SAYID & @DIEGO
mercredi 25 mars - 14:08

Il essayait de ne pas y penser. A chaque fois qu'il recommençait à songer au dernier prime il sentait à nouveau cette crispation dans ses muscles et l'arrière-goût de la panique dans sa bouche, alors depuis le début de la semaine son obsession principale consistait à toujours garder l'esprit occupé, par tout et n'importe quoi du moment que cela fasse son petit effet. Il se demandait si tous les primes se déroulaient ainsi et si avoir décidé de participer à cette émission n'était pas une erreur en soi ... Il était prêt à prendre sur lui, c'était ce qu'il s'était dit au moment des castings, mais maintenant il se disait qu'il avait peut-être surestimé sa capacité à vivre en communauté et à vivre avec des gens tellement différents de lui, et tellement peu enclins à comprendre certaines choses. C'était toujours tellement facile de donner le change lorsqu'il arrivait à assimiler qui il avait face à lui, mais dans ces endroits comme le plateau du prime, avec le bruit, la lumière, et le trop plein de candidats, c'était comme s'il perdait tous ses moyens et redevenait ce gamin terrorisé par son ombre. Celui qu'il n'était plus, celui qu'il s'était promis de ne plus jamais être. « Tu recommences. » A y penser. Il recommençait à y penser, et une fois sa clope terminée il lui faudrait trouver une autre manière de s'occuper avant que la mauvaise humeur ne le gagne pour de bon à nouveau. Se parler à lui-même aussi il se l'était interdit en venant ici, parce qu'il était filmé et qu'il ne voulait pas passer pour plus bizarre qu'on ne devait déjà le penser, mais il ne pouvait pas se retenir de toutes ses mauvaises habitudes à la fois, pas quand il était tout seul ... Il déployait déjà toute son énergie à le faire lorsqu'il était en présence de quelqu'un, il avait besoin de souffler un peu. Derrière lui des bruits de pas l'avaient précipitamment sorti de ses pensées, et se retournant avec méfiance il avait posé les yeux sur Diego. Il ne lui avait encore jamais parlé directement, il s'était simplement contenté de l'observer comme il l'avait fait avec tous les candidats du nid, et il avait trouvé chez le jeune homme quelque chose qui le persuadait de s'en méfier. C'était subjectif, et peut-être pas justifié, mais c'était ce genre de sentiment dont on ne parvenait pas à se défaire même par volonté. Raison pour laquelle il n'avait pas dit un mot en voyant le jeune homme investir le balcon, se contentant de le suivre des yeux en silence, recrachant une volute de fumée tout en tournant le dos au vide.

J'avais arrêté la clope quelques semaines avant l'aventure mais je ne sais pas si c'était le fait de voir la majorité des candidats fumer. Ou si c'était cette foutue pression qu'on nous mettait sur les épaules, en tout cas ce qui était sûr c'est que je n'avais pas mis longtemps avant de rechuter. Après ce n'étais pas des quantités faramineuse, une ou deux clopes par jour histoire de me sentir… différent, durant quelques rares instants. Ce mercredi-là, j'avais bien besoin de cela, ainsi clope calé sur le coin de l'oreille, je me dirigeais en direction du balcon. Il était déjà occupé par un homme, Sayid… Un candidat assez sombre et mystérieux dont je ne savais presque rien, si ce n'est qu'il était primatologue. Un détail aussi surprenant, je ne pouvais décemment pas passer à côté. Il semblait ailleurs, perdu dans ses pensées et je ne voulais pas le déranger. Je prenais donc place à ses côtés, allumais ma cigarette et tirais dessus une ou deux lattes. Puis comme si de rien n'était tenté d'engager un semblant de conversation :

Sayid c'est bien cela ?

C'était un début comme un autre, juste histoire de débuter l'échange. Celui-ci mis en place, cela irait surement mieux. On apprendrait à faire plus ample connaissance. Qui sait ? On se trouvera peut-être même quelques points communs. J'avais toujours été troublé par les êtres et choses que je ne comprenais pas… Je ne pouvais pas supporter de rester dans l'ignorance. Il fallait que je sache. Ainsi, je comptais bien résoudre le mystère Sayid avant la fin de l'aventure.

Souvent, ou en tout cas beaucoup plus qu'il n'aurait été raisonnable de le faire, Sayid se prenait des réflexions de la part de l'une de ses collègues concernant sa consommation - élevée, nul besoin de le préciser - de tabac. L'anti-cigarette convaincue qu'elle était lui répétait que cela le tuait à petit feu et lui cela le faisait simplement rire (intérieurement, on s'en doute), parce qu'au fond mourir de cela ou d'autre chose, cela lui importait assez peu. Pas qu'il n'ait une quelconque envie de passer l'arme à gauche, c'était même tout le contraire et s'il n'avait pas eu cette rage de vivre intérieure il ne se tiendrait probablement pas debout à l'heure qu'il était. Sayid avait tendance à penser que la perte de ses jambes avait été pareille à un coup de poker, cela aurait pu être la "fin" de sa vie et au lieu de ça il s'était produit l'effet inverse, il s'était senti plus vivant que jamais encore avant ça. Et pour cela il avait gagné, et eux avaient perdu. Et sincèrement, il estimait être passé suffisamment près de la mort pour être en droit de décider s'il avait envie de se tuer à petit feu à coup de tabac ou non, alors collègue ou non sa consommation empirait plus qu'elle ne diminuait. Surtout ici où l'ennui pointait - trop - rapidement le bout de son nez et que la cigarette restait sa dernière façon d'essayer de se détendre un peu. Ce qui après le prime de dimanche relevait presque de l'impossible tant le moindre de ses muscles lui semblait encore réagir par crispation. Une crispation qui s'était accentuée lorsqu'une autre présence s'était ajoutée au balcon et que Sayid s'était retourné pour découvrir Diego, visiblement en manque de nicotine lui aussi. Diego le rendait méfiant, sans qu'il ne sache véritablement pourquoi, c'était simplement ce que son instinct lui disait, aussi il avait gardé le silence et s'était contenté de l'observer, jusqu'à ce que ce dernier ne parle le premier « Sayid c'est bien cela ? » Le dénommé avait acquiescé d'un léger signe de tête, presque un peu rassuré de voir que certains candidats parvenaient tout de même à assimiler le nom des autres sans trop de difficulté. « Et toi Diego. » avait-il alors commenté sans nul besoin de former une question. Se décollant de la balustrade il était allé écraser son mégot de cigarette contre le cendrier avant de s'en débarrasser et d'en sortir une nouvelle de sa poche. Il n'en avait roulé que cinq ou six ce matin et c'était déjà sa dernière, à ce rythme là il aurait bientôt de la fumée qui lui sortirait des oreilles. « C'est toi, le candidat qui n'a pas de vrai métier ? » Est-ce que c'était sorti tout seul ? Oui, comme souvent, et comme toujours quand Sayid demandait quelque chose cela n'avait pas vocation à être vexant ou méchant, il posait simplement ce qui lui passait par la tête sans se poser la question de comment cela serait perçu. Pour lui ce n'était pas vexant, mais "artiste" cela ne voulait absolument rien dire et Sayid avait horreur de l'imprécision.