Ghika éclate de rire en entendant la motivation d'Icare. Ce n'est pas un rire moqueur mais plutôt dû au choc de l'incongruité de la situation. Ce type, que beaucoup classerait comme un fervent adepte du hard-rock, potentiellement pratiquant de rites mystiques étranges, se trouve en fait être un grand croyant. Celle-là, Ghika doit bien l'admettre, il ne l'avait pas vu venir. Si on lui avait demandé de deviner, Dieu aurait même été la dernière raison qu'il aurait évoqué. « Oh je te crois. Tu sais qu'il a d'ailleurs été scientifiquement prouver que la Pythie avait des hallucinations dans lesquelles elle voyait dans des flashs ce qu'elle pensait être l'avenir ? Il se trouve qu'elle n'avait pas du tout de pouvoir magique c'est juste qu'elle vivait dans une sorte de grotte dans laquelle se répandait une espèce de gaz hallucinogènes. Peut-être que tu as la même chose, ou peut-être que tu souffres d'une forme rare de saturnisme à cause d'une encre de mauvaise qualité et bourrée en plomb dans un de tes tatouages... » Ressortir des faits historiques, mythologiques ou scientifiques est la façon qu'a Ghika de toujours avoir, sinon quelque chose d'intéressant, au moins un truc à dire en rapport avec le sujet de la conversation. Son esprit bouillonne d'anecdotes amusantes ou non, adaptables à des situations diverses et variées. Mais cette fois, il a dû aller chercher assez loin pour faire le lien entre Fake Lover, Jeanne d'Arc, la Pythie et Icare. « Ou alors tu es un moine d'un tout nouveau genre et tu cherches à rendre la religion plus tendance avec un look original et Dieu t'a vraiment confié une mission... » ajoute-t-il dubitatif, il essaye de visualiser Icare avec une toge menant une messe, vivant une vie de pauvreté et de don de soi. Pas un grand succès. Finalement il se décide à répondre à la question que lui a retourné le tatoué. Mais son histoire semble beaucoup moins intéressante, ou du moins bien plus banale, que celle de son interlocuteur. « Moi... rien de plus que les autres, j'ai un secret sympa, j'ai envie de faire l'aventure pour rencontrer des gens différents et pour pouvoir dire que j'y ai été. Et puis l'opportunité de rencontrer l'amour tout en gagnant pas mal d'argent c'est quand même assez attrayant. »

C'était drôle de voir comment ici, les situations pouvaient prendre des virages incongrus. Je pensais bien que la vérité sur mon étranges et divine illumination ferait jaser, mais à pas à ce point-là. L'histoire de la Pythie grecque suivit des farfelues hypothèses que me servit Ghika me fit énormément rire. Nombreux était ceux qui avaient tenté d'expliquer mon côté original sans forcément y parvenir, mais là c'était une première. Les gaz hallucinogène ou le saturnisme dût au plomb dans l'encre de mes tatouages, je me demandais bien où il était allez chercher cela… Je m'apprêtais à lui répondre quand il me sortit une dernière illumination de son chapeau, pour lui si je n'étais pas atteint de ce qu'il m'avait diagnostiqué avant j'étais un moine d'un nouveau genre… Je continuais de rire tout en essayant de raisonner ses propos :

Je crois bien être rien de tout cela. Je suis juste un homme qui croit en Dieu, qui a été guidé par celui-ci sur le bon chemin. Maintenant, comme tu dis qu'il y a peut-être de l'amiante ou du gaz dans mon appartement. Faudra que je fasse vérifier cela à mon retour.

Je riais de ma petite boutade. Au fond, je me foutais de sa gueule, Dieu n'était qu'un prétexte pour expliquer ma venue, pour tenter de rationnaliser ce qui m'étais arrivé… Passons, c'était à son tour de s'exprimer. Il me racontait les raisons de sa venues, qui se trouvait-être bien plus conventionnelles que les miennes. Au fond, seul le passage sur l'amour me fit tiquer :

C'est dommage de voir qu'à ton âge on croit encore en l'amour. Si je peux te donner un conseil, éloigne toi en le plus possible. Les relations amoureuses c'est des nids à emmerdes.

De ce côté-là, j'étais bien placé pour en parler, mais j'en avais pas tellement envie. Je n'étais pas là pour ça et de toutes manières si j'étais sélectionné, j'aurais bien le temps d'expliquer mon point de vue quand le sujet reviendrait sur le tapis

Croire en Dieu, quel étrange concept. Ghika n'était pas croyant, il ne pensait pas qu'un vieux bonhomme veillait sur eux, souhaitant le bonheur absolu, la paix dans le monde et toutes ces conneries dont les prêcheurs rebattaient les oreilles des personnes assez connes pour les écouter. L'idée même que Dieu ait pu « guider sur le bon chemin » une personne aurait suffi à le faire mourir de rire. Quelle preuve d'égocentrisme que de croire que Dieu, le tout puissant créateur de toute chose, avait pris une minute de son temps pour orienter le chemin d'un seul homme. Pour Ghika, c'était maintenant sûr, Icare délirait, mais comme toute personne en pleine crise de delirium, il ne servait à rien de la contredire et puis Ghika acceptait son point de vue, il n'y accordait aucun crédit, mais il tolérait son existence. Quand Icare lui fit part de sa sagesse, atteinte avec l'âge, au sujet de l'amour, Ghika se retint de ne pas lever les yeux au ciel. Ce n'était pas parce que les gens étaient déçus par leur expérience de l'amour qu'il fallait tout de suite propager l'idée qu'il n'existait pas. D'ailleurs... « C'est amusant, quoique légèrement contradictoire, de voir que tu es un homme de foi, mais que tu ne crois pas en l'amour. Dieu, quelle que soit la religion, est toujours un être d'amour... comment peux-tu penser que l'amour n'est pas une chose positive tout en croyant que Dieu existe ? » demanda un Ghika curieux, quoiqu'un peu irrité par la remarque d'Icare, ce n'était pas tant le fond qui l'ennuyait que la forme, « c'est dommage » sonnait à ses yeux comme une critique de son inexpérience ou de son inintelligence, ce qui -il faut bien l'admettre- était pour lui la pire des insultes. « M'enfin, c'est surtout pour l'argent et l'expérience que je suis là, je ne suis pas pessimiste au point de refuser l'idée d'avoir un coup de cœur mais ce n'est pas un objectif. Un bonus tout au plus. » lâcha-t-il pour rectifier l'idée qu'il avait donné, tout en gardant un ton plus détaché que lors de sa précédente intervention.

Au fond, à l'écoute de la réponse de Ghika concernant l'amour. Je me demandais si j'avais bien fait de partir sur ce sujet, mais bon... Le mal était fait, il fallait donc continuer sur ma lancée et répondre à sa question.

Je n'ai jamais dit que l'amour n'était pas une chose positive en règle générale. J'ai juste expliquer que dans mon cas, je n'ai eu le droit qu'au côté douloureux des relations amoureuses. C'est même ces difficultés qu'il ma fallu surmonté qui m'ont fait me rapprocher de Dieu. C'était lui qui m'avait mis ces barrières sur mon chemin, pour voir si j'étais prêt à les franchir et à m'avancer vers lui.

Je m'étais peut-être exprimé un peu trop vite, vu qu'il n'avait pas encore terminé. Je l'écoutais donc religieusement, hochais la tête pour lui montrer que je comprenais et répondais :

L’expérience, l'envie de découverte je crois que c'est ce qui nous anime tous. Maintenant pour ce qui est de l'argent, tous n'en désire pas ou du moins n'en ont pas besoin, ainsi je ne sais pas si ce critère de motivation est universel...

Je ne prenais pas la peine de réagir sur la question des bonus, un détail plus important me revenant en mémoire :

Au fait je ne crois pas t'avoir demandé, tu viens d’où et tu fais quoi dans la vie ?

Ces informations cruciales que l'on posait pourtant très souvent la première fois que l'on rencontrait quelqu'un, on les avait zappées... Comme quoi, quand un sujet le passionne, l'être humain est bien capable de mettre de côté la suite logique des choses.

Ghika hallucinait complètement, la réponse d'Icare était on ne pouvait plus saugrenue et s'il n'avait pas été préparé à tout en intégrant la session des castings, il se serait dit que ce mec méritait vraiment d'intégrer une secte chrétienne ou un truc du genre. Pas qu'il trouvât ça mal de croire en Dieu, Jésus, les Anges et les pouvoirs magiques de Moïse, c'était seulement complètement irrationnel et impossible à prouver ce qui le laissait franchement dubitatif. « Tu as dit que c'était dommage qu'à mon âge on croit encore à l'amour... mais je peux comprendre qu'on ait des expériences de vie différentes. » Lâcha-t-il pas franchement convaincu de l'argumentation d'Icare, mais ne cherchant pas non plus à créer une polémique sur la valeur de l'amour. Décidément ils ne seraient pas d'accord sur grand chose, l'argent était pour lui le moteur de chacun d'entre eux. Selon Ghika les hommes, les êtres humains en général, sont incapables de se satisfaire de ce qu'ils ont, ce qui les poussent à toujours chercher à amasser plus d'argent même s'ils n'en manquent pas. Parce qu'il n'a pas vraiment envie de rentrer dans une discussion philosophique sur la valeur de l'argent. Du coup, Ghika enchaîne directement avec la question d'Icare, ce qui sera un terrain moins houleux. « Je suis né en Louisiane mais je vis à Oxford pour mes études et pour pouvoir vivre correctement, je suis barman le soir. Et toi ? » retourne-t-il la question, un peu plus détendu. S'aventurer sur le sujet de la vie de tous les jours et qui n'est pas sujet à l'expression de beaucoup d'opinion, est probablement la chose la plus sage à faire pour mettre fin à leur divergence de point de vue sur l'amour et l'argent.

Ne disait-on pas que le temps accentuait les différences, au fond plus le temps passait plus cette adage se confirmait. Ainsi même si seulement quelques années nous séparaient, il était intéressant de constater la divergence de point de vue concernant l'amour et vu son absence de réponse l'argent et l’expérience sûrement aussi. Je ne faisais qu’acquiescer d'un signe de tête le fait que l'on ai des expériences de vie différentes. Je ne voulais surtout pas partir sur un débat, certes intéressant, mais sans fondement ni intérêt pour ce qui nous réunissait tout les deux ici ce jour-là. Son cours portrait me plaisait. C'était un garçon normal, mais qui, j'en étais sûr, cachait de nombreux secrets. Il ne me restait plus qu'à les démasquer. J'aurais bien le temps dans le jeu pour cela. Nouveau sourire, et je m'exprimais à mon tour :

J'habite à Paris où j'ai toujours vécu. Je suis gardien de nuit, à l'aéroport Roissy Charles de Gaulle. Fait étrange, malgré mon métier, j'ai pris pour la première de ma vie l'avion hier pour venir ici.

En dire plus, je ne trouvais pas cela nécessaire. Il fallait que je continue de garder un tant soit peu de mystère, afin que le jeu soit un minimum drôle. Je prenais appui contre la balustrade regardant dehors et lançant dans un souffle :

C'est ton premier séjour en Irlande ?

C'était peut-être un cliché mais je trouvais qu'il avait un air irlandais. Sûrement à cause de ces cheveux roux, couleur majoritaire dans ce pays. Nul l'idée d'être raciste ou amateur de préjugés, je en faisais que dire une vérité sur la situation actuelle rien de plus, rien de moins.

Paris... il y est allé deux fois, la première pour visiter comme un bon touriste, la seconde pour faire la fête comme un bon touriste. C'était indéniablement une belle ville, mais il ne s'y sent pas du tout chez lui, pas du tout le bienvenue.  En partie parce que les Français sont assez taciturnes dans les grands boulevards, mais aussi parce qu'il a eu l'impression que malgré tous ses efforts pour parler français, et Dieu sait qu'il en a fait, les gens ne tentaient pas de le comprendre. Venant de Louisiane, et encore plus de Bâton-Rouge, il a appris la langue de Molière dès son plus jeune âge et a toujours été plutôt bon. Pas assez pour être considéré comme bilingue ou pour faire illusion dans une conversation, mais suffisamment pour être compris et comprendre. il avoue ne pas trouver ça très intéressant, c'est un job de solitaire ce qui ne lui conviendrait pas du tout. « C'est pas si étrange que ça. Si on y réfléchit bien la nuit les aéroports c'est désert. Si tu travailles pendant que l'aéroport est vide tu peux difficilement voyager. » dit-il, un air vaguement savant sur le visage à cause de la réflexion sur l'existence ou non d'un paradoxe réel dans la situation. Ghika doit l'avouerl ce n'est pas un job qu'il trouve très intéressant, c'est un boulot de solitaire ce qui ne lui conviendrait pas du tout. Ce qu'il aime lui c'est le contact avec les clients.

« Non, j'ai fait quelques festivals irlandais avec des potes dans le passé. Je suis jamais venu pour quelque chose d'aussi sérieux cependant » Il ne prend pas la peine de retourner la question, après tout si l'autre n'avait jamais pris l'avion il y avait fort à parier qu'il n'était pas venu jusqu'en Irlande en bateau. Est-ce que des gens faisaient encore ça ? Prendre le bateau et naviguer en ferry pendant des jours pour franchir une distance qu'un avion peut parcourir en quelques heures ? Ghika comprend l'aspect romantique de la croisière quand elle se passe sur le Nil par exemple, mais dans la Manche ? Non vraiment il ne peut pas voir d'intérêt à ça. Enfant d'une société de consommation qui prône le tout et tout de suite qu'il est bien malgré lui. « Si tu gagnais les 100 000 € c'est quoi le premier truc que tu ferais avec ? » il demande ça bien que ça sorte de nulle part, il a juste envie de changer de diversifier un peu la conversation.

Ghika me faisait rire, surtout quand il me sortit sa réflexion sur les aéroports. Je riais et m'expliquais :

Tu sais… Un aéroport n'est jamais vide c'est un flux circulaire continu de personnes, il y a toujours des départs, des arrivées… C'est un espace en constante mutation, jamais identiques à deux secondes prêt…

La conversation bascula ensuite sur l'Irlande, je l'écoutais, acquiesçais, ne voyant rien d'autre à rajouter. Ah si, juste un petit truc me venais à l'esprit ainsi je me permettais de le mettre en évidence :

Penses-tu vraiment que participer à casting de télé-réalité soit quelque chose de sérieux ? C'est quelque chose d'important, d'une certaine envergure internationale certes, mais ce n'est pas sérieux… Ce n'est qu'un jeu, en tout cas moi je prends cela comme tel.

Cela dit, je continuais de l'écouter, assez intrigué par sa question. Un des lieux communs de ce genre de castings, qu'on ne m'avait pour l'instant pas encore posés. Je réfléchissais quelques instants et répondais :

Un voyage surement et puis je m'achèterai du matériel pour dessiner, sculpter, peindre, j'adore ça. Pour finir le plus important : cela me permettra de continuer mes tatouages. Puisque sincèrement, être comme moi cela a un coût.

Je clôturais cela par un rire léger. Il est vrai que mes tatouages, vu que c'était ma passion, je les faisais faire sans compter. Sauf qu'au bout d'un moment, l'argent vient à manquer, le trou ne se comble plus et là… Je pense que les 100 000 euros, même si sur le fond il ne m'intéresse pas plus que cela, pourrait se révéler utile.

L'heure tournait et Ghika commençait à se dire qu'ils feraient mieux de ne pas passer deux heures supplémentaires à discuter sur le balcon. Les autres candidats auraient été trop heureux de les enfermer dehors afin de leur faire rater leur passage devant le jury. C'est qu'il y avait dans l'air une sorte de mesquinerie ambiante franchement difficile à louper. Le commentaire sur le caractère sérieux de leur activité sonna comme un coup de gong aux oreilles de Ghika. Si ce n'était qu'un jeu aux yeux d'Icare, il serait ravi de prendre sa place puisque lui voyait là un moyen de parvenir à ses objectifs et d'améliorer sa vie par la même occasion. Bien sûr Ghika ne se voilait pas la face, il savait que ce n'était pas une course au Prix Nobel, mais il envisageait l'aventure sous un jour un peu plus sérieux que certains. « Je sais que c'est un jeu et qu'en effet c'est un peu frivole. Mais les castings sont un préambule et s'il y a 100 000€ à la clé alors oui, je considère ça comme quelque chose de sérieux. Ça pourrait changer ma vie de fond en comble après tout ! » La liste des choses que ferait Icare avec l'argent lui paraissait relativement sérieuse, bien sûr si lui venait à gagner il ferait en sorte qu'on requière sa présence dans une destination exotique et ferait payer le voyage à l'organisateur de son déplacement, mais pour des vacances au Japon, il serait prêt à sortir le chéquier. « Pas mal, tu vas pouvoir te payer un super tour du monde des tatoueurs avec cette somme. » Il avait entendu dire que certains tatoueurs avaient des listes d'attente longues comme le bras et que certaines techniques n'étaient pratiquées que par des stars du milieu. Avec le prix de la victoire, Icare pourrait sûrement se payer d'être la vitrine de ces étoiles montantes de la peinture corporelle. « Bon, on ferait bien de rentrer histoire de pas rater notre tour. » lança-t-il à son acolyte d'un moment. Après tout, ils étaient là pour ça alors le moment de détente était fini et ils avaient du pain sur la planche : se faire sélectionner.