+ Je pousse les portes au hasard depuis ce matin, ne suivant qu'une espèce d'intuition qui me conduit à ouvrir celle-ci plutôt que celle-là. De toute façon, même si le nid à l'air grand, j'en aurais très certainement fait le tour complet au bout d'une semaine, deux peut-être, si je ne me retrouve pas nominée dans quelques jours et éliminée dès le prochain prime. Si ça devait arriver, je crois que je serais vraiment très vexée et frustrée. Si je dois partir, je veux au moins avoir eu le temps de découvrir le nid en entier et de l'intérieur, pas à moitié dont une partie à travers ma télé parce qu'on m'aurait fait sortir trop tôt. Je pose la main sur une nouvelle poignée que j'abaisse afin d'en pousser la porte. Je me retrouve alors dans ce qui m'a l'air d'être la salle de musique, pleine d'instruments et d'albums musicaux d'artistes en tous genres. Je suis danseuse, j'ai donc toujours eu une fascination certaine pour la musique autant que pour tout ce qu'on peut transmettre au travers. Je ne sais pourtant jouer de rien, ou peut-être un peu de guitare dont j'ai appris quelques bases aux côtés d'un vieil ami de mon père, mais ça s'arrête là. Etant enfant, j'étais bien trop prise d'abord par les nombreux cours de danse que je suivais, et ensuite l'école, pour en plus m'essayer à un instrument. J'aurais bien aimé, mais ça ne s'est pas fait, et je ne pense pas qu'on puisse dire que ça me manque aujourd'hui. Je m'approche d'une guitare et en effleure le manche. J'ai été entichée d'une guitariste, une fois, mais ce n'était vraiment rien de sérieux. La porte s'ouvre et je romps instantanément le contacte avec l'instrument. Je jette un coup d'œil à la demoiselle qui passe la tête par l'entrebâillement de la porte. « Oh, salut. » Que je dis un peu surprise mais sur un ton se voulant tout à fait naturel, un léger sourire aux bords des lèvres.

Ohana n'adule pas forcément la musique ou les musiciens. C'est hyper cliché que de tomber dans les bras d'un dandy assis devant un piano ou d'un pseudo lover pendu aux cordes de sa guitare. C'est même sérieusement emmerdant ce genre de mecs, qui se pensent affreusement spéciaux pour ça, alors que le piano et la guitare sont à la portés de n'importe quel gogole qui veut bien s'y mettre. Nan, elle est pas frustrée parce qu'elle s'est faite larguer par un musicien ou un truc de ce genre. Elle les trouve complètement débile et c'est pas faute d'avoir vu des pseudo guitariste sur les plages tahitiennes, en mode feu de camps. Plus pathétique, tu meurs. Donc ouai, si elle s'approche de la salle de musique c'est autant par pur hasard que parce qu'elle se fait clairement chier et qu'elle n'a rien de particulièrement passionnant à faire. Quand elle entre dans la salle, une meuf est déjà présente, qui la salut. La tahitienne la regarde de haut en bas, perplexe. "Te gênes pas pour moi..." Elle regarde l'instrument qu'elle avait en main deux secondes avant qu'elle n'arrive. C'est bon meuf, fait pas genre j'veux pas jouer devant un public, faussement modeste. Il n'y a rien de plus gerbant que les faux modestes. "Sauf si tu joues comme une merde, dans c'cas abstient toi. J'ai pas envie d'voir mes tympans saigner..." Elle hausse ses épaules, en s'approchant. C'est certain que si elle n'est pas une fausse modeste et que ouai, vraiment, elle ne sait pas en jouer, ce serait plus sage que de pas en faire du tout. Doucement, Ohana se rapproche de la nana, passant sa langue sur sa lèvre, les yeux plissés. "C'est quoi ton p'tit nom..."

La demoiselle me dit de ne pas me gêner, je ne vois pas bien pourquoi. Peut-être parce que j'ai vraiment l'air de quelqu'un qu'on vient de surprendre malgré le semblant d'attitude faussement détachée que je tente tant bien que mal de me donner. Elle précise tout de même que si je joue "comme une merde", je peux tout de même m'abstenir. Donc elle pensait que j'étais sur le point de jouer. Non, non pas du tout. « Je crois que je vais m'abstenir, pour tes tympans. » Trop de gentillesse en moi, n'est-ce pas ? C'est surtout que même s'il paraît que le ridicule ne tue pas, j'en ai un peu peur. Vous me direz, ça semble difficile à croire vu que je suis en plein dans une émission totalement débile et justement ridicule, selon certains, mais d'après moi ça n'a rien à voir, ou vraiment pas grand chose, avec le fait de jouer de la guitare comme un pied, ou de n'en avoir appris que quelques bases, il y a longtemps. La brune me demande alors mon prénom. « Jessica. Et toi, c'est quoi ? » "Ton p'tit nom", s'entend. Parce que même s'il me semble avoir déjà vaguement entendu parler d'elle, je n'associe pas encore son prénom à son visage, et inversement. « Tu joues d'un truc peut-être, ou tu chantes ? Tu voulais la salle ? » Que d'interrogations, n'est-ce pas. Quoi qu'il en soit, si c'est le cas je peux m'en aller et la laisser, ce n'est pas un soucis, maintenant que j'ai jeté un coup d'œil par ici je n'ai plus qu'à poursuivre ma petite exploration ailleurs. À moins qu'elle veuille un public, autre que le nombre effarant de téléspectateurs de l'émission, et là je peux rester si nécessaire, me rendre un peu utile. Mais il se peut aussi qu'elle ne soit entrée que pour voir comment s'était et qu'elle compte s'en aller dans la seconde.

Elle est sérieuse, Ohana, si c'est pour que la jeune fille produise de la merde comme son, autant ne plus toucher du tout à cette guitare. En plus la pauvre quoi, elle n'a pas demander à ce que des doigts - aussi délicats puisse-t-elle les avoir - viennent la torturer. Les cordes ont déjà dû bien souffrir. Bon, ce qui est bien, c'est que la jeune fille doit vraiment avoir conscience de son non talent puisqu'elle s'abstient d'en rejouer. Exactement comme la tahitienne le souhaitait au plus profond d'elle-même.  "Ouai, t'es cool." Elle feint une sympathie naturelle en lui sortant ça, une légère grimace pointant le bout de son nez. Pour ça et parce que le visage de la demoiselle l'intrigue follement. Non quand même, c'est pas la seule à avoir un visage assez spécial quoi et pas spécial dans le sens éblouissant de beauté quoi. Elle s'appelle Jessica. Ohana espère pour cette Jessica qu'elle soit originaire d'un pays anglo-saxon. En France - ouai, Tahiti c'est français quand même - c'est souvent les cas sociaux qui ont ce genre de prénom, comme les Pamela, Brandon et autres Bryan qui font pitié. Elle lui retourne sa question. Faussement choquée, elle lui adresse de gros yeux une moue vexée sur les lèvres. "Tu l'connais pas encore, mon prénom?" Question rhétorique puisqu'elle connait déjà la réponse. "Merde, moi qui croyait être déjà célèbre..." Elle passe l'une de ses mains dans sa chevelure de jaie, dans le style l'Oreal, parce que j'suis une putain. Avant de lâcher une espèce de rire qu'elle essaye de contrôler. Est-ce qu'elle joue ou chante? "Nan, nan, j'pensais tomber sur quelqu'un sachant jouer un minimum de quelque chose, ou chanter ouai pourquoi pas, mais visiblement c'pas le cas..." Elle la regarde de travers, relevant un sourcil. "J'me fais un peu chier pour tout dire, j'pensais que le candidat lambda pouvait me divertir, ça non plus, c'pas le cas..." Elle la toise une nouvelle fois. "T'as pas une idée d'occupation?"  

Je prends finalement la décision de ne pas jouer. De toute façon, je n'en avais aucunement l'intention même avant que la demoiselle n'arrive. Elle dit que je suis cool, de la même façon que je peux dire à une fille que j'aime ce qu'elle porte quand ce n'est pas forcément le cas. Je lui adresse un léger sourire qui ne reste pas bien longtemps perché aux coins de mes lèvres. Quand elle me demande ce que c'est mon prénom, je lui réponds, mais quand je lui retourne la question, je n'en ai droit qu'à une de plus. « Non, désolée. » Je ne connais pas encore son prénom, mais en même temps, pourquoi je me souviendrais du sien plutôt que de celui d'un autre ? Elle a quelque chose de spécial, cette fille, à part des airs limite supérieurs ? Je n'en sais rien, je ne crois pas, mais je me contente de lui adresser un faux sourire d'excuse quand elle dit qu'elle se pensait déjà célèbre. « Oh, tu l'es peut-être déjà, c'est juste moi qui ai du mal à me souvenir des noms de tout le monde. » C'est vrai, mais je ne pense pas vraiment qu'elle soit déjà célèbre au bout d'à peine quelques heures, ou alors c'est qu'elle est très forte. Enfin, c'est de la télé-réalité, tout le monde regarde, même moi si j'étais chez moi, et donc on connait tous au moins le nom du chieur ou de la chieuse de la saison, même après n'avoir regardé l'émission qu'une seule fois. Il est vrai que je la qualifie un peu vite de chieuse, mais c'est l'image qu'elle me renvoie. Pas que ça me déplaise, au contraire, les filles dans son genre mettent souvent pas mal d'ambiance dans le nid, de ce que j'ai pu voir pendant que je regardais les saisons précédentes sur mon canapé, devant ma petite télé. Je lui demande si elle chante, si elle joue d'un instrument, si elle voulait la salle. Mais non. Elle cherchait justement quelqu'un qui sache chanter mais ce n'est pas le cas. « Non, désolée, encore une fois. » Parce que ça fait déjà deux fois que je fais semblant de l'être. À nouveau, ce faux petit sourire d'excuse alors qu'elle me regarde d'une drôle de façon. Elle ajoute qu'elle pensait que les candidats lambdas sauraient la divertir, mais ce n'est pas ça non plus. « Tu me crois si j'te dis que je suis désolée pour la troisième fois en moins de cinq minutes ? » Ouais, j'imagine que non, hein, ça va commencer à faire beaucoup à force. Elle me demande toute de même si j'aurais pas une idée d'occupation. Je hausse les épaules. « Hm, je sais pas. On pourrait écouter de la musique. » Que je dis en désignant la radio d'un signe de tête. Je m'en approche à pas prudent. « Il doit bien y avoir quelque chose d'à peu près potable là-dedans. » Je commence donc à fouiller et farfouiller pour voir ce qu'on a bien pu mettre à notre disposition comme disque ici. « T'es plutôt branchée quoi ? » Comme musique, s'entend. Mais elle n'a peut-être aucune envie d'écouter un pauvre cd en ma compagnie et ce n'est surement pas moi qui vais l'y obliger.