Ca y'est, c'est vraiment la fin. Bientôt Fake Lover ne sera plus que d'la poussière d'étoile, des souvenirs auxquels on pense souvent au début et ensuite de moins en moins jusqu'à ce qu'ils s'estompent doucement mais sûrement et que tout ce qu'on a ressenti, éprouvé si fort, apparaisse dérisoire. Oh pour la majorité bien sûr, Paloma s'doute qu'elle rentrera pas dans ce schéma parce qu'elle est mélancolique. Elle vit dans l'passé au lieu de s'ancrer dans le présent et elle sait que son aventure, elle la portera toujours en bandoulière, dans l'creux dans son coeur et elle est pas certaine que les sentiments qu'elle a fait naître, ils s'estomperont d'eux même sans heurts, comme d'la vapeur d'eau. C'est pas son truc. Elle sait que les souvenirs resteront toujours aussi cuisants, intenses et qu'elle oubliera rien du tout. Ni les noms des candidats, ni les mots qu'ont composé leurs conversations, ni leur impact sur elle, sa chair à vif, son palpitant tout mou et sa soif d'attachement impossible à étancher. Encore moins ce qu'elle a éprouvé, pour eux. Pour chacun d'eux à des degrés différents mais quand même y'en a pas un seul qui l'a laissée indifférente parce que l'indifférence, elle sait pas faire. Ca l'aiderait, Paloma, d'être moins fragile parfois mais au final elle croit qu'elle préfère être comme elle est, ressentir trop que pas assez. Alistair le lui a dit et sur le coup ça l'avait pas apaisé parce que ça tenait du discours facile. Elle avait mal, très mal, elle aurait donné n'importe quoi pour oublier, pour laisser l'trou noir d'son ventre, là où y'a eu la vie une fois, la bouffer toute entière et la laisser aussi vide qu'une coquille désertée. Une coquille toute fine, fragile et frêle qu'une légère pression suffirait à réduire en miettes. Mais il a raison, Alistair, au moins sur ce point. Il vaut mieux ressentir trop, vibrer, aimer, pleurer que vivre dans un monde perpétuellement gris où rien ne compte. Paloma est encore là mais son esprit nostalgique a déjà l'impression d'être loin d'ici, loin d'sa bulle qu'a explosé en vol avec la révélation des secrets et l'retour fracassant de la réalité alors elle fait son possible pour profiter du nid autant que possible. Elle déambule d'ses pas félins sans but, elle porte son regard perçant sur tout ce qui l'entoure juste pour enregistrer le moindre détail de tout ce qu'elle a vécu ici pendant deux mois. Elle vit ses derniers jours comme elle a vécu ses premiers et tente de retrouver en elle la lumière qu'a accompagné la découverte de son nouvel environnement, ses yeux neufs, rêveurs, exaltés. Qui devraient l'être davantage maintenant qu'elle peut associer chaque lieu à des souvenirs précis. Y'en a des jolis et d'autres qui le sont moins, des sourires et des peines, tout ce qui compose une vie normale en fait. Paloma frôle l'herbe du jardin et pense à rien de spécial et à tout à la fois. Elle se promène et ses prunelles s'accrochent spontanément à la silhouette de Ghika près d'la fontaine. La vision lui fait d'elle-même esquisser un joli sourire et Paloma le rejoint sans réfléchir comme une pause savoureuse. Elle se laisse choir gracieusement sur la pierre et laisse distraitement sa main flirter avec la surface miroitante de l'eau sans jamais s'y enfoncer vraiment. Mais ses yeux, eux, sont rivés sur son ami. Elle a été peinée, Paloma, qu'il reste pas la semaine précédente parce que sa présence lui est importante pour pas dire essentielle. Mais il est revenu et c'est tout ce qui compte. « Tu sais la première chose que je vais faire en rentrant ? » lance-t-elle légèrement d'une voix qu'a l'intonation d'un joli sourire. Paloma laisse couler une poignée de secondes juste pour la forme avant d'afficher un air - presque - mutin, qu'on a rarement l'occasion de discerner sur son visage. Enfin ici parce que dans la vraie vie, avant ces derniers mois, c'était pas rare du tout. « Réserver mon 17 mars » Pour sa soutenance, elle manquerait ça pour rien au monde même si elle a eu des craintes au début, des craintes qu'il a su balayer et rassurer même s'il a choisi la manière forte pour ce faire, Ghika. « Et c'est absolument pas envisageable que tu me mettes à l'hôtel » souligne-t-elle sans s'départir d'une jolie esquisse. Paloma, elle a envie d'être hébergée chez lui, d'y rester une poignée de jours, de découvrir la ville à ses côtés et puis juste de passer du temps avec lui dans un cadre tout autre.

Ghika a l'air content qu'elle envisage de venir le soutenir dans ce qui sera sans doute le premier jour du reste de sa vie, un tournant qui le fera basculer d'étudiant à... elle sait pas, Paloma. Ce qu'il voudra bien être en réalité et elle se rend compte qu'elle l'ignore encore - mais plus pour longtemps. Son enthousiasme est communicatif en tout cas et ses lèvres pleines se recourbent dans un joli sourire alors qu'elle opine du chef. Le deuxième rang, ça lui va parfaitement. D'ici, elle pourra essayer de se glisser entre les grosses têtes bien pleines devant elle juste pour capter le visage concentré de Ghika en espérant qu'il puise en elle un peu de réconfort ou de force en la voyant admirative de ce qu'elle entend et juste fière de lui, en fait. Une soutenance de thèse c'est nouveau pour elle ; elle n'y connait rien. Elle aurait aimé pourtant, s'enliser dans des études longues et puis passer la majeure partie de sa vie à emmagasiner des connaissances sans se soucier du reste. Quand l'argent n'est pas un problème, c'est facile de se cacher d'la vie réelle et de poursuivre des études à rallonge juste pour repousser le moment du saut dans le vide, de la vie d'adulte, du travail et des responsabilités. Mais Paloma a commencé sur le tard, retardée par une relation chaotique pour laquelle elle s'était isolée de tout et de tous alors elle se voyait pas étudier jusqu'à trente-cinq piges. Mais même dans cette optique c'est pas une thèse qu'elle aurait suivie, plutôt des cursus différents mais complémentaires, d'autres licences, d'autres masters, de quoi flâner en beauté et apprendre, s'intéresser à tout, essayer de repousser les limites de l'ignorance en s'empiffrant de connaissances. Elle pourrait encore le faire, Paloma. Elle a pas de job, rien qui l'attend mais ce serait une forme de lâcheté que d'se complaire dans un univers estudiantin aseptisé, elle le sait. Elle n'ajoute rien, le regard scintillant plongé dans les prunelles de Ghika. Sa main cajole toujours la surface miroitante de l'eau avant d'y pénétrer et de dessiner des arabesques instinctives de la pulpe de ses doigts. Paloma écoute Ghika malgré l'air distrait qu'elle affiche et qu'est pas révélateur de l'attention qu'elle lui octroie. Elle l'écoute et s'amuse du portrait qu'il dresse de son chez lui, de la facilité avec laquelle il parle de tout, sans tabou, sans détour, sans pudeur ou réserve. Il est entier, Ghika. Brut de décoffrage parfois mais ça lui plaît à Paloma, ça la rassure, en fait et elle tient à sa franchise comme à un trésor précieux. Inestimable. « Je m'en fiche du grand luxe. Je te demande pas de me dérouler le tapis rouge, juste de passer du temps avec moi » qu'elle note dans un demi-sourire, un joli arc-de-cercle touché par les efforts qu'il met à la recevoir. Mais elle, elle s'en fiche. L'opulence n'a pas d'importance, il peut vivre dans neuf mètres carrés, ça lui va. Il peut la faire dormir par terre, sur un canapé défoncé ou un matelas pourri à même le sol, Paloma s'en foutra parce que ce qui compte, c'est qu'ils soient ensemble et qu'ils continuent à partager ce qui les a lié, tout au long du jeu. Mais apparemment, y'a pas trop de soucis à s'faire là-dessus... La proposition de Ghika la surprend mais dans le bon sens et l'étonnement doit se lire dans les prunelles qu'elle darde sur le visage de son ami comme pour tenter de déceler les traits badins propres à la plaisanterie. Sauf que non. Il est sérieux et ça lui plaît. Paloma n'a pas besoin de réfléchir avant de rétorquer de son timbre toujours aussi caressant mais plus cadencé, parce qu'elle s'emballe sous l'coup de l'émotion. « Je compte pas rentrer en France. Pas tout de suite, je préfère attendre que ça se tasse, qu'on nous oublie » Elle n'est pas de taille à affronter la pression des journalistes, les questions qui remuent le couteau dans la plaie, les jugements des uns et des autres et le regard des gens dans la rue. Paloma n'aspire pas à la notoriété, elle aimerait juste retrouver sa vie comme si elle l'avait mise sur pause mais ça, c'est pas possible. Pas dans l'immédiat. « J'ai prévu de partir pour l'A...mérique du Sud » Elle manque dire l'Argentine mais pince ses lèvres avant parce que ce serait griller complètement ses chances de disparaître dans le paysage pour quelques semaines. Paloma offre un sourire à Ghika et reprend paisiblement. « Mais j'adorerais faire un détour par Moscou avec toi, j'y suis jamais allée alors je serais pas contre un excellent guide. » Elle, elle connaît que Saint Petersbourg qui l'a renversée comme peu de villes avant elle alors qu'à la base elle s'y rendait pour une virée au musée de l'Ermitage. Paloma entrouvre les lèvres pour ajouter quelque chose mais les mots suspendent leur vol et restent coincés dans sa gorge parce que Ghika est déjà ailleurs. Il vole autour de son secret et si elle n'a pas spécialement envie d'en parler, de l'aborder, avec quelqu'un d'autre que le principal concerné... elle lui doit bien ça parce que Paloma l'a pas épargné après la découverte du sien, de secret. Son visage de poupée se ferme, machinalement, mais elle répond. Sans emphase d'aucune sorte. « Non, non, y'a jamais eu de ça entre nous, pas de couple ou de relation qui ait du sens et sur laquelle mettre un nom. » Ils ont partagé des moments. Des moments fugaces, des heures et parfois des soirées, ils ont partagé une peine, une souffrance commune, des instants de réconfort parfois maladroits, de grandes conversations et des souvenirs de lui, des larmes et de rares sourires. Des baisers, aussi, une complicité, mais pendant un laps de temps très court, assombri par l'ombre de l'épée de damoclès qu'elle faisait flotter au-dessus de tout ça sans qu'Aaron ne puisse le savoir. Paloma n'ajoute rien parce qu'elle n'a rien à dire. Elle ne veut pas imposer une réserver ou une distance à Ghika alors qu'elle aurait plus lieu d'être mais elle est encore mal à l'aise avec tout ça et la vérité, c'est qu'elle ne sait pas mieux expliquer ces quelques semaines de façon plus rationnelle, plus juste, moins brouillonne que son maigre essai au prime.