S’il y avait bien une chose que mes parents adoraient, c’est d’aller au casino. Enfin, surtout ma mère, qui n’a que ça à faire, flamber l’argent durement gagner par mon paternel. La grande majorité du temps, ils revenaient bredouille de leur sortie hebdomadaire, mais parfois, oui, il arrivait que la chance était de leur côté. Mais pas assez souvent à mon goût. En toute honnêteté, je ne comprenais pas l’attrait de ces jeux de hasard. Peut-être car la fortune n’était jamais réellement de mon côté : mes visites à la roulette russe le prouvait, hors de tout doute. Pourtant, curiosité oblige, il me fallait faire un détour vers cette pièce, rien que pour tester ces divertissements pour adultes. Et comme il n’y avait aucun risque que j’y perde mes maigres économies, ma culpabilité s’était soudainement envolée en fumée. Je m’octroyais enfin la chose de découvrir ces jouets pour les êtres matures, et à première vue, cela ne m’impressionna pas. Quand je participais à une activité, un sport quelconque, il y avait toujours une notion de compétition. Ici, nada. Seul la chance et le hasard déterminait si on était apte, ou pas, à remporter le magot. Et d’office, ça me déplaisait. « Je me demande vraiment ce que les gens trouvent à ce genre d’endroit… » me demandais-je à moi-même, ignorant que je n’étais plus seule dans la pièce. J’étais incapable d’associer le concept du plaisir à ce lieu peu invitant.

Une fois son repas terminé, Agata décide d’aller se détendre dans le jacuzzi. Fermant les yeux, elle profite de ce moment dans le bain à remous pour faire le point. Cela dit, elle n’est pas certaine que faire une introspection soit ce dont elle ait besoin en ce moment. Au bout d’une demi-heure, elle enfile son peignoir et se décide à revenir jusqu’à sa chambre pour se sécher et se rhabiller. En passant devant le casino il lui semble apercevoir une silhouette féminine, et par curiosité elle se décide à rentrer. Un sourire s’affiche sur son visage lorsqu’elle l’entend parler toute seule. « Peut-être que certains y voient le moyen de gagner de l’argent facilement. » Elle aurait peut-être dû signaler sa présence, avant de parler sans qu’elle ne l’ait remarqué. « J’espère que je ne t’ai pas fait peur. » dit-elle finalement lorsque la candidate se retourne. C’est Simone si elle ne se trompe pas, bien qu’elles n’aient jamais eu l’occasion de converser toutes les deux. « De toute manière ici, si j’ai bien compris on ne peut pas gagner d’argent, juste des bibelots. » Ou autres choses, elle n’a pas fait d’enquête à ce sujet, elle s’en moque bien. « J’imagine donc que tu n’y vas jamais. » Agata non plus d’ailleurs, ce n’est pas quelque chose qui se fait dans son monde.

Ma réflexion avait été faite à l’univers, et elle ne visait personne, pas même un interlocuteur imaginaire qui se trouvait là, dans la pièce, en ma compagnie. Je sursautais donc en entendant la voix d’une femme s’élevée dans la pièce, persuadée d’en être la seule occupante, et me retournait vivement afin de découvrir l’identité de cette invitée surprise. Je ne reconnus pas la candidate, du moins, impossible de mettre un nom sur son visage, pourtant familier. Nos routes avaient surement dû se croiser maintes fois dans les couloirs de l’hôtel sans que, nécessairement, nous ayons fait un brin de conversation. « Un peu, dois-je dire. Je croyais être seule. » Ce qui expliquait ma vive réaction, ce choc soudain qui m’avait révélé le contraire. Son avis sur ma question sans destinataire trouvait écho dans mes pensées, puisque j’avais visiblement une vision similaire à la sienne. De l’argent facile… ou, peut-être, pour les quelques chanceux que le sort choyait. Mais il était tout aussi de la perdre, et plus encore. Certains en devenaient malades, c’est pour dire. « Nous n'avons même pas à débourser de notre poche, si je comprends bien le fonctionnement de ces machines. » Des paniers de jetons trainaient çà et là dans la pièce, seule monnaie d’échange contre un amusement de courte durée. La remarque qu’elle fit ne pouvait pas être plus juste à mon propos. « J’évite ces endroits, et à vrai dire, ça ne m’a jamais attiré, au contraire de mes parents. » Il y avait tant d’autres endroits dignes de mon attention que ceux-ci figuraient en bas de liste, et je comptais bien faire en sorte qu’ils y restent.

Dans son monde on ne va pas au casino. Sa famille a de toute manière bien assez d’argent pour aller traîner dans ce genre d’endroit. Si elle est là, c’est simplement par curiosité, croyant avoir aperçu une silhouette dans la salle. C’est en pénétrant dans le casino qu’elle aperçoit Simone de dos, qui semble se parler à elle-même. Elle la voit sursauter lorsqu’elle lui parle finalement, ce qui n’est pas étonnant Agata n’ayant pas prévu de sa présence ici. « Je suis désolée, je ne ferai pas la même erreur une deuxième fois. » Et on peut faire confiance à Agata, lorsqu’elle dit quelque chose elle le fait. La brune ne comprend pas tellement l’intérêt que l’on peut trouver à des casinos comme celui-ci, et encore ici il n’est même pas question de gagner de l’argent, juste des affaires sans grand intérêt. « Il me semble aussi, de toute manière je ne pense pas que qui que ce soit ait amené de l’argent ici. » Et parmi les candidats, tous n’utilisent de toute manière pas la même monnaie, ce qui rendrait les choses compliquées. Comme elle, Simone semble éviter ces endroits, mais au contraire de ses parents. « J’imagine que si tu veux une réponse à ta première question tu ferais mieux de leur demander. » dit-elle, s’approchant finalement de la blonde. « Mais c’est bien au moins, tu n’as pas suivi leur exemple. »Agata, elle aurait tendance à faire tout ce que ses parents lui disent de faire. « Tu fais quoi dans la vie d’ailleurs ? » Peut-être que cela a un quelconque rapport avec le fait qu’elle n’aime pas ces endroits, ou pas du tout.

Mes parents faisaient très peu d’activités ensemble : ma mère, trop occupé par la carrière fleurissante de ma sœur ainé, et mon père se complaisant dans son rôle d’homme de maison tranquille. Le casino était devenu la seule sortie qu’il faisait en commun, chaque vendredi – sauf exception -, comme une vieille routine dans laquelle ils vivaient bien tous les deux. Quand j’avais atteint l’âge légal pour être admise dans ces lieux, jamais l’idée de m’inviter ne leur avait traversé l’esprit, et jamais l’idée de les accompagner avait effleuré le mien. Même ma curiosité légendaire s’était rangée de mon côté, me laissant en paix avec ce choix de ne pas suivre la trace de mes ainés. « Et même si c’était le cas, ce serait superflu d’en avoir sur soi, puisqu’il n’y a rien à acheter dans cet hôtel, nous avons tout à portée de mains. » J’avais confié la plupart de mes effets personnels à un ami proche, le même qui s’occupait de surveiller mon appartement et de nourrir mon chat. Au moins, je savais que je n’aurais aucun mal à les récupérer en sortant d’ici, puisqu’il serait surement de ceux qui m’accueilleraient à bras ouvert. La candidate me proposa alors de questionner mes propres parents quant à leur petite habitude. « Ça risque d’être un brin compliqué… » Depuis que j’avais quitté ma ville natale, j’avais plus ou moins coupé les ponts avec eux. De là à les approcher pour une question aussi anodine, aucune chance. « Je m’occupe de l’entretien de la flotte d’avions et d’hélicoptères de l’aéroport de Lafayette. » Pas seule, bien évidemment : une large équipe m'entourait. Je ne sais pas ce qu’elle avait en tête en me questionnant par rapport à mon métier, mais assurément, cela ne devait pas correspondre à ses attentes.