@Olivia

+ J'ai décidé aujourd'hui encore d'explorer la forêt. J'en ai déjà visité une bonne partie la veille mais je n'ai pas pu tout faire en une journée. Heureusement que je peux compter un minimum sur mon sens de l'orientation et sur le souvenir que j'ai de la carte que l'on nous a laissé entrevoir le soir de notre arrivée au campement sinon j'aurais bien du mal à m'y retrouver. Heureusement aussi que je viens d'une île couverte de plante et que je sais facilement en différencier plusieurs de la même espèce par un simple petit détail, la couleur du feuille, l'orientation de la mousse sur le tronc d'un arbre, c'est tout con mais c'est très utile. Ça m'aide aussi à prévoir la météo ou à repérer certains trucs, comme les points d'eau, en général la végétation est plus abondante à proximité. Enfin ça dépend, si c'est de l'eau polluée ce sera plutôt le contraire. De toute façon, je ne cherche pas forcément de l'eau, je cherche simplement à définir mon environnement proche déjà, ça me permettra de trouver ce dont on pourrait avoir besoin plus facilement dans les jours à venir. N'empêche, j'arrête pas de me dire qu'ils sont barrés à la production. Lâcher quarante personnes, dont un tiers est composé de nanas qui ont peur des mouches, dans la nature c'est quand même pas très futé moi je pense. Forcément, t'as tout les mecs qui vont devoir se bouger le cul pour ces dames, puis surtout les plus balaises qui vont aller braver les dangers pour rassurer tout le monde et éviter que ça se termine mal cette histoire. Enfin je vais pas faire mon rabat-joie, mais c'est sûr qu'à la base j'avais pas signé pour ça, même que je m'y attendais pas du tout, personne s'y attendais c'est sûr, sinon on aurait pu se préparer mentalement. Non mais ça doit être pour leur chiffre d'audience ou je sais pas quoi, innover pour attirer un nouveau public, c'est vrai que c'est pas si con que ça quelque part. Mais je vois pas en quoi ce genre d'épreuves peut déterminer si on est fait ou pas pour intégrer une maison luxueuse qui va nous servir de véritable terrain de jeu où on pourra glander et se goinfrer à notre bonne volonté. M'enfin, moi ce que j'en dis. Je vais pas me plaindre, en vrai c'est plutôt pas mal c't'endroit. Même qu'il y a un puits, c'est cool. Ah mais pas de sceau. « Super... » Ouais, ils ont vraiment tout prévu pour nous emmerder. « Par pitié, dis-moi que t'es une fée du monde magique enchanté du coin et que tu peux faire apparaître un sceau, là tout de suite. » J'implore la rouquine qui vient d'arriver par hasard dans mon champ de vision.

Je tâche de faire le tour du domaine qui nous est accordé. D'abord pour ne pas être prise au dépourvu, mais aussi pour repérer les meilleures cachettes pour quand même la tente ne suffira plus à me servir de havre de paix. Parfois je suis prise de crises de panique, sans raison apparente, ou du moins sans raison valable, et je sens que celles-ci risquent de devenir de plus en plus fréquentes dans l'aventure, au vu de mon rythme cardiaque qui se prend pour un yoyo depuis deux jours. Désespérant. J'arrive vers le puits que j'ai déjà vu hier, et aperçois la silhouette d'un homme, très, très imposant. Il semble concentré. J'essaye de tourner les talons discrètement avant qu'il ne se rende compte de ma présence mais raté. Il veut un seau. La voix basse et tremblante, je dis : N... Non... D... Désolée. Je sais qu'il ne pensait pas vraiment que j'étais une fée, mais le seul fait d'être inutile, encore une fois, me désespère. Je sens ma gorge se serrer. Par pitié Liv, pas encore. Arrête un peu 5 secondes... Vraiment le quotient émotionnel d'une gosse de 2 ans, c'est pathétique.

C'était peut-être pas la meilleure première approche qui soit quand j'y pense, demander à une nana si c'est une fée. Forcément que non. Heureusement que je suis conscient de ça sinon on me prendrait sans doute pour un gros taré. Quoi que, si j'y croyais on me trouverait peut-être à part, un genre de type perché un peu barré, mais même pas mignon vu mon âge. Quand elle me répond elle bute sur les deux seuls mots qu'elle me sort. Je devrais pas la fixer ça va la gêner encore plus mais je peux pas m'en empêcher. « Je voulais pas... Je te fais peur ou... T'es comme ça... ? » Voilà, je finis même pas mes phrases, je fais justes des gestes avec les mains comme si ça pouvait servir à lui faire comprendre ce que je veux dire. Attention, je la critique pas, je me demande juste si c'est naturel chez elle de buguer sur les mots, et puis si c'est ma faute aussi. Mais si ça se trouve elle parle comme ça et c'est tout, je m'inquiète pour rien, m'enfin si c'est moi qui l'intimide c'était pas volontaire, promis. Je suis peut-être imposant comme ça mais l'habit ne fait pas le moine. C'est pas parce que je pourrais faire partie du casting du prochain Expendables que je suis forcément une brute adepte des bastons et des gros flingues. Non, moi je suis un n'ours. « Je m'appelle Cecil. » Hop, le petit sourire qui va bien, à la Banania. Paraît que j'ai une tête de banane quand je fais ça. Enfin tant que c'est pas une tête de con -ouais je sais que je joue sur les mots mais que ça veut dire la même chose. « Et toi, c'est quoi ton petit nom de fée des bois ? » Bah ouais, je continue, je trouve vraiment qu'il lui manque plus que les ailes et qu'on la fasse rapetisser à peine un peu pour qu'elle puisse aller rejoindre Clochette et ses amies -ce qui est à prendre comme un compliment avec moi. J'oserais jamais insulter une demoiselle que je rencontre pour la première fois, sauf si elle est chiante, mais même, ça se fait pas.

Le candidat est visiblement gêné par ma réaction. Décidément, bravo Liv, tout gagné. Je le sens me scruter, mais pour une fois je ne suis pas plus embarrassée que cela à l'idée d'être regardée de la sorte. Après tout, je l'ai cherché, c'est de ma faute. Celui que je vois comme un gentil géant se met à bredouiller, comme moi. Je finis par lui répondre, ayant du mal à être claire dans mes propos : Non, c'est pas toi... Enfin, si. Mais... non en fait. Ce n'est pas juste toi, c'est tout le monde. Je ne suis pas vraiment... douée... avec les gens. Rame Liv, rame fort. Cecil. Tiens, ce n'est pas vraiment un nom de papa ours. Déjà, dans ma tête, cecil est plutôt un nom féminin... Je le connais plus dans sa version française. Mais là n'est pas la question. Je murmure alors, levant la tête, et lui rendant son sourire, en peut être un million de fois moins brillant : Moi c'est Liv... Encore plus bas, comme si j'avais peur d'assumer l'infime partie de moi qui se révèle un peu 'fun', j'ajoute : Mais j'aime bien petite fée des bois...

Je suis peut-être aussi mal à l'aise qu'elle à cet instant précis. Parce qu'il faut dire que j'en rencontre pas souvent des gens timides ou renfermés ou de ce genre quoi, et donc je sais jamais trop comment les prendre. J'ai l'habitude de travailler avec du monde autour de moi, d'engager la conversation, d'essayer de trouver un sujet qui plaisent ou d'entretenir le dialogue s'il se casse la gueule et que je sens que le blanc gênant va s'installer mais là j'avoue que je sais pas trop. Mon ex est pas timide, ma fille non plus, ma mère l'était pas, mes collègues ou les clientes de la salle c'est aussi loin d'être le cas du coup je sais pas trop comment me lancer là parce que ça fait longtemps que j'ai pas rencontré quelqu'un dans le genre de la rousse. Y a bien l'ancien rugbyman qui cause pas trop mais lui c'est différent, il a pas l'air timide, juste renfrogné au possible et pas forcément super agréable. Elle, elle a l'air plutôt gentille, à première vue. Elle m'explique un peu que c'est pas juste moi, c'est tout le monde, elle est pas douée avec les gens. « Ah, ça me rassure. » Je souffle d'un air soulagé. « Enfin je veux dire, de savoir que c'est pas moi, parce que sinon je me sentirais mal, tu vois. » Bon, au final je me sens quand même mal vu que c'est quand même un peu moi. « Ça doit pas être évident, au quotidien. » De pas être doué avec les gens, j'entends. Pour les gens comme moi c'est facile, mais je sais pas du tout comment ça se passe pour les personnes comme elle et je crois que j'aimerais même pas savoir, ça me paraît tellement naturelle d'aborder les gens comme si je les connaissais, comme si on était voisin ou qu'on avait été à l'école ensenble. Je trouve que ça rend tout beaucoup plus facile. Je décide de me lancer pour les présentation du coup, puis elle suit. Liv, qu'elle s'appelle. « C'est court... Heu, joli. » Les deux en fait, mais peut-être que c'est mieux de dire que c'est "joli" d'abord et ensuite "court", à moins qu'elle entende l'adjectif "court" comme un compliment, je sais pas. Mais en tout cas, petit fée des bois ça lui plait bien. Ça en revanche c'est un peu long à dire mais c'est vrai que ça lui va pas trop mal et puis ça me fait sourire de l'imaginer avec paire d'ailes brillantes et une baguette magique.