+ PALOMA

Il se faisait tard, et mes prunelles s'alourdissaient minute après minute alors que je tentais pourtant de garder le cap. Rien de mieux qu'un peu de musique pour se laisser bercer n'est ce pas ? Pourtant ma musique à moi n'avait rien d'enivrante. One way or another, que chantait Blondie tandis que je réfléchissais à tout et à rien, surtout à rien. J'avais bien du mal à discerner le réel de la fiction, tandis que mes poings se resserraient autour de mon lecteur mp3 à moitié fracassé. Je n'aimais pas acheter de nouvelles choses, non, je crois que j'étais bien trop attaché à la valeur sentimentale de chaque objet pour oser le remplacer tant qu'il marchait encore. Il devait bien avoir sept ans, celui ci. On me l'avait offert. Un des seuls cadeaux qu'un étranger m'avait fait. Je n'étais pas habitué, moi, mais ça m'avait fait sacrément plaisir. Alors oui, fonctionnel ou non, il serait là, toujours au creux de ma paume, à tourner mes vieux classiques sans concession. Les candidats défilaient dans ma chambre, alors que mes paupières parvenaient enfin à vaincre la fatigue. Il était trop tôt, trop tôt pour sombrer, trop tôt pour passer au lendemain. Trop tôt pour tourner la page. Alors, dans un ultime effort, j'avais finir par pousser sur mes poignets pour me relever et quitter le matelas. C'était difficile. J'avais la nette impression d'avoir enquillé quinze verres de trop, et ce bien même si je ne savais pas ce qu'être saoul était. Je n'avais jamais réellement trop bu. Le "trop", ça n'était pas pour moi. J'aimais le juste assez, partout, tout le temps. Dans une plainte presque inaudible, j'avais osé affronter les néons du couloir, sans même savoir où je me dirigeais. Il y avait ces pensées qui me hantaient, positives comme négatives, comme si je ne pouvais plus leur échapper. Rien à faire, j'étais plus fort que tout ça. Je partais à l'aventure, moi. Alors, je poussais la première porte à ma disposition, osant affronter la surprise, l'inattendu. C'était Paloma qui, elle aussi, était disposée sur son lit. Sans réellement demander la permission -je l'aurais fait d'habitude, mais j'étais décidément trop fatigué pour me rappeler de toutes mes manières et autres politesses- j'avais fini par me laisser tomber à côté d'elle en miaulant un « Dis, pourquoi on se complique la vie ? » personne n'avait l'air heureux ces temps ci. Je l'étais moi, même si ça n'était pas toujours la vérité. « C'était bien plus simple au début. » Il n'y avait pas toutes ces choses à penser. Il n'y avait pas toutes ces complications, tous ces mots que l'on évitait. Et puis, il y avait ces regards. Je n'étais plus habitué à apprécier que l'on me dévore des yeux.

L'aventure avait pris des proportions que je n'arrivais moi même plus à maitriser. J'avais beau dire tout ce que je voulais, ou penser ce que bon me semblait, je savais que tout ceci me dépassait. J'avais la nette impression d'avoir été lâché au milieu de l'océan, sans savoir vers quel côté me diriger pour regagner la berge. Et ça me faisait peur, comme un rien pouvait me faire peur. Peut-être était-ce parce que je n'étais pas aussi habitué au danger que je le pensais. Peut-être était-ce parce que je ne m'ouvrais pas autant qu'on pouvait l'imaginer. On m'avait qualifié de niais, de creux, ces mots ne m'avaient pour autant pas blessé. Parce que je savais que je n'étais pas tout ce que l'on pouvait dire en bien ou en mal de moi. J'étais compliqué. Je me trouvais compliqué. Un rien ne me suffisait pas. J'avais toujours besoin de plus, encore plus. Et aujourd'hui, je trouvais que tout ceci, c'était trop. Oui, c'était allé loin, trop loin pour que je puisse encore arriver à maitriser quoi que ce soit. Ma vie me glissait entre les doigts, et c'était probablement ça qui était le plus difficile à avaler. Mon coeur battait à cent à l'heure à chaque fois que j'avais le don de dire ou faire un pas de trop, comme si j'avais peur d'être encore plus vulnérable que je ne l'étais déjà. Ou du moins, que je ne le paraissais. Alors oui, tout était compliqué, et je m'étais presque vu dans l'obligation de lui demander pourquoi nous avions cette nécessité d'épicer les choses. Je n'attendais pas nécessairement de réponse, peut-être parce qu'il s'agissait en réalité plus d'une réflexion intérieure. Pourtant, la jolie brune n'avait pas tardé à prendre la parole me disant que la vie, c'était forcément compliquée. Qu'apprécier quelqu'un nous rendait exigent. Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, si bien que j'en venais à pencher la tête, pensif. J'avais conscience d'être plutôt exigeant, et ce malgré les apparences, mais de là à vouloir rentrer dans le conflit sans arrêt. Au final, peut-être était-ce simplement les attentes de chacun qui faisaient que tout le monde ne pouvait pas être sur la même longueur d'onde. « Je... Je ne sais pas. » lui répondis-je lorsqu'elle me demanda si je regrettais la candeur des débuts. Oui, je n'en savais strictement rien. « D'un côté, je me dis que tout était plus facile... Mais de l'autre, sans toute cette évolution, je crois que je n'aurais pas pu m'attacher à l'ensemble des habitants. » Parce que je l'étais, malgré les hauts et les bas. Chacun était comme il était, et composait ce décor qui était devenu mon quotidien au fil des semaines. Et chaque dimanche était en quelque sorte une déchirure. « J'aimerais juste pouvoir me poser un peu moins de questions, parfois. » repris-je alors, rêveur, tandis que mes prunelles noisettes se perdaient sur le plafond, cherchant une imperfection qui n'existait de toute évidence pas. « Mais je suis content d'être ici, pas toi ? » C'était peut-être un peu niais de ma part, mais je savais que cette aventure était réellement déterminante pour le reste de ma vie. Que j'en avais besoin pour avancer, et que j'étais ainsi content d'être encore en jeu à ce stade, bien que je trouvais cela tout à fait surprenant.