Imma n’aime pas cette pièce, elle est mal à l’aise. L’idée de tomber sur des scènes personnelles de ses camarades la gêne : le jeu ne leur offre aucun réel moment d’intimité avec toutes ces caméras, c’est certain, mais les téléspectateurs sont un peu virtuels. Pas ses camarades. Elle ne voulait pas entrer là pour espionner, mais pour récupérer le châle qu’elle avait oublié là. Lorsqu’elle avait visité pour la première fois cette pièce, se jurant de ne plus y mettre les pieds. Plus facile à dire qu’à faire, lorsqu’elle se rendit compte qu’il lui manquait quelque chose. Un voyage rapide était son deal personnel lorsqu’elle pénétra dans la salle, mais une présence l’en empêcha. Il la regarde, elle baisse le sien : sa mauvaise manie, celle que son livre sur la confiance en soi lui dit d’abandonner. Encore une fois plus facile à dire qu’à faire. Timidement, elle enchaîne quelques pas dans la pièce, ne repérant pas ce châle tant espéré. Pourtant elle ne fait pas demi-tour. Il faut dire qu’elle ne le peut pas. Hugo lui parle et elle ne comprend rien de ce qu’il dit. Intellectuellement, mais aussi les mots compliqués qu’il emploi. La barrière de la langue, mais trop craintive du regard de l’Autre, pour lui demander précision. Qui est Orwell ? Que veut dire despotismes ? Tu es, tu dois, tu ne dois pas. Elle est perdue. Elle venait donc simplement rechercher ce qu’elle avait oublié quelques jours plus tôt, elle se retrouvait à s’asseoir dans un coin. Cette énigme doit avoir une suite, elle ne pourrait rester en suspens ainsi sans fin. Imma avale sa salive, puis souffle pour le reprendre, son souffle. Elle avait raison. Il continue. Sa question est déroutante ; sa manière de la poser imposant une réponse. Une réponse sincère, sans détour. Elle ramène ses jambes sur sa poitrine, se posant la même question silencieusement dans sa tête. Comment est-elle, dans la vie de tous les jours. Vague question, trop générale. Alors elle tombe dans un silence, qui dure. Qui dure encore. Avant d’ouvrir si peu sa bouche. « Différente » Qu’elle souffle, détournant son regard qui se brouille légèrement de quelques larmes. L’obscurité de la pièce la cache de cet effet non désiré. Elle ne sait pas pourquoi cette question l’embrouille et la plonge autant, ou peut-être bien que si, elle sait pourquoi et c’est justement ça qui la blesse silencieusement. Elle ne peut dire ce qu’elle a au plus profond d’elle-même, son cœur se soulevant dans sous sa poitrine. « Je parle peut-être plus » C'est bête. Mais c'est vrai.

Imma est taciturne, son plus gros défaut parmi un panel pourtant fourni. Même lorsqu’elle connait les gens, depuis de nombreuses années, même avec ses amis – parce qu’elle en a oui – elle est comme ça. Elle dit parler plus, mais ce n’est que relatif. Elle parlera forcément toujours moins que lui, que Lamine par exemple ou pire encore, Sailor. Hugo ne doit pas s’attendre à de longue tirade de sa part, encore moins lorsqu’il faut parler d’elle. Elle peut lui parler de son pays, ça elle peut le faire. Mais rien de plus. Elle préfère être cette oreille qui écoute et ne répète pas. Une simple oreille. Pourtant il lui pose une question et elle répond. Certes, quelques mots, le strict minimum. Ce n’est pas réfléchi. C’est instinctif, naturel. L’interrogatoire tout tourné vers elle, la braquant toujours un peu plus dans son coin de pièce. Une pièce ne la mettant pas forcément non plus à l’aise. Hugo se pose pas très loin d’elle. Imma le regarde, ses yeux dans les siens. Elle n’aime pas ce questionnaire, son questionnaire. Cette façon qu’il a de lui demander ces choses, la faisant se sentir obligée de répondre. Alors elle répond. Qui elle est dehors ? Différente. Si elle préfère la Imma de dehors... Finalement non, elle ne répond rien. Oui elle peut être pire que taciturne : complètement muette. Elle ne répond rien, mais elle bouge sa tête. Certainement pas comme il se serait attendu à le voir. Elle bouge sa tête de droite à gauche, ses lèvres pincées comme pour retenir l’humidité de ses yeux toujours prête à couler, toujours sur le fil du rasoir. Elle bouge sa tête à la négative, parce que non. Non elle ne préfère pas la Imma de l’extérieur. Elle frissonne, elle ferme ses yeux. Elle n’est jamais totalement elle : ici par qu’impressionnée, dehors parce que constamment « agressée ». Résignée, elle pleure quand même. Elle pose une main devant son visage, pour ne pas se donner en spectacle. Elle souffle, canalisant l’espace d’un instant ses larmes pour dire. Dire ce qu’il a réveillé. « Je crois que je suis meilleure ici » Qu’elle chuchote, à elle-même, à personne, elle ne sait plus. Elle en dit beaucoup, pas assez, non beaucoup. Elle pince ses lèvres, posant cette fois sa deuxième main ivoire sur son visage bicolore. Elle ne peut se contenir, peut l’accumulation de toutes les larmes qu’elle avait réussi à contenir à différent moment, avec succès. Elle est trop faible pour le coup devant Hugo, livrant une vérité qu’elle sait déjà possiblement repris un peu partout grâce au caméra. Alors elle essaie de se redresser un peu pour reprendre un peu de consistance, essuyant très délicatement ses yeux du bout de ses doigts. Elle souffle. « Toi alors, t’es qui ? » Lui Hugo.