Il commençait doucement à se faire tard, et le soleil avait depuis un bon moment quitté le ciel, la lune l’ayant replacé depuis peu. Un peu après vingt-deux trente, j’ai ressenti un intense besoin d’aller prendre l’air, et sans me poser plus de questions, j’ai attrapé un veston chaud avant de sortir à l’extérieur, quittant la résidence sans vraiment prévenir qui que ce soit. De toute façon, chacun vivait sans vie sans se soucier des autres dans les parages, et j’avais pour habitude de faire de même. Je n’allais pas changer mes habitudes, car je vivais en communauté. Je laissais mes pas me guider, n’ayant pas de destination en particulier en tête. Je profitais du moment, de cette liberté retrouvée – enfin, sommairement – depuis peu, et je glissais l’une de mes mains dans mes poches afin de me prendre une cigarette, que j’allumais vite fait, avant d’en tirer un long coup, expulsant la fumée dans la noirceur de la nuit. De loin, on ne devait voir que ce petit point rouge lumineux, cette lueur qui allait et venait au gré de mes inspirations. Devant moi, le parc d’attractions dans toute sa splendeur. Il croisa ma route, un peu au hasard, et, comme le lieu était dessert à cet heure, je pouvais me permettre de l’arpenter sans déranger personne, et sans que l’inverse ne se produise, aussi. Je fini par prendre siège près du carrousel, qui malgré l’absence d’être vivant dans sa structure, continuait de tourner à un rythme régulier, sa musique résonnant dans l’espace environnant.  Ce manège m’avait toujours fascinée. Enfant, ma mère m’avait toujours interdit de m’en approcher, craignant que je me blesse. En vieillissant, j’avais tout simplement perdu l’intérêt pour la chose, trop prise ailleurs, que ce soit par mes études, mes contrats de mannequinats ou mon stage. Est-ce que je regrettais? Non. Regardant le tout avec, désormais, des yeux d’adultes, je n’arrivais pas à comprendre l’émerveillement que ces chevaux de bois pouvaient provoquer chez qui les approchait. Et même si la gamine, enfouie bien au fond de mon être, trépignait d’envie d’en faire un tour,  je reste là à l’observer en silence, tirant sur ma clope de temps en temps, le pied battant au rythme de la mélodie qui jouait en continu.

L'hiver, il aime que les jours se terminent plus tôt pour faire place à la nuit. Ce phénomène se produit des horaires décalés selon le pays. Au Nord, la lune remplaçait le soleil dans le ciel très tôt. Paraît-il que les lumières du soleil ont des effets sur leur humeur. En absence de soleil, le moral se dégrade quand la nuit persiste trop longtemps. Un phénomène qui n'arrive qu'en saison hivernal pour le coup. Dans l'obscurité, il erre ça et là, sans but précis. Perdu dans ses pensées, il se retrouve devant le carrousel. Il le contourne et remarque la présence d'une jeune femme. Il la reconnaît. Lorena, si ses souvenirs sont bons. Il se remémore leur première rencontre. Elle n'a pas été géniale, en grande partie par sa faute. Il s'approche, légèrement embarrassé. Il se pose à côté d'elle, les mains dans les poches et le regard au loin, laissant entre eux une distance des plus acceptables. Ni trop proche, ni trop éloigné l'un de l'autre. Assez près qu'ils puissent avoir une conversation. Il rompt le silence et articule sa pensée sous forme d'excuses sincères. « Excuse-moi pour la dernière fois. » La remarque cuisante de la brune lui est restée dans l'esprit. Il s'est montré trop familier au goût de la belle. Il ne l'a pas pris mal. Surtout pas. Il comprend que ce genre de familiarité puisse lui déplaire. Désormais, il resterait à sa place. « Je ne voulais pas te contrarier. », incite-t-il afin qu'elle ne se méprenne pas sur ses attentions qu'il veut louables. Il ressent un léger vertige. Pour y palier, il sort de sa poche une barre de céréales qu'il croque à pleines dents en regardant le carrousel repartir pour un autre tour. « Tu veux y monter ? » Il a remarqué qu'elle regardait le carrousel avec insistance. Peut-être une envie de moment. Il n'en rajoute pas plus, préférant ne pas la déranger davantage.

Le bruit du gravier qui crisse sous des pas lents me sort momentanée de ma torpeur, alors que je remarque une silhouette qui s’approche avec précaution de mon emplacement. Je plisse un moment le regard, cherchant à démystifier l’identité de l’arrivant, et je reconnais l’un des habitants des abysses avec qui j’ai partagé un échange rapidement écourtée par mon attitude. Il semble d’ailleurs avoir en mémoire ces quelques paroles, puisque c’est à bonne distance qu’il s’installe, partageant néanmoins ce même banc où je siège depuis un moment. Le silence perdure pendant un bon moment avant qu’il ne daigne le brisé, revenant sur son approche trop familière dans cette prison désaffecté qui les a hébergé la semaine dernière. « J’apprécie tes excuses mais elles ne sont pas nécessaires. » lui fis-je la mention. Il est inutile qu’il use sa salive pour des mots qui n’ont, à mes yeux, que peu d’importance. « Tu ne me connais, ni d’Adam, ni d’Ève, tu ne pouvais donc pas savoir. » Oui, son attitude m’avait contrariée, et la situation dans laquelle nous nous trouvions n’avait fait qu’empirer mon mal-être. Ma réaction avait été exagérée, disproportionnée, brusque, sans aucun tact. Côté première impression, je n’aurais pas pu faire pire. Mon regard continuait de fixer le carrousel dans toute sa splendeur, alors qu’il brillait dans la nuit, éclairant les environs de toute sa lumière. Mon voisin me demanda, alors que le manège commençait doucement à s’enclencher pour un autre tour, si je souhaitais y grimper. Je me contentais de secouer la tête de gauche à droite en guise de négation. « Ne te gênes pas pour moi. » Il était libre d’agir à sa guise. Néanmoins, il se contenta plutôt de rester sur le siège à mes côtés, dégustant une collation qui avait probablement récupéré à l’intérieur de notre résidence, avant de partir en exploration nocturne. Pour ma part, je me contentais de fumer ma cigarette jusqu’aux derniers centimètres, avant de la jeter dans le cendrier extérieur à mes pieds. « Effaçons cette dernière semaine et recommençons du début. » proposais-je finalement au bout de plusieurs autres minutes de silence. Me tournant en direction du candidat, je tendis la main vers ce dernier. « Je suis Lorena. »