Son crâne menace d'exploser depuis qu'il s'est levé, la faute à l'alcool qu'il a ingéré en bien trop grande quantité la veille. Chaque mouvement de tête lui donne l'impression que son cerveau se balade et se cogne aux parois de la boîte crânienne qui lui sert de logement. Commencer l'année avec une gueule de bois magistrale ne lui est pas arrivé depuis plus de trois ans et ça ne lui avait pas vraiment manqué. Il s'est même promis de ne jamais recommencer à boire de la sorte. Une promesse vaine parce que Lloyd se connaît et qu'il sait parfaitement qu'il va finir par oublier ses limites et boire plus que de raison dans le futur. Mais les bonnes résolutions du nouvel an sont toujours bonnes à prendre, même quand on ne compte pas vraiment les respecter. Après être passé en coup de vent dans la salle de contrôle, avoir bu plus ou moins deux litres d'eau depuis son réveil une heure plus tôt, il commence à regagner un peu le contrôle de son esprit. La meilleure façon de reprendre celui de son corps qu'il connaisse étant de se faire violence il s'est rendu à la salle de sport et s'est installé sur un vélo d'appartement qu'il chevauche avec détermination, les yeux fixés sur la distance parcourue. Les centaines de mètres défilent rapidement et son cerveau embué par les effluves de champagne et de téquila s'éclaircit peu à peu alors que ses jambes peinent à ne pas crier à la maltraitance. Son champ de vision s'élargit au fur et à mesure que les kilomètres sur le cadran grandissent et bientôt Lloyd a de nouveau accès à la totalité de la salle. S'essuyant le front couvert de sueur d'un revers de sa serviette de sport, Lloyd remarque Lawrence en train de s'installer à quelques mètres de lui. « Dis-moi que je suis pas le seul à avoir abusé hier soir... » supplie presque Lloyd avec un sourire. Lawrence a un physique assez impressionnant, il dirait même que des candidats, en dehors peut-être de Salvador, c'est l'autre américain qui a le corps le plus massif. Une carrure qui est probablement le fruit de son travail dans l'armée. « Eh ! À l'occasion tu pourras me montrer l'entraînement que tu faisais quand t'étais dans l'armée ? » demande-t-il enjoué malgré la douleur lancinante que sa propre voix provoque dans son oreille interne.

La voix de Lawrence n'est pas désagréable, peut-être parce qu'elle est grave et qu'elle ne titille pas les tympans de Lloyd d'une façon aussi abrupte que la sienne propre. Pas qu'il ait une voix plus aigüe, elle est simplement émise de beaucoup plus près des tympans et résonne donc beaucoup plus fort dans sa boîte crânienne. Pendant la nuit il a entendu des gens se lever, vomir, il en a entendu d'autres ramener des baquets pour ne même pas avoir à se lever en cas de remontées de bile. Un spectacle pas franchement réjouissant. « Les grosses larves bavent encore avec une bassine à côté de leur tête au cas où les vomissements reprendraient... » commente-t-il en grimaçant. Vomir, lui c'est pas trop son truc. Arthur dit toujours que c'est parce qu'il a été élevé dans une famille où l'arrivée d'une deuxième enfant a forcé ses parents à compter leurs sous. Pour le dépensier qu'est Lloyd ça semble un peu idiot, mais il admet qu'enfants lui et Althea -et plus tard Elliot et Uli- n'avaient pas toujours des tonnes de bouffes sur la table. Ça c'était avant que leur père ne fasse une bonne affaire et qu'ils entrent dans la partie supérieure de la middle class. Un changement de vie bienvenu qui avait permis à leur mère, Lucy-Ann, de rester au foyer pour s'occuper de ses enfants pendant que lui, Meinhard, gagnait sa vie pour deux. La voix de son camarade le tire de sa rêverie sur son histoire familiale et le ramène à la réalité de la rudesse de l'entraînement des SEAL. Ce n'est pas vraiment une surprise, si Lawrence lui avait dit que c'était du gâteau Lloyd l'aurait probablement pensé atteint ou tout simplement brainwashé. « Oui, oui. » répond-il, histoire d'assurer à son collègue de gym matinale qu'il sait dans quoi il met les pieds. Snö ne demande pas de lui qu'il lui fasse faire le parcours du combattant -ou est-ce commando?- tous les jours. Il a bien conscience que Lawrence a autre chose à faire que de prendre sous son aile -comprendre son bras très musclé- un adepte de la salle de musculation de son niveau. Le simple fait que Lawrence accepte de lui filer « deux ou trois pistes » et, si Lloyd supplie de manière efficace, peut-être d'encadrer son entraînement un peu plus intensif une fois de temps en temps est une victoire largement suffisante pour l'americano-suédois.  « Cool, tu verras je demande pas beaucoup d'encadrement, c'est juste histoire d'être au top de ma forme quand je sortirais du nid pour que mon mari ne fasse pas trop la gueule. Et puis si je peux apprendre deux ou trois exercices pour le torturer lors de nos séances de sport matinales c'est un plus. » conclut-il en plaisantant, imaginant la tête d'Arthur si après des mois séparés l'un de l'autre, la première chose que Lloyd venait à vouloir faire avec son cher et tendre n'était pas une semaine de baise intensive mais plutôt des exercices de mise en conditions d'un groupe d'élite. Plus sérieusement, il y a du vrai dans ses mots. Il ne veut pas revenir à Arthur autrement que parfait sur le plan physique. Si son époux pouvait le trouver plus beau et plus désirable encore que lorsqu'ils se sont séparés, Lloyd aurait tout gagné. La question sur le job de son mari a pour effet de couper Snö dans sa course fictive à vélo. Il reprend son souffle, boit deux gorgées d'eau bien méritées et puis se lance dans une explication qui se voulait brève mais qui, comme à chaque fois qu'il parle de son couple, s'étend en longueur : « Il est banquier. Le banquier et l'avocat, on est un peu le stéréotype du couple que personne n'a envie de voir dans sa vie professionnelle. Bon, Arthur n'est pas le « banquier » que tu vas voir quand tu as un problème de découvert, c'est un banquier d'affaire. Mais quand ses clients l'appellent c'est généralement pas bon signe. Et moi quand on se retrouve en face de moi c'est en général que j'essaye de vous envoyer derrière les barreaux alors... » C'est une plaisanterie née de son beau-père qui lui a dit un jour qu'il avait beau les aimer tous les deux -ils n'avaient pas encore adopté Mei à l'époque- il aurait horreur de les rencontrer dans le cadre de leurs fonctions respectives. Un fait qu'ils ont tous les deux accepté depuis, conscients qu'ils sont que leur travail respectif n'est pas le plus agréable du monde aux yeux de leurs congénères. « Ça va qu'on est sympa et qu'on a une grande famille sinon on serait souvent seul. » ajoute-t-il finalement parce que bon. Tout de même. Malgré leurs choix de carrière pas très réjouissants, ils sont charmants et ont pas mal d'amis fidèles. Lloyd pourrait en rester là, il pourrait reprendre sa route imaginaire vers un point illusoire sur son vélo, mais il en a marre et surtout, curieux, il veut parler à Lawrence d'une conversation dont il n'a pas été témoin dans sa totalité mais qu'il a pris le temps de visionner dans la salle de contrôle ce matin. Sautant de la selle il vient alors s'installer au banc de musculation, utile pour entretenir le haut du corps, qui se trouve à deux mètres pas plus du rameur où est assis Lawrence. « T'as entendu ce qu'il s'est passé entre Grey et Naveen ? Il lui a déclaré sa flamme aux alentours de minuit et Naveen a dit que... il voulait entendre ça de la bouche de quelqu'un d'autre... » Lloyd ne sait pas exactement pourquoi il s'est mis à chuchoter, peut-être parce qu'il est conscient que -comme il l'a prouvé et le prouve à cet instant- les murs ont des oreilles dans le nid. S'il choisit d'en parler à Lawrence c'est parce qu'il n'est pas dupe et qu'il préfère être fixé sur les choses plutôt que d'avoir à enquêter lui-même. Et surtout, il préfère voir si les gens sont honnêtes avec lui et avec eux-mêmes ou s'ils mentent pour le faire taire ou pour se voiler la face.  « Tu crois qu'il parlait de qui ? » demande-t-il alors tout de go. La réponse lui semblant évidente quand on a comme lui passé cinq semaines enfermé avec les mêmes personnes et qu'on a les yeux en face des trous.

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