GAETANE

Je me suis fait distancer. Bien comme il faut, par l’autre gueux de Percy et il suffit de regarder sa sale tronche d’anglais pour comprendre que ce n’est pas normal. Même après avoir enfin réussis à parvenir à mes fins avec Paloma, il conserve encore et toujours quelques points supplémentaires. Ça m’énerve. Il les enchaîne, tandis que je m’attarde sur ce qu’il se fait de mieux en termes de qualité. Je devrais peut-être taper un grand coup. Du genre qui statuera mon score pour de bon comme inatteignable, même si mon concurrent essaye de choper toutes les filles du nid. Une vingt. Soit une Gaëtane, puisque Zelda la vierge officielle de l’aventure s’est fait la malle il y a quelques semaines. Séduire ma partenaire est d’une entreprise des plus difficiles, d’autant plus quand on prend en considération le fait qu’il m’a fallu un bon mois pour l’actrice pornographique de service. J’ai mal commencé avec elle, la rouquine me déteste. Elle me lance sans arrêt des regards farouches par-dessus ses lunettes, même quand je demeure sage et docile à ses bons vouloirs. Déjà, j’ai accepté de dormir en célibataire, alors que ça n’arrange pas vraiment ma réputation de rester seul comme un con dans un lit froid. Ensuite, je me suis retenu de faire un commentaire sur na nouvelle couleur de cheveux désastreuse pour ne pas montrer les failles de notre couple qui résident en ce moment dans ses mèches verdâtres. Malgré tout ça, elle continue d’agir bizarrement en ma présence. Moins qu’avant, mais je suppose que ce n’est pas demain la veille qu’elle va venir se glisser sous nos draps conjugaux, toute chaude et bouillonnante. J’ai réfléchis à un plan d’attaque, avant de rentrer en croisade pour pouvoir partir explorer les deux collines qu’elle planque sous des t-shirts informes. La musique. C’est la solution, ça marche à chaque fois avec les filles qui frétillent sur place dès qu’on frôle la touche d’un piano ou la corde d’une guitare. J’attends patiemment, me baladant l’air de rien du grand salon jusqu’à la cuisine. Gaëtane finit par se pointer pour se réfugier aussitôt dans la salle de musique. Je patiente encore un petit peu et quand suffisamment de temps s’est écoulé pour que je puisse faire illusion, je m’approche de la porte pour pénétrer à mon tour. Mes yeux naviguent autour de moi, pour enfin se poser sur la jeune femme dans ma décontraction habituelle. « C’est quoi ton truc ? » Le chant, les percussions, la flute traversière ?

Je pénètre dans la salle de musique d’un air nonchalant jusqu’à ce qu’elle m’apostrophe machinalement par un fait qui casse toute cette attitude censée se baser sur le hasard. Elle m’a entendu. Je la suis. Je sais, elle n’a pas besoin de le préciser sans relever la tête dans ma direction avec son petit air de génie de la filature qui a tendance à m’agacer. Je ne me démonte pas et fais quelques pas supplémentaires pour l’approcher en douceur. Ça va être compliqué de la séduire, mais pas non plus impossible. Je suis un bon. Je travaille sur la durée en semant quelques petites graines, attendant ensuite qu’elles fassent le travail à ma place. Jamais je ne ferais un pas vers ma partenaire sans avoir foi en mes chances de réussites, c’est elle qui doit venir à moi. Mon fonds de commerce c’est la solitude. Celle qui les obligent à rechercher un peu de réconfort et étrangement j’incarne un candidat idéal quand il s’agit de combler les vides qui phagocytent tout leur être dans les mauvais jours. Gaëtane doit être très seule. Je n’ai pas de preuves flagrantes à avancer pour démontrer ce jugement, mais c’est une impression. Peut-être même une déduction, mais bien trop intuitive pour que je la prenne comme acquise. Je m’enquiers à propos des instruments qu’elle maîtrise comme pour lui faire plaisir et lancer la conversation que parce que ça m’intéresse. J’ai entendu dire qu’elle s’adonnait à quelques improvisations musicales de temps en temps avec Ghika le coton tige. Je trouve ça stupide, sans doute parce que j’ai toujours eu une manière de la concevoir plus marketing que sensible, mais ça ne veut pas dire que je n’en suis pas capable. « On joue à un jeu ? » je propose dans un sourire. Je me retiens pour ne pas le faire passer du côté moqueur qui régit normalement mes rapports avec autrui. « Tu choisis ce que tu veux que je joue et je dispose. » Ou du moins j’essaye, bien que ma maîtrise soit assez satisfaisante dans un panel élargit depuis que je travaille dans une maison de disque.

Gaëtane continue de garder ses yeux rivés sur sa guitare. Je la fixe, attends qu’elle daigne m’accorder un coup d’œil, mais ça ne vient pas. J’en serais presque vexé, mais j’ai tendance à penser qu’une telle attitude est plus positive que négative. Peut-être que si je ne possédais pas un embryon d’ascendance sur la jeune femme, elle serait plus encline à me parler et à se dévoiler. Je croise les bras, me confronte à son silence avant de me louvoyer doucement vers le piano d’un air malin. Mon doigt s’écrase sur le piano pour en faire sortir une note qui agit comme une interpellation à son égard. Regarde-moi Gaëtane. Intéresse-toi à moi. J’aime bien jouer. Habituellement, je me divertis différemment qu’en posant mes fesses derrière un instrument, mais je suppose que ça aidera à servir mes plus grandes ambitions en ce qui la concerne. Je ne sais pas pourquoi les filles aiment tellement les musiciens. Il suffit de dégainer un médiator pour qu’elles frétillent du bas ventre. Elle exige, je dispose. Je m’arrête une seconde sur son choix de chanson, mais juste une seconde parce que j’ai d’autres choses à faire que d’essayer de sonder son esprit pour comprendre l’inexistant. Gaëtane, elle est cassée. Ça ne fonctionne plus comme avant là-dedans, depuis la mystérieuse perte de mémoire qu’elle a déjà mentionnée à l’occasion d’un buzz validé. Je contourne le tabouret pour m’asseoir face au piano. J’essaye de me souvenir de la mélodie. Je chantonne doucement pour retrouver le rythme, frôle quelques touches pour vérifier le son qui s’en dégage. Mes doigts s’éloignent pour mieux revenir après. C’est ma tactique pour me faire désirer et amplifier mon talent qui n’est pas si développé que ça. Je joue, mais je ne suis pas un musicien. Je m’affaire sur le clavier et ce n’est pas parfait. Je commets quelques erreurs, fais l’impasse sur les passages que ma mémoire ne parviens pas à retrouver dans sa banque de donnée. Mais elle ne peut pas m’en vouloir, pas avec ses propres souvenirs qui ont été pulvérisés pour laisser des trous béants qu’elle n’est pas fichue de remplir et qui l’oblige à se comporter de cette étrange façon qu’elle a l’air d’affectionner. A la fin du morceau, mon index reste appuyé sur la dernière note comme pour l’étirer longuement et magnifier la catastrophe qui vient tout juste de s’écouler. Je lève la tête et attends qu’elle l’ouvre enfin. Rien ? Pas même un petit mot ? Un commentaire sur mon interprétation issus des lèvres de Paloma qui m’a un jour dit qu’un piano c’était une femme et je me suis appliqué à le caresser le gueux, dans une parade sensuelle imperceptible. « Stairway to Heaven. Led Zeppelin. » je réclame à mon tour d’une voix tranquille.