+ J'ai pas dormi de la nuit. Ou alors seulement quelques petites minutes par-ci par-là. Ça me rappelle une bien belle époque de ma vie, ça, tiens. Je suis crevée maintenant, du coup, et je dois avoir des cernes immondes. Je baille, on dirait une vache, et ça me fait monter les larmes aux yeux. Non mais je suis plus triste, c'est bon. Je suis juste fatiguée, j'ai les yeux qui piquent, un peu. Et bon, oui, peut-être que je suis encore un petit peu triste, mais ça va, on va pas en faire un fromage, je suis une grande fille, ça va passer. Ou pas, je sais pas, j'en sais rien. Je suis pas spécialiste. De toute façon, c'est pas comme s'il y avait eu quoi que ce soit entre lui et moi. Non, mais maintenant, ce qui est sûr, c'est qu'il y aura sans doute jamais rien. C'est chouette, ouais, vraiment. Tout un tas de gens se sautent dessus à la première occasion dans ce jeu, ils se rapprochent tous plus ou moins, et quand je crois que ça pourrait être possible, v'là qu'on m'l'enlève. C'est pas juste. Je mérite tellement d'être heureuse. Et je dis pas ça en sale pétasse mal baisée de le vie que je peux être. Non, je crois que je le mérite vraiment. Mais là, je dois avouer que je vois plutôt la vie en noir. Le rose, c'est démodé, c'est pourri, c'est moche, ça me donne envie de vomir. Et pourquoi je fixe bêtement le lit de Lou et Tilda, moi ? Parce qu'ils sont trop mignons. Je sais pas vraiment ce qui se passe entre eux, et je m'en fous, mais rien que de les voir comme ça, j'ai envie de chialer. Faut que je sorte, j'ai besoin d'air. Je sais pas quel heure il est, tôt sans doute, il fait encore sombre et surement frais, mais je crains pas le froid, j'ai dormi dans sa veste, j'ai bien chaud dedans. Et puis elle sent tellement bon. J'ai vais pas réussir à m'en défaire avant un moment. J'ai l'air con, je sais. Et je me cogne le pied contre un truc qui traînait, évidement. Le sort s'acharne, franchement. « Mais merde, putain ! » Je ne peux m'empêcher de lâcher, brisant le calme royale qui règne dans la chambre. Pour la discrétion, on repassera, hein. Je me replie sur moi-même, allant jusqu'à m'asseoir par terre. J'étouffe un sanglot. Je sens que c'est que le début d'une semaine de chiotte ou je vais chialer pour un tas de petits riens du tout. Je me mords la lèvre inférieure pour essayer de faire moins de bruit, mais je crois bien que j'ai réussi à réveiller quelqu'un. Lou. « Désolée, c'est rien, rendors-toi, je vais bien. » Comme s'il en avait quelque chose à faire. Je l'ai surtout sorti de ses rêves, je suis qu'une sale conne rien que pour ça, j'imagine. Mais j'ai pas fait exprès. Malheureusement, je ne vois pas encore dans l'obscurité. Et puis, je me suis excusée, il devra se contenter de ça, voilà.

Depuis l’annonce de la grossesse de Tilda, je dormais mal, c’était un fait. J’avais même découché une ou deux fois, parce que je me sentais incapable de m’endormir aux côtés d’une femme enceinte. J’avais trop peur de bouger, de lui faire du mal, de faire quelque chose de pas bien. C’était assez paniquant. Mais ces derniers temps, ça allait mieux. Tout simplement parce que je faisais des efforts, et que je m’étais rendu compte que je ne pouvais pas continuer sur cette voie là. Ce n’était pas humain de rester crevé toute la journée et de ne pas fermer l’oeil de la nuit par peur de faire du mal à Tilda. Alors j’avais décidé de faire des efforts. Ça n’avait pas été facile au début, mais je dormais plus ou moins bien désormais. J’avais même recommencer à la prendre dans mes bras pendant son sommeil, autant dire que c’était un geste qui me demandait beaucoup de force mentale. Mais je me sentais bien quand elle était près de moi, et je dormais même mieux. Enfin, je dormais bien jusqu’à ce que j’entende ce bruit qui me sort à moitié de mon sommeil. Je lâche Tilda pour me relever, me retrouvant assis, et je crois bien distinguer les traits Jessica en boule au pied de notre lit. Qu’est-ce qu’elle faisait là ? Je me frotte un instant les cheveux, les sourcils froncés, les yeux toujours mi-clos. Et à sa voix, on peut facilement deviner qu’elle n’est franchement pas dans son assiette. « Tu es sûre que ça va ? » je murmure d’une voix rauque parce que je suis toujours un peu endormi, il faut le dire. «  Qu’est-ce que tu faisais devant notre lit ? » je ne peux pas m’empêcher de lui demander avant de me frotter les yeux comme si ça me ferait mieux voir dans le noir. Je finis par repousser la couverture pour aller hors de lit et me diriger vers elle, et je lui tends la main pour l’aider à se relever. «  Pourquoi tu ne dors pas ? » je lui demande alors. Non, parce que je ne savais pas qu’elle heure il était exactement, mais sûrement pas l’heure d’être debout.

J'en ai marre de me faire mal aux pieds toutes les semaines. Je dois être maudite, j'en suis même certaine. Et cette fois, ça me fait bien plus mal que les autres fois pour tout un tas de raisons plus débiles les unes que les autres. J'essaye de ne pas faire trop de bruit, mais c'est trop tard, en jurant j'ai bien dû réveiller quelqu'un. Quand je me rends compte qu'il s'agit de Lou, je lui assure que ça va et qu'il peut se rendormir tranquillement mais il s'inquiète tout de même et me demande si j'en suis sûre. « Oui, oui. » Je fais en appuyant mon petit mensonge rassurant d'un signe de tête affirmatif. Puis je change d'avis. « Non. » Je couine en hochant la tête de l'autre sens. Je tiens mon petit pied meurtri entre mes deux mains, je masse là où ça me fait mal avec mes pouces, même si en vrai, c'est pas pour ça que ça va pas. Oh, il y a de ça, évidement, mais c'est que j'ai l'impression que le sort s'acharne un peu sur moi. Je suis une pauvre petite chose, oui, je sais. Pourtant, à me voir d'ordinaire, on dirait pas forcément. Mais tout le monde est faible, tout le monde a au moins un point faible, une faiblesse aussi petite soit-elle. Personnellement, j'ai toujours pensé que face à la faiblesse, il y avait deux types d'individus : ceux qui la cachent avec brio et ceux qui la laissent envahir leur vie. Je ne suis pas de ceux-là, en général, mais il y a des moments où on n'a pas le choix, je crois. Je me pince les lèvres alors qu'il me demande ce que je faisais devant leur lit. « Oh, heu, rien, je passais juste par-là et... » Pas très convainquant, en effet. « Je vous trouve mignons, tous les deux, enfin trois si on compte... Tu sais. » Le bébé. Je suis pas à l'aise avec ces trucs-là, mais c'est vrai, ça me fait un petit quelque chose de les voir ensemble, je sais pas, ça à l'air bien, ça à l'air de se passer à merveille entre eux. Alors je sais pas, je les envie un peu. De toute façon, j'envie un peu le monde entier, j'ai l'impression. Enfin, dans leur cas, à Lou et Tilda, c'est que je sais que j'aurais jamais la moitié de ce que chacun a. J'aurais jamais de gosses, jamais ma propre famille, jamais de personne qui m'aime, ni un peu, ni beaucoup. Je suis pas le genre de personne qui peut se permettre d'aimer ou d'être aimée, ce serait égoïste, ce serait pas juste. Tout ce que je peux faire, c'est envier, être jalouse de ceux qui en ont la possibilité, à qui ça peut arriver sans que ça connaisse forcément une fin fatale et bien triste. Enfin, c'est bête, faut pas se torturer l'esprit avec ce genre de conneries. Le candidat m'aide à me relever, j'attrape donc sa main et je me mets debout même si mon pied me fait toujours un peu mal. Il me demande pourquoi je ne dors pas. « Je sais pas trop. » Je sais mais je peux pas te le dire, et même si je pouvais, rien ne dit que j'en aurais envie. « J'y arrive pas, je crois que je réfléchis trop. » Je dis dans un sourire avant de laisser échapper un petit rire, presque nerveux. Allez, un peu d'auto-dérision, ça peut pas me faire de mal. « Et pourtant c'est pas souvent que ça m'arrive. » Mais faut toujours que ce soit le cas au moment de fermer l'œil, hm. « J'imagine que je suis la seule responsable si tu dors pas, toi non plus. » Ou peut-être que je ne l'ai pas du tout dérangé pendant son sommeil, qu'il était déjà réveillé, qu'il était même sur le point de se lever. Mais bon, j'en doute.

Je ne m’attendais certainement pas à voir une Jessica en boule au pied de mon lit, et encore moins à une heure pareille, autant le dire. Et apparemment, elle n’allait pas bien, ce qui était donc l’explication de cette situation pour le moins… étrange. Jessica n’allait pas bien, et je n’avais aucune idée de quelle pouvait être la raison de son mal être. Ce n’était pas comme si je la connaissais très bien, mais ça ne m’empêchait pas d’avoir envie de l’aider. Mais bon, avant ça je lui demande ce qu’elle fait précisément devant mon lit, quand même. Est-ce qu’elle me cherchait ? Ou était-ce peut-être Tilda ? J’avais tout pleins de théories saugrenues dans la tête, et bien évidemment ma curiosité se devait d’être assouvie. Comme d’habitude. Mais à vrai dire, je ne sais pas si j’aurai voulu connaître la réponse, vu ce qu’elle me dit. Elle nous trouvait mignon… tous les trois. Je pose mon regard sur Tilda encore endormie sans rien dire pendant un instant. Elle est deux. Tilda est deux, et j’ai encore du mal à l’accepter. «  Hm… Merci ? » je ne suis pas sûr s’il faut la remercier ou non. Elle nous trouvait mignon… Et pourquoi ça ? Nous ne faisions rien de mignon. Enfin bon, je finis par me lever pour l’aider à la lever, justement, tout ça en essayant de faire le moins de bruit possible. Il était hors de question de réveiller ma partenaire, je m’en voudrais trop. Tilda avait besoin de se reposer. Je lui avais déjà causé assez de soucis comme ça, ce n’était pas la peine d’en rajouter. Je lui demande alors logiquement ce qu’elle fait dehors à cette heure-ci. Tout le monde dormait, sauf elle. Et moi aussi, pour le coup. Je lâche un léger rire à ses paroles alors qu’elle prétend ne pas réfléchir bien souvent. Je secoue doucement la tête de droite à gauche, pour lui montrer que je n’étais pas d’accord avec ses dires. «  Tu exagères. » Elle n’avait pas l’air débile, Jessica. Au contraire. Et une femme intelligente, ça réfléchissait. Même les gens débiles réfléchissaient, en fait. Donc bon. «  C’est à cause du prime ? » je dis tout bas pour ne pas faire trop de bruit. Le prime faisait toujours des ‘blessés’. Je n’avais malheureusement pas pu assister à celui de la veille, alors je ne savais pas vraiment ce qui c’était passé. Peut-être était elle proche d’un des deux éliminés. Je n’en savais trop rien. Je grimace un peu à ses paroles, ne pouvant pas lui mentir et lui répondre par la négative. Effectivement, c’était elle qui m’avait réveillé. «  Ce n’est pas grave. » je lui confie dans un sourire rassurant tout en haussant mes épaules musclées. «  Je suis certain qu’il y a une place pour une troisième personne dans le lit, si tu veux. » Je lui propose sans aucune mauvaise pensée, au contraire. Peut-être que de rester allongée avec moi et Tilda l’aiderait à mieux s’endormir et à oublier ses soucis. Je voulais juste aider, même si je n’étais pas particulièrement proche de la belle candidate.

Je ne sais pas si je fais bien de dire à Lou que je les trouve mignons, dans leur petit lit, tous les trois. C'est surtout ça qui doit le gêner un peu, comme j'en ai l'impression. Je n'en sais rien, en fait. Il faut dire que je peux me montrer assez égocentrique quand je veux, et même si je sais qu'ils sont très proches, elle et lui, je ne suis pas non plus au courant des détails de leur relation, entre partenaires, à moins qu'ils ne soient un peu plus que ça. Tout ça m'a l'air tellement compliqué en fait, parce que j'ai l'impression qu'ils font partie des candidats les plus appréciés et qu'ils sont proches de pas mal de monde, alors que moi je me sens un peu seule dans mon coin, surtout maintenant que Eryk et Noah ne sont plus là, enfin surtout le premier, mais j'avoue que le second me manque aussi un peu, il était gentil et puis il réchauffait le lit, il comblait le vide qu'il y a maintenant. Pas étonnant que je sois déjà debout si je dors dans un lit froid, hm. Non, en réalité, ce n'est pas pour ça que je suis déjà levée, mais plutôt parce que ça cogite trop là-dedans, dans ma petite tête, et pourtant, c'est pas souvent que ça arrive. C'est d'ailleurs ce que je confie à Lou mais il pense que j'exagère. « A peine. » Je réplique dans un petit sourire de circonstance. On ne peut pas dire que je sois une lumière, non, après tout je suis blonde de base. Bon, je ne pense pas non plus être la plus conne de l'émission, mais clairement pas la plus intelligente. Faut dire que j'ai pas été gâtée par la nature et mes chers parents, côté cerveau, mais j'ai d'autres atouts, heureusement. Le jeune homme me demande alors si c'est en rapport avec le prime, que ça va pas trop bien ou que j'arrivais pas à fermer l'oeil, je présume. Je me vois mal lui mentir et faire comme si c'était pas ça alors que je pense que tout le monde aura plus ou moins remarqué, puis ils sont pas débiles. « Oui, en grande partie. » J'avoue en jetant un coup d'oeil au sol, à mes pieds en fait, et surtout à celui qui me fait toujours un peu mal. Je déclare ensuite comme si de rien n'était que c'est moi qui suis l'entière responsable du fait qu'il soit déjà debout, mais c'est pas grave qu'il dit. « Oh bah si, quand même un peu. » Je riposte doucement. Je voulais pas qu'il se lève, qu'il se sépare de sa partenaire pour moi. Je suis pas si important que ça, comparé à elle, au bébé, tout ça. Il me propose de venir les rejoindre dans le lit, qu'il y aura assez de place pour une troisième personne. Quatrième, en fait, mais je suppose que rien ne sert d'insister sur ce point, hm. « Non, non, c'est bon. Je veux pas déranger, vous êtes déjà complets. Je vais juste... Me rendre à cloche pied jusqu'à la porte, puis traverser le couloir, prendre l'ascenseur en espérant qu'il se bloque pas et continuer sur une jambe jusqu'à la cuisine pour essayer d'avaler quelque chose. » Je sais pas pourquoi je lui raconte tout ça avec une petite voix tremblante là, je fais pitié. « Et je réessayerais de dormir dans la journée, je ferais une sieste dans le grand lit que j'ai pour moi toute seule, maintenant. » J'ajoute en souriant bizarrement, d'un air un peu nostalgique peut-être, presque triste en fait. Oui, voilà, je suis juste triste, à propos de pleins de choses, de tout, je crois. Et je crois même que je vais pleurer pendant le trajet jusqu'à mon verre de jus d'orange, mais pas devant Lou, j'ai déjà l'air assez idiote comme ça, mieux vaut limiter les dégâts.