A cette heure-ci, personne n'était supposé roupiller dans le salon. Personne, non. Pourtant, il y avait bien quelqu'un, sur ce fauteuil, profondément endormi, à une heure où la plupart des candidats étaient passés à table et vaquaient désormais à diverses activités. Cette personne, Mado la connaissait bien. "Bien" étant un terme tout relatif après deux semaines d'aventure, mais disons que ce candidat restait celui avec qui elle avait le plus sympathisé, en quelques sortes. Parce qu'il s'agissait de Fitz. Mado ignorait ce qu'il fichait là, un livre non loin de lui, et probablement ici depuis déjà quelques temps. Elle, elle n'était pas repassée par le salon depuis ce matin, ayant passé une bonne partie de sa journée en salle de sport, à la piscine, et même à la bibliothèque. Ce n'était que maintenant qu'elle revenait par ici qu'elle constatait qu'on avait laissé Fitz s'endormir, lui qui semblait effectivement avoir besoin de sommeil. Mais tout de même, il serait mieux autre part que dans ce salon où n'importe qui était susceptible de le déranger. Elle se doutait alors que leurs camarades n'avaient pas osé le réveiller, supposant assurément qu'il ne valait mieux pas, mais il fallait penser en terme de confort : après tant de temps passé à dormir ici, dans cette position, il allait forcément se réveiller avec l'impression de s'être endormi dans un broyeur à ordures. Elle, elle préférait autant le savoir confortablement assoupi dans son lit, disons. Alors elle se mit à l'appeler, d'abord doucement, puis plus intensément, espérant ne pas le tirer trop brutalement de son sommeil, ni avoir à faire à un Fitz ronchon et revanchard. Continuant de l'appeler, elle s'approcha par la même occasion du fauteuil. Et là, il sembla commencer à émerger. Il reprit conscience, doucement, rouvrit les yeux et ne tarda pas à la reconnaitre, enfin semble-t-il. « C'est pas franchement cool de leur part de t'avoir laissé t'assoupir ici. Mais je suppose qu'ils pensaient bien faire. » En le laissant dormir, oui. Même si techniquement, ça n'avait pas tellement été un service à lui rendre. « Tu ne me détestes pas trop de t'avoir réveillé ? Je pense que tu serais beaucoup mieux dans ton lit. » C'était même évident. Et puis il pourrait y dormir jusqu'au lendemain matin sans craindre d'être gêné. « Je t'aurais bien proposé de te porter jusqu'à la chambre, mais comment dire, je doute que ce soit franchement faisable. » Lâchant un rictus, elle prit un air perplexe. Non, même si elle était globalement plus musclée que la moyenne féminine, elle ne ferait jamais le poids face à un homme, elle le savait. Alors le porter, non, ça semblait inenvisageable en soi.

Quelques instants plus tôt, Mado avait été confrontée à un dilemme de taille : réveiller Fitz, ou le laisser pioncer ici, comme les autres l'avaient fait jusqu'à présent. D'un coté, sa conscience l'avait sommé de le laisser tranquille, mais d'un autre coté, elle s'était dit qu'il serait tout aussi bien, même beaucoup mieux, dans un lit bien confortable. Alors finalement, elle avait opté pour un réveil, pas franchement délicat, mais moins brutal que ce à quoi elle avait pensé dans un premier temps. Non, elle préféra y aller mollo quand même, étant donné que le jeune homme devait être dans un état de fatigue franchement avancé pour s'être endormi dans le salon. Sans prétendre véritablement le connaitre - après deux semaines de jeu, ce serait bien naïf - il est vrai qu'elle le soupçonnait d'être du genre actif, comme elle-même l'était, à cavaler sans arrêt, à bosser plus que de raison, à se laisser peu de répit et peu d'occasions de se reposer. Oui, c'est ainsi qu'elle l'imaginait, ayant en plus eu l'occasion de prendre connaissance du fait qu'il voyageait beaucoup, ce qui, entre les différents décalages horaires, ne devait rien arranger. Quoi qu'il en soit, elle ne put logiquement se résoudre à le laisser ici encore quelques heures - en supposant qu'il en avait besoin, mais elle le pensait - et prit effectivement l'initiative de le tirer de son sommeil. En tout les cas, il serait bien illusoire de penser qu'elle pourrait le porter jusqu'à la chambre, donc non, elle renonça bien vite à cette idée. Fitz, lui, disait ne pas la détester. Oh chouette, elle était contente. Non, vraiment. C'était cool. Et donc, il lui demandait ... de parler un peu moins fort ? Hm, en temps normal, elle aurait aimé faire sa chieuse et parler d'autant plus fort, mais là, c'était Fitz, encore un peu dans le pâté, qui le lui demandait. Gentiment, en plus, donc bon. « Hm, ouais, sans doute. Je vais essayer en tout cas. » Elle préférait quand même prévenir : essayer était une chose, réussir en était une autre. Mais elle s'armerait de bonne volonté, c'était promis. « Il est ... » Suspense. « ... l'heure de s'acheter une montre. » Okay, c'était petit. Et ça ne l'avançait surtout pas le moins du monde. Allez, elle allait être sympa. « Vingt-et-une heures » ajouta-t-elle alors, en un fin sourire. C'était déjà plus précis, disons. Lâchant un rictus à la question de Fitz, Mado examina minutieusement son joli visage. « Mais non, t'as rien du tout. T'es beau gosse même avec la tête dans le cul, je t'assure. » Qu'il se rassure, il était toujours aussi "mignon", mais ça, elle préférait éviter de le préciser, histoire de ne pas récidiver. « Tu veux que j'aille voir dans la cuisine s'il reste un truc ? » Parce que bon, s'il était là depuis aussi longtemps qu'elle le pensait, il devait avoir le ventre vide, ou pas loin en tout cas. Et elle aurait mauvaise conscience de le laisser mourir de faim, hein, quand même.

Essayer. Oh oui, elle pouvait bien essayer. De baisser d'un ton, d'être plus calme, de le ménager. Oui, elle pouvait tout à fait essayer. Quant à savoir si elle allait réussir, là par contre, c'était une autre histoire. Mais elle y mettrait de la bonne volonté en tout cas, ça c'était certain. Parce que bon, Fitz venait de se réveiller, il semblait dans le pâté, alors elle pouvait bien être compréhensive et faire quelques efforts. Cela ne lui coûterait de toute manière rien du tout. Son camarade la remercia, et elle se contenta de hausser doucement les épaules. Finalement, ça lui paraissait un tantinet naturel d'être disposée à parler un peu moins fort. Pas parce que la plupart des gens le feraient, vu qu'elles se fichaient des autres, mais parce qu'il s'agissait de Fitz, et qu'elle n'avait pas autant envie de l'emmerder qu'elle pouvait avoir envie d'emmerder Mickey ou Mason. C'était relativement différent quand même, oui. Puis vint cette fameuse question : quelle heure était-il ? Franchement, Mado hésita à lui répondre, de peur de le choquer. Elle supposait logiquement, vu la difficulté qu'il avait à reprendre pleinement conscience, qu'il avait du dormir de nombreuses heures, au point sans doute d'en avoir quelques peu perdu la notion du temps. Alors oui, elle craignait qu'il s'offusque du fait qu'il soit si tard, surtout s'il s'était endormi dans l'après-midi. La jeune femme commença alors par une blague sans grand intérêt, plus pour gagner du temps que pour véritablement amuser Fitz, sans doute. Mais quand enfin elle lui fit savoir qu'il était ni plus ni moins vingt-et-une heures, son camarade ne manqua pas de s'exclamer. Hm oui, elle avait donc plutôt bien supposé. Haussant simplement les épaules, puisqu'elle ne pouvait de toute évidence pas faire reculer le temps, Mado ne trouva rien à ajouter. Lui, par contre, plaça une remarque qui ... la laissa un peu perplexe. Disons que dite comme ça, celle-ci pouvait vaguement porter à confusion. « Roh, mais ... Fitz, voyons ! Il y a des façons de dire les choses. » Non attendez, elle se fichait un peu de lui, en fait. Parce qu'évidemment, elle s'offusquait faussement de ses propos. Elle savait ce qu'il avait voulu dire par là, et commençait à relativement bien le connaitre, au point de savoir que ce genre de réflexions n'étaient pas tellement son genre. Ainsi donc, elle ponctua ses propos d'un clin d’œil, censé dédramatiser ce qu'elle venait de dire, et indiquer qu'elle plaisantait. Fitz disait en tout cas ne pas avoir faim. Il était rare d'avoir faim dès un réveil, alors ça le prendrait probablement un peu plus tard. Après un sourire, la jeune femme trouva à s'amuser de ses prochaines paroles. Oui, encore. « Si ça fait longtemps ? » Elle prit un air suspect, plissant sournoisement les yeux, contractant la mâchoire et liant ses mains à la manière de Montgomery Burns. Mado était devenue une psychopathe. « Le temps que tu as passé à dormir, je l'ai passé à t'épier, Fitz. » Pour le coup, ne sachant pas exactement combien de temps il avait dormi, elle ne prenait pas grand risque. « Je me suis assise, tout près de toi, et ait plus d'une fois été tentée de t'étouffer avec un coussin. Mais j'y ai chaque fois renoncé. Pourquoi, me demanderas-tu ? Parce que c'aurait été trop simple, évidemment. » Oula, elle s'embarquait dans une histoire à dormir debout, hm. « Maintenant que tu es conscient, nous allons nous amuser. » Sans arrière pensée aucune, évidemment. « Si tu as vu le film Misery, ça te donne une idée de ce que j'ai prévu de te faire. » Lui couper le pied avec une hache, notamment. Oui,elle allait bien. Elle était juste un peu barge, de temps à autres. « Mouhahahaha ... ha ? Bon, je viens d'arriver, évidemment. Et je ne suis pas folle. J'ai juste ... un peu trop d'imagination. » Prenant un air subitement angélique, elle lui adressa son plus beau sourire. Pas sûr qu'il soit plus rassurant que tout le reste, cependant.

Non, Mado ne se formalisa pas. Elle avait naturellement compris ce qu'il avait voulu dire et n'eut réagi à ses propos que pour l'enquiquiner un tantinet, pour faire sa chieuse en somme. Pour connaitre Fitz depuis un peu plus de deux semaines, elle se doutait bien qu'il n'était absolument pas du genre à placer ce genre de répliques propres aux goujats par excellence. Lui, il n'était pas comme ça, elle l'avait compris. Peut être qu'une femme susceptible et peu disposée à saisir le second degré de la chose lui aurait assénée une bonne gifle, mais Mado, elle, n'avait pas manqué de saisir le fond de la pensée du jeune homme. Et puis le gifler, elle n'aurait pas pu. Les gifles et elle n'étaient pas franchement copines en ce moment, disons. Quoi qu'il en soit, Mado ne manqua pas de partir dans un improbable délire selon lequel elle aurait passé des heures près de Fitz, à préparer un truc louche, telle une psychopathe qu'elle n'était heureusement pas. Oui, elle se plaisait à rentrer dans son jeu, parce que ça l'amusait, ou du moins, la divertissait. Finalement, il devait être le seul ici - en dehors d'Ezra s'entend - avec qui elle pouvait partager ce genre de petits délires. Et ça lui faisait du bien, de temps en temps, de ne pas tout prendre au sérieux. Lorsqu'il insinua qu'elle était grandement patiente, Mado acquiesça fermement d'un signe de tête qui se voulut clairement exagéré. Puis elle lâcha un rictus, décidément charmée par les petites allusions qu'il trouvait toujours le moyen de placer, mais qu'elles savaient évidemment pas sérieuses. « Attends, je n'ai jamais dit que je n'avais rien fait du tout, hein. Je ne t'ai pas étouffé c'est vrai, mais ... mais j'ai pu constater que tu avais le sommeil très, très profond » souffla-t-elle, volontairement équivoque, espiègle et provocatrice, jetant même un regard en direction de son ... enfin, voilà quoi. Calmons-nous, il va de soi qu'elle ne lui avait rien fait. C'était encore une forme douteuse d'humour, c'est tout. De même, elle n'avait jamais sérieusement pensé à lui faire du mal, comme dans le film qu'elle avait évoqué. Misery. Elle en avait la chair de poule rien que d'y penser, dites donc. « Tu sais pas ce que tu rates ! Je vise aussi bien à la hache que Rose, dans Titanic. » Vous savez, la scène où elle doit délivrer le blondinet, où elle frappe une fois sur l'armoire, et où elle tente de refrapper au même endroit, pour au final se planter complètement. Bah voilà, Mado était aussi douée que ça pour ce qui était de manier une hache. Si elle s'attaquait à la jambe de Fitz, elle risquait donc de le tuer directement, oui, c'est sûr. Pas sûr qu'il soit franchement plus partant après de telles confessions, hm. Bref, c'était un fait, Mado avait beaucoup d'imagination. A en revendre, en fait. Et vu qu'elle se permettait bien trop rarement ce genre de délires, bah forcément, ça ne sortait pas à moitié quand ça sortait, hm. « Tu as loupé une bagarre. Entre Mickey et une boite de kleenex. Ce fut sanglant et haletant. Mis à part cela, je suppose que Carmen a encore fait quelques ravages. » Elle essayait vraiment, vraiment, vraiment de ne pas cataloguer cette fille comme une fille légère, mais honnêtement, c'était l'image qu'elle renvoyait principalement. Mais ça n'enlevait assurément rien à ses qualités. A chacun sa stratégie, de toute manière. « Elle a tenté quelque chose avec toi, d'ailleurs ? » Oh la vieille question. En plus du fait que ça ne le regarde absolument pas, il est vrai que ça sortait un peu de nul part. « Oublie. T'es pas comme ça, toi, hein ... » Et là, ça n'était pas très clair. Elle même se demandait ce qu'elle avait voulu dire exactement. Qu'elle espérait qu'il n'était pas de ceux qui se pâmaient facilement devant la première blonde un peu enjôleuse venue ? Oui, probablement. « Il n'y a rien eu de croustillant » conclut-elle finalement, dans un haussement d'épaules. C'était souvent l'emmerde ici, ouais.