J’ai le moral complètement fané. Dans le salon c’est l’effervescence, certains sont tellement excités à l’idée du réveillon que ça me fait presque culpabiliser de ne pas être dans le même état d’esprit qu’eux. Je savais qu’en déposant ma candidature pour cette émission je risquais de ne pas passer les fêtes avec ma famille donc je n’ai en théorie pas le droit de faire ma pleureuse. Pourtant aujourd’hui je n’ai envie de rien. Posée sur mon lit les jambes croisées et les mains jointes sous ma poitrine, mes doigts s’entremêlant à leur guise, je songe à mon frère. Je me demande s’il a reçu ma lettre. A vrai dire je psychote tellement que j’en viens à me demander si ma mère a pensé à la poster. Il faut que l’illusion soit totale, je ne veux pas qu’il soit au courant de ma présence ici. Parce que si je perds je ne veux pas qu’il le sache, même si je suis sûre que ma mère lui a déjà vendu la mèche à l’heure qu’il est. Ma rêverie est interrompue lorsque j’entends quelqu’un rentrer dans la chambre, les pas sont trop légers pour être distincts mais ça fouine. Je finis par virer mon regard vers le coupable qui n’est personne autre que Jade. Me tournant légèrement, j’entoure l’ancien oreiller d’Owen de mes bras en enfouissant le nez dedans. Je la scrute pour finalement faire réapparaitre mon menton au-dessus de l’oreiller afin d’être apte à articuler quelques mots. « C’est ta tenue pour ce soir ? » Je parle de ce qu’elle tient entre les mains. J’imagine que oui. « T’es pressée ? » Je demande dans une banalité source de ma curiosité. J’ai rien d’autre à faire que de taper la discut’ à la première personne qui passe. C’est mieux que de me morfondre.

Jade est gracieuse. Elle a un port de tête haut qui lui donne une attitude assurée, contrairement à ce que son regard trahi. Ca devait être une belle ballerine. Avec tout ce que j’ai entendu à ce propos je l’imagine sur scène à l’image de Nathalie Portman dans Black Swan, la torture dans l’âme et rongée par les travers du ballet. Je continue de l’observer, ça m’inspire des pensées poétiques. Elle est apaisante. C’est bizarre. En même temps je n’ai rien d’autre à faire et ma morosité ne doit pas être étrangère à cette soudaine analyse de la rouquine. Elle semble avoir oublié ce qui va animer le nid ce soir. Elle est carrément à l’ouest, on n’a tellement rien à penser ici que j’ai l’impression que le mot réveillon est sur toutes les bouches depuis des jours. « Noël. » que je lâche en simple mot clé sans bouger de ma position tout en continuant de l’observer la tête enfoncée contre l’oreiller que je tiens contre moi. Un vrai pacha. Par contre Jade, elle, a vraiment une motivation d’enfer pour trier son dressing. Je me demande à quel degré d’ennui on en arrive là. « T’en as du courage. » Je suis complètement défaitiste. Il faut dire que là, dans ma position, je n’ai de motivation pour rien. C’est à peine si j’arrive encore à articuler. Mes pupilles la suivent lorsqu’elle s’avance, répondant à ma question par une réponse qui n’en est pas une. « Pas vraiment » c’est comme « coup-ci coup-ça », vague et nul. Je suis étonnée cela dit, je pensais qu’elle était pressée de fêter noël. Enfin, elle n’a peut-être tout simplement pas compris le sens de ma question. « Je sais pas. » A défaut de lui proposer une activité puisque j’ai la flemme de tout je vais option pour quelque chose de plus « calme ». « T’aimes bien cette fête ? Tu le passes comment noël d’habitude ? » Finalement elle m’a rendue curieuse avec son oubli de tout à l’heure. Il en faut peu parfois.

J’observe la rouquine de mon spot peu pratique compte tenu de la contorsion nécessaire. Elle n’a pas l’air enchantée par cette fête. Disons même qu’elle s’en fou. Je lâche un « Oh. » juste pour intégrer ma surprise au sein de la conversation sans quoi elle continue de s’exprimer. Je l’envie d’avoir sa sœur à ses côtés quoi qu’il arrive. C’est un sentiment que j’aimerais retrouver avec mon frère. Celui qui me rassure car je sais que si jamais je trébuche il sera là pour rattraper avant que je ne tombe. C’est recherché. Quand je dis que Jade m’inspire. Là étrangement elle m’inspire de la morosité mais ça va passer. « C’est cool que vous vous arrangiez pour être toutes les deux. Tes parents sont restés en Amérique c’est ça ? » On a déjà eu cette conversation concernant ses origines et bien que je me souvienne qu’elle ait mentionné sa migration vers l’Autriche je ne suis plus très sûre qu’elle ait mentionné ses paternels. « Normalement oui. » Je réponds à sa question simplement, sans m’étendre plus que ça puisque je n’ai pas non plus envie de jouer la victime. En revanche sa seconde question m’interpelle un peu plus. C’est vraiment chiant de ne pas pouvoir s’isoler parfois. S’exposer le moral au plus bas est pesant, ce n’est agréable pour personne. Du coup je n’ai pas spécialement envie de l’importuner avec ça. « Un peu mais ça va passer. Mon frère et ma mère me manquent beaucoup en ce moment. » Je me rends compte que je n’ai pas envie de me morfondre plus longtemps. Même si le moral n’y est pas je peux toujours tenter de me changer les idées en y faisant contribuer Jade. Je me redresse dans une position en tailleur, blottissant cette fois-ci le coussin contre mon ventre. « Parlons d'autre chose. Quelque chose de plus festif. Tiens par exemple parlons de voyages. Tu as beaucoup voyagé pour tes représentations ? Ca devait être cool d'avoir une troupe avec qui se déplacer tout le temps. » J'essaie de changer complètement de sujet en basculant sur quelque chose qui me passionne. J'aime écouter les gens parler de leurs voyages.