GAETANE

Je me ballade, tout sourire, avec ma petite gueule homologuée milieu carcéral. Mais ce n’est pas grave, j’aime bien. Je crois même que maintenant que mon secret a été révélé, j’ai chopé cette tendance qui veut que j’en rajoute des tonnes à cause de mon côté sadique fortement développé. Je joue les gros bras sur les terrains de sport, défie du regard les candidats qui viennent entraver mon espace vital quand ça ne me plait pas. Je suis devenue un cliché de moi-même. Et pourtant ce n’est pas moi, mais je compte bien feinter mon statut de criminel tant qu’il peut m’offrir un quelconque avantage sur mes pairs, parce que j’ai l’impression depuis quelques jours qu’il s’estompe. Les autres débiles commencent à comprendre qu’Isaac c’est surtout une grande gueule et très peu d’actions. Ma supériorité d’un temps qui me galvanisait commence à m’échapper et autant dire que ça m’embête bien. Je rôde dans le jardin en évaluant les différentes options qui s’offrent à moi. Maigres, très maigres. Je crois que je vais devoir me contenter de m’amuser des plus niais, tel la brute du lycée qui s’en prenait qu’aux plus faibles. Je calcule, trie dans ma tête. Ghika, Noah, toutes les gamines inexpérimentées à la vie du nid et… Gaëtane. Gaëtane qui passe sous mon nez à plusieurs mètres de distances, détalant dans le labyrinthe. Ou du moins c’est ce que mon imaginaire fantasmé de chasseur attendant sa proie voit. Elle s’enfuie. Elle s’enfuie, alors qu’en réalité elle se contente peut-être juste de marcher à une allure modérée. Je me remets à mon tour en mouvement, avançant jusqu’aux hautes haies afin de m’enfoncer à mon tour à l’intérieur. Je la suis tranquillement, mains dans les poches, persuadé que je ne me ferais pas distancé avec bien plus de classe que quand c’était Alice qui courrait après son lapin blanc. Le mien est roux. Il se retourne et je lui sers mon sourire carnassier digne du chat du Cheshire. « Tu ne m’attends pas ? » je demande en poursuivant mon ascenssion. « Tu es en retard ? » je lâche un brin moqueur. C’était bien ça l’excuse dans le conte de Lewis Carroll si je ne me trompe pas.

Je plonge mes mains dans mes poches, un sourire insolent qui s’étale sur mes lèvres au moment où j’arrive à sa hauteur. Elle me défie du regard. Ou du moins je le prends comme tel parce que je ne sais pas vraiment comment qualifier le coup d’œil qu’elle me lance, plantant ses prunelles sur moi dans une assurance factice. On ne me la fait pas à moi et dès qu’elle prend la parole, je constate qu’encore une fois je ne me suis pas trompé. N’est pas déterminé qui veut. « Parce que c’est ce qui fait. » je rétorque aussitôt innocemment, ma voix oscillant entre l’affirmation et l’interrogation. Il me semble que dans le cadre dans lequel nous évoluons, avec toute cette étendue de terrain pour le nombre de candidats que nous sommes, il est normal de se laisser aller à la coutume locale qui veut de discuter futilement de nos vies. « Ça s’appelle la pression sociale. » Ne pas s’y plier, c’est comme les candidats qui préfèrent rester dans leur coin dans l’aventure. Louche. Louche, bien que je sois sûrement le plus suspect des deux quand on y regarde de plus près. Gaëtane n’a rien de menaçant. Je la fixe quelques secondes alors qu’elle ne comprend pas ma référence littéraire, s’alarmant presque à l’idée d’avoir zappé quelque chose. Je me contente d’hausser les épaules en restant silencieux. Non, pas d’annonces, pas d’évènements organisés par Cupidon. « J’en sais rien. » je lui confie en la couvant d’un regard qui se veut rassurant. Ou du moins j’essaie de souffler le froid et le chaud pour poser les prémices d’une confiance à sens unique. J’ai perdu mon secret, mais je ne perds pas le nord en ce qui concerne le jeu. Il y a bien d’autres manières de le dominer. « Je me suis dit que c’était mon devoir de t’escorter dans ce labyrinthe. » Je me penche légèrement d’un air entendu. « Ce serait bête que tu te perdes. » Et je ne sais pas pourquoi, mais en parlant de son hypothétique disparition je ne peux pas m’empêcher d’adopter un ton qui laisse croire que je pourrais m’en charger moi-même, psychopathe sur les bords. Je n’y peux rien, c’est plus fort que moi.

Elle n’aime pas ça. Moi non plus, ai-je envie de lui souffler, parce que je ne suis normalement pas fait pour courber l’échine face à des conversations qui m’ennuient profondément. Si je pouvais m’extraire aux états d’âmes de certains attardés du nid, je le ferais volontiers, mais j’ai un peu trop conscience de ne pas être apprécié ici-bas. Je l’observe, cherchant à comprendre l’essence même de Gaëtane derrière ses bégaiements et son regard fuyant. Je fais un pas en avant, elle fait un pas en arrière. Je pourrais presque me marrer si je n’essayais pas de lui faire une bonne impression. Je cherche le juste dosage entre la crainte que je lui inspire entant que délinquant officialisé et dans l’idéal une certaine confiance. Je glisse mes mains dans les poches, joue le grand prince uniquement là pour sa sécurité. « J’en sais rien. » je clame en regardant autour de moi. Des grandes haies. Que des haies vertes partout. Je ne me suis pas vraiment demandé si j’étais perdu jusque-là, sans doute parce que mon objectif principal était plutôt d’attraper ma proie que de retrouver mon chemin. Je ne me suis pas préoccupé de mémoriser la bonne route, le retour s’annonce ainsi plus compliqué que l’aller. Je ne regarde pas assez selon-elle, ce qui est sans doute vrai puisqu’elle était ma principale occupation. « Et tu n’as pas non plus besoin de ma protection contre le minotaure ? » Elle le connait celui-ci, la Gaëtane ? Les créatures mi-taureaux, mi-humaines qui hantent les labyrinthes, il ne faut pas rigoler avec. « Ou tu peux m’escorter moi. A moins que tu veuilles avoir ma mort sur la conscience. » je lâche tel un tragédien. Je veux bien être sa princesse en détresse si elle préfère se la jouer Brienne de Torth. Je mime de faire un pas en avant, non plus dans sa direction comme un prédateur, mais vers une nouvelle allée afin de vérifier si elle est encline à marcher à mes côtés.