+ On pourrait croire que je m'ennuie à tourner en rond, passer et repasser aux mêmes endroits des dizaines de fois de suite, presque tous les jours, mais pas du tout. Non, je découvre, je suis heureuse d'être là, la vie est belle, les oiseaux chantent, le soleil brille. Et le pire, c'est que c'est vrai. J'en profite, parce qu'il est rare que je puisse en faire autant de part chez moi, à Chicago. Il faut dire que je suis plutôt un oiseau de nuit, à cause de mon métier. Je dors le jour, je dance la nuit et c'est tous les jours pareil, ça recommence encore et encore jusqu'à ce que j'ai enfin des vacances, que j'ai amplement méritées, je pense, et que j'essaye de retrouver le rythme de vie d'une personne normale, même si ce n'est que pour quelque temps. Ensuite c'est reparti pour un tour. Peut-être que j'en aurais marre un jour, mais pour l'instant, ce n'est pas le cas. En fait, je n'ai pas vraiment le choix, c'est ça ou rien, et je suis bien contente d'avoir un travail, aussi mal vu et mal payé soit-il. Sans trop savoir pourquoi, il me revient en tête une chorégraphie, au sol. Pas de barre, pas de chaise. C'est vrai qu'en général, au club, j'ai souvent l'un de ces deux accessoires, de plus en plus indispensables à une "bonne" stripteaseuse de nos jours, me semble-t-il. Je passe près de la fontaine et mes yeux suivent les courbes de l'eau comme on suivrait celles du corps d'une femme. Je l'effleure du bout des doigts en m'asseyant au boire de la fontaine. Je détourne la tête juste l'instant d'apercevoir un candidat approcher. Il me dit quelque chose, j'ai son prénom sur le bout de la langue, mais impossible de mettre le doigt dessus. « Tu ne vas pas me pousser, si ? » En tout cas, s'il en avait l'intention, je viens juste de gâcher l'effet de surprise, c'est bête.

Assise au bord de la fontaine, je me dis qu'il y a des chances que ça donne des idées aux petits plaisantins du nid qui trouverait amusant de pousser les filles dans l'eau. Moi ça ne me plairait pas, enfin je rirais surement un peu, mais l'auteur de la farce devrait se préparer au retour de bâton parce que me pousser dans l'eau en maillot de bain c'est une chose, le faire quand je suis toute habillée et que j'aime ma tenue, comme souvent, c'en est une autre, et cela vaut de s'attirait de bien plus importantes représailles de ma part. Mais ça n'aurait apparemment pas traversé l'esprit du premier candidat qui passait par là si je ne lui avais pas parlé. « Prends ton temps surtout, je ne voudrais pas te presser. » Dans son étude de la question. Non, je peux même me montrer très patiente. Mais nous ne parlons assurément pas sérieusement, pas moi en tout cas. Il me demande s'il m'arrive souvent de faire ce genre de suggestions aux gens. Je hausse les épaules. « Non, en général ils sont assez malins pour y penser tout seul. » Pas besoin d'inciter le con à faire des conneries, c'est dans sa nature, mon père dit souvent ça, et c'est assez drôle parce que ça s'applique aussi à son cas. « C'est quoi ton nom ? » Que je demande alors, incapable de le retrouver par moi-même. Cela fait une semaine que nous sommes là et je ne dois pas connaître le prénom de la moitié des candidats avec qui je cohabite. « Moi, c'est Jessica. » Il pourrait ne pas le savoir, ce n'est pas écrit sur mon front, comme il n'était pas écrit sur le sien qu'il ne me pousserait pas dans la fontaine.

Après avoir pris un petit instant pour faire croire à une quelconque réflexion, le jeune homme en vient à la conclusion qu'il ne souhaite définitivement pas me pousser dans la fontaine. Tant mieux. Il se dit pourtant désolé, enfin presque. « Oh mais ne le sois pas, je suis bien contente de rester au sec, moi. » Que je m'empresse d'affirmer. Il me demande tout de même si on ne m'aurait pas donné pour mission de finir les fesses dans l'eau. « Non, pas du tout. » Si ça avait été le cas, je me serais plutôt baladée en maillot de bain toute la journée pour que le moment venu, quand je serais tombée à l'eau, je ne mouille pas de beaux habits tout propres qui n'avaient rien demandé à personne. Et si on m'avait demandé de rester toute habillée pour réaliser la mission, j'aurais refusé, je tiens beaucoup à mes affaires, surtout à mes vêtements, alors pas question de les souiller inutilement. Ce n'est que de l'eau, ça sèche, mais tout de même. J'engage les présentations en lui apprenant mon prénom. Il fait de même et dit s'appeler Percy. « Ah, c'est pas du tout ce à quoi je pensais. » Je me fais la remarque à voix haute. J'avais l'impression de me rappeler de son prénom, mais visiblement, j'en étais loin. En réalité, je n'avais aucune idée de comment il pouvait bien s'appeler, mais j'avais tout de même l'impression de savoir. Enfin bref. Je replonge les yeux dans l'eau, et peut-être qu'il a fait de même parce qu'il me demande si j'ai jeté une pièce dedans. « Non, je crois pas trop à ce genre de trucs. » Que je réponds tout simplement. « Et toi ? » Il n'a pas non plus l'air du type qui croit dur comme fer à un tas de légendes comme celle de la fontaine qui exhausse nos souhaits quand y lance une petite pièce, mais je suis nulle pour deviner les choses, la façon dont peuvent être les gens, donc si ça se trouve je me trompe totalement.

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