@SARA & LAWRENCE
09:02 am ~ 01/12, tuesday
Aujourd'hui n'était pas n'importe quel jour pour lui. Aujourd'hui il avait trente-cinq ans et il avait toujours entendu dire de la bouche de son père que c'était l'âge à partir duquel on pouvait s'estimer un adulte à part entière. Sur ce dernier fait Lawrence était dubitatif, il avait traîné plus longtemps que la moyenne des casseroles digne de l'adolescent trop gâté qu'il avait assurément été, mais il n'avait pas attendu ce jour en particulier pour avoir l'impression d'être un adulte capable de prendre sa vie en main. Qu'à cela ne tienne, aujourd'hui il avait trente-cinq ans et faute d'un gâteau d'anniversaire surprise de son équipe - qu'il aurait vu arriver à trois kilomètres mais aurait fait mine de ne pas avoir vu venir - ou d'un coup de téléphone de Rosie qui valait bien tous les cadeaux du monde il s'était octroyé le luxe d'une douche chaude. Luxe parce que les habitudes avaient la vie dure, et que cinq ans après avoir quitté la Navy Lawrence continuait de prendre au pied de la lettre la notion de douche militaire qu'une minute chrono et un jet d'eau froide suffisait à accomplir. Ayant décidé de ce fait à la toute dernière minute et alors que la période d'eau chaude de la journée touchait bientôt à sa fin, il s'était malgré tout activé comme à son habitude sous le jet d'eau et n'avait pas pu éviter le retour de l'eau froide qui alors qu'il se rinçait, rougissant sa peau et réactivant sa circulation sanguine. Laissant échapper un frisson il avait entrepris de se sécher rapidement lorsque la porte de la cabine de douche s'était ouverte à la volée, sur une silhouette féminine que même la tenue orange et informe qu'on leur avait filé à tous permettait de distinguer sans que le doute soit permis. « En voilà une bien pressée de se doucher à l'eau gelée. » Marquant une pause il avair scruté le visage de la candidate et cru y déceler ce qu'il s'attendait à y voir, agitant finalement la tête comme pour confirmer « Tu es en retard, oui. » Pour l'eau chaude il faudrait revenir demain. Mais parce que la situation n'était pas non plus dramatique et prêtait selon lui à rire il avait repris sur le ton de la fausse proposition « Maintenant si tu es toujours aussi pressée je suis sûr qu'en se serrant un peu y'a moyen de s'arranger ... » Ou alors elle pouvait refermer la porte et attendre qu'il termine de se sécher et de se rhabiller, entreprise acutellement interrompue par le fait qu'il tenait sa serviette autour de sa taille d'une main et ramassait de l'autre sa propre combinaison orange tombée sur le sol détrempé lorsque la porte s'était ouverte.

Un air légèrement compatissant s'était dessiné sur le visage de Lawrence tandis qu'il écoutait la jeune femme se lamenter d'avoir une nouvelle fois raté l'occasion de profiter d'une douche chaude. Lui n'en avait que faire, mais il comprenait aisément que cela puisse être un problème pour autrui, d'autant plus que l'air dans les couloirs de leur prison n'était pas spécialement chaud lui non plus. Clairement pas le paradis des frileux. « Ça t'est déjà arrivé de louper ton avion ? » s'était-il entendu questionner d'un ton amusé tandis qu'elle faisait le parallèle entre sa profession et son incapacité à être à l'heure. Puisqu'il y avait fort à parier qu'un avion plein de passager ne prendrait pas le risque d'accumuler du retard sous prétexte qu'une de ses hôtesses de l'air manquait de ponctualité. Lawrence avait horreur que son avion soit en retard, cinq minutes de perdues ne pouvaient pas être rattrapées, le temps qui filait ne se rattrapait jamais. Et la jeune femme qui lui faisait face en faisait l'expérience maintenant que l'eau chaude elle non plus ne reviendrait pas, ou pas avant le lendemain du moins. « Un peu, oui. Mais d'ordinaire je la prends froide, alors ça m'est égal. » C'était plutôt le fait qu'il se prenne pour en prendre une chaude qui sortait de l'ordinaire, mais dès le lendemain il reviendrait à ses bonnes vieilles habitudes. Il ne comprenait pas le plaisir que prenaient certains à rester des heures sous l'eau brûlante, jusqu'à ressembler à un pruneau géant. Mais sans doute était-ce une question d'habitude, de conditionnement. Elle ne semblait en tout cas pas décidée à quitter la pièce pour revenir plus tard, et fixant donc un peu mieux sa serviette autour de sa taille il avait ramassé sa combinaison avant de reporter son attention sur la visiteuse « Équitable ? » La question avait franchi la barrière de ses lèvres avant qu'il ne réalise qu'elle lui avait effectivement déjà appris être hôtesse de l'air. « Je dirige un hôtel. » Machinalement il avait jeté un oeil à son reflet dans le miroir - à la propreté douteuse - dont disposait la salle d'eau. Il aurait bien aimé avoir au moins une paire de ciseaux à portée de main, à défaut de mieux. Il aimait que sa barbe soit entretenue, que rien ne dépasse ... Mais soit, il devrait probablement s'en passer cette semaine. « Et je travaille pour la mairie de Santa Fe. » Bien que ce ne soit pas un emploi à proprement parler, cela lui prenait presque autant de temps que la gestion de son affaire, aussi il avait tendance à le considérer comme tel. « Pour quelle compagnie tu travailles ? On s'est peut-être déjà croisés. » Ce n'était certes plus le cas désormais, mais fut une époque où Lawrence passait énormément de temps entre deux avions, lorsque voyager faisait encore partie intégrante de ce qu'il faisait dans la vie. Aujourd'hui un peu moins, mais s'il n'avait jamais eu peur en avion il n'avait jamais été fan de cette sensation non plus, et cela ne lui manquait pas vraiment. « Je ne me suis même pas présenté, excuse-moi. » Posant sa combinaison sur le lavabo il avait tendu une main vers elle, par habitude « Lawrence. Et je dois dire que c'est la première fois que je rencontre quelqu'un dans une salle de bain. » A cela il avait ajouté un sourire amusé. Mais ce n'était clairement pas le genre de lieux propice à une quelconque rencontre, en temps normal ... Preuve ultime que leur situation actuelle était tout sauf normale.

Il se demandait si le fait d'arriver suffisamment en retard pour louper son avion était un motif de renvoi pour une hôtesse de l'air, mais probablement pas plus ni moins que dans une autre profession. La jeune femme en tout cas lui assurait ne jamais être allée jusque là, et avait même pris le temps de lui expliquer plus en détails pour quelles raisons le personnel naviguant arrivait généralement bien avant l'heure de décollage. Lawrence lui ne voyait c'est vrai tout cela qu'avec son œil de passager, il arrivait à l'heure du vol et ne se posait pas de question sur ce qui faisait fonctionner son avis ; Il avait un sourire ou une remarque polie pour le personnel naviguant de temps à autre, particulièrement s'il était physiquement à son goût, mais rien d'autre. « Et moi qui pensais que vous vous contentiez de servir du thé glacé et de faire un substitut de macarena en appelant ça consignes de sécurité. » Observant la jeune femme à travers leur reflet respectif dans le miroir, il avait esquissé un sourire amusé, comme pour souligner le fait qu'il la faisait simplement marcher. La disparition de l'eau chaude semblait par ailleurs être un sujet qui la contrariait, et si elle avait été gentille de s'inquiéter du fait que lui ait pu en avoir un peu, bien qu'en définitive il s'en passe probablement beaucoup plus facilement qu'elle. Preuve en était qu'elle venait d'avouer trouver ça agréable, alors que lui appelait plutôt cela une perte de temps dont il préférait habituellement se passer. Estimant par ailleurs se sentir lésée maintenant qu'il connaissant son métier mais que la réciproque n'était pas vraie, elle avait fini par se renseigner sur ce qu'il faisait dans la vie. Si son poste à la mairie était un poste à responsabilité ? Il avait haussé les épaules, faute d'avoir une réponse tranchée à donner « Tout dépend de ce que tu appelles un poste à responsabilités, je suppose. Je m'occupe du pôle sport et jeunesse. » Il n'était qu'un conseiller municipal parmi d'autres pour le maire, et le sport et la jeunesse ne faisaient pas partie des sujets prioritaires. Lawrence avait aussi parfaitement conscience d'avoir atteint son poste parce que de manière tout à fait intéressée la mairie devait trouver utile d'avoir parmi ses conseillers quelqu'un de fortuné et surtout de prêt à mettre la main au portefeuille. Laissant à nouveau glisser la conversation vers la jeune femme il souhaitait savoir sur quelle compagnie il travaillait, par curiosité, et on sentait bien là le sourire de celle qui avait l'habitude de vanter les mérites de sa compagnie ; Pas que ce soit un reproche, après tout cela faisait partie de son travail. « A une époque, oui, maintenant beaucoup moins. Mon parcours professionnel ressemble un peu à un mille-feuilles. » Il avait laissé échapper un soupir amusé, comme pour conclure en ce qui concernait sa propre situation professionnelle, non sans ajouter d'un ton résolu « Mais c'est effectivement possible, qu'on se soit déjà croisés. » La conversation avançait, et pourtant il réalisait seulement maintenant qu'il n'avait même pas pris le temps de se présenter. A sa décharge le lieu n'était pas commun pour faire connaissance avec qui que ce soit, mais enfin. Comme on pouvait s'en douter c'était une première fois pour la dénommée Sara, mais selon elle cela avait au moins le mérite de sortir des sentiers battus « Ça, probablement que je m'en souviendrais de celle-ci. » Au léger sourire de la jeune femme avait finalement laissé place un soupir, et un air pensif qu'elle avait fini par justifier par ces combinaisons oranges peu flatteuses dont ils étaient tous affublés et qui ne semblaient définitivement faire le bonheur de personne. Pas celui de Lawrence non plus, qu'on se le dise, d'autant plus que le orange n'était définitivement pas une couleur qui aille à qui que ce soit ... Mais bon, c'était un tout, un pack intégral avec cellules à barreaux, bouffe infâme et grillage autour des extérieurs. « Le orange encore, on s'y fait ... Mais j'avoue que j'aurais apprécié de ne pas traîner les mêmes fringues pendant une semaine entière. » Niveau hygiène cela restait quand même un peu limite, et laver sa combinaison c'était devoir attendre comme un abruti qu'elle finisse de sécher pour pouvoir la ré-enfiler et ressortir de la salle d'eau. « Mais j'ai entendu dire que les candidats de la saison précédente dormaient sous des tentes avec les moustiques, et se lavaient dans un lac ... alors je suppose qu'à côté on peut presque considérer que l'on est confortablement installés. On a des lits, un toit sur la tête, une cuisinière, hm, adorable ahem ... et un jukebox. » Très important, le jukebox.