pas prévu, c'était que la première phrase qu'on lui adresse soit : « Allez dans la salle d'attente, on vous appellera quand ça sera votre tour. » Il avait pensé qu'on se pointait, qu'on le mènerait dans une salle où une entrevue aurait lieu et puis il pourrait repartir. Mais non, ce n'était pas comme cela fonctionnaient les choses ici. Attendre serait la première épreuve, d'un naturel un peu pressé, Ghika se retrouvait donc à errer dans les couloirs à la recherche de ladite salle d'attente.

La moitié du chemin parcouru l'envie d'une cigarette le saisit, damnation, pourquoi donc n'avait-il pas pensé à fumer avant de rentrer dans le bâtiment ? La réponse était simple : l'empressement l'avait guidé. Dans les corridors du bâtiment Ghika croisa douze versions de la même fille, perchée sur des échasses, seins siliconés en avant et nez refait. Ce n'était pas très joyeux. Les garçons étaient tous faits sur le même modèle eux aussi, bien que présentant une certaine diversité. Ghika n'était pas très objectif, grand et mince, au visage plutôt agréable à regarder. La demande de l'audimat était sûrement la raison pour laquelle tout le monde se ressemblait. Les gens au physique atypique n'étaient pas ceux que voulaient voir les téléspectateurs, ils voulaient du rêve, du fantasme. Ce qu'on leur vendait n'était pas qu'une personnalité, c'était un package, un physique, un caractère et du potentiel. Face à tant de superficialité, un aspect tragique du délabrement de la société digne d'un roman de Dickens, Ghika se demanda s'il arriverait à passer l'étape des castings.

Entrant dans la salle d'attente, qu'il espérait vide, il trouva deux personnes qui semblaient entamer une conversation. Une brunette au débardeur blanc plutôt jolie et un garçon, probablement un peu plus jeune que lui, au visage fin. « Salut, je peux me joindre à vous ? » La question était purement rhétorique, ils n'avaient pas vraiment le pouvoir de l'arrêter mais, dans l'éventualité où leur conversation aurait été un peu trop intime pour des oreilles étrangères, il valait mieux signaler sa présence afin qu'ils puissent reprendre une discussion plus banale. S'installant sur une des chaises, il se tortilla pour trouver une position adéquate pour supporter l'attente. Jambes croisées, le dos légèrement arc-bouté et un sourire chaleureux quoiqu'un peu forcé sur les lèvres. Le premier contact n'était pas toujours le plus simple, mais il fallait en passer par là. Ghika ne savait pas réellement où se mettre, entre le stress de la situation des castings et l'inconvénient d'être le dernier arrivé, il se demanda un instant s'il ne valait mieux pas qu'il se plonge dans la lecture d'un magazine à potins et qu'il laisse les deux autres futurs candidats discuter en paix.

Je n'allais pas accepté le magazine, non, parce que c'était quand même un peu trop facile, vous voyez. Et puis Madonna n'était plus franchement quelqu'un que j'avais envie de suivre. Non à vrai dire, elle ne l'avait jamais été. De toute évidence, la brune ne semblait pas plus intéressée que moi par ce bout de papier. « Ils ont probablement du mettre qu'elle a adopté un cinquième africain, divorcé une quatrième fois et tapé un scandale dans une boite de nuit. C'est toujours la même rengaine. » lâchais-je à la jeune femme tandis que je me séparais du magazine tout en soupirant. La vie des stars ne m'intéressait pas franchement, principalement parce que je n'en lisais jamais du bien. Leurs vies, elles n'étaient pas normales. Je préférais les petites actions quotidiennes et banales à des drames incessants et inconstants, pas vous ? C'était moins prise de tête. Et puis de toute façon, je ne m'intéressais pas à la vie des autres tout simplement, j'avais déjà bien des problèmes avec la mienne, sans même la déballer au premier inconnu. Et la brune en était une, d'inconnue, pourtant elle me posait une question personnelle. Qu'est ce que je pouvais bien faire par ici. Qu'est ce que j'étais venu chercher ? « Rien. » répondis-je le visage fermé, avant d'ajouter, plus décontracté « Ou tout... » C'était compliqué. « Je n'ai pas encore bien défini tout ça... Je te le dirai plus tard, si j'ai trouvé mes réponses. » je lui adressais un signe de tête, comme une promesse, même si je n'étais pas franchement certain de vouloir la tenir pour le coup. Ça n'était pas ses affaires après tout. Mais bon, il fallait faire des concessions, et puis l'horloge n'allait pas tourner toute seule. « Et toi ? T'as pas franchement l'air d'être la fille la plus motivée au monde. » Il n'y avait qu'à voir sa tenue, comparée à celles des autres femmes autour de nous. Ça lui donnait un certain charme. Il me semblait. Je n'étais pas vraiment sûr. Finalement, un roux s'était finalement joint à nous, nous demandant si il pouvait se joindre à nous. « Oh, il n'y a pas vraiment de nous qui tienne. » Nous ne parlions que de papier glacé après tout, ça n'était pas comme si nous venions d'échanger des bracelets d'amitié, un peu de calme. « T'as l'air à l'aise. » soufflais-je avant d'ajouter « Moi qui pensais que les roux étaient les parias de la société occidentale. » Cela dit, nous nous trouvions en Irlande, qui était on ne peut plus réputer pour ses poils de carotte. Damn it, ça sentait le complot.