BURN AFTER READING
@colin

Khadija est beaucoup trop excitée cette semaine où elle s'autorise une totale détente pour la salle de détente, justement. Comme si elle allait être stressée. Elle entre dans les lieux et entreprend de préparer un russe blanc, Le Cocktail Préféré de Jeff Lebowski, du film des Coen. S'intéressant de près au minibar, elle cherche sur un iPhone prêté par la prod, l'application Marmiton. Cocktail « white russian », yes. Elle suit les instructions à la lettre – en fait c'est tout con – et son cocktail est vite prêt. Aucun effort à fournir dans ce mélange des plus basiques, si ce n'est qu'il fallait y penser, à la liqueur de café. Elle prépare deux verres, s'attendant à être rejointe dans les lieux d'ici peu. Elle pourra ainsi le proposer au premier arrivé, fille ou garçon. Ce serait marrant que ce soit Naveen, qui ne doit pas être habitué du tout à l'alcool. Mais celui-ci étant composé de lait, elle aurait peut-être une chance de le convaincre d'y goûter... Son verre à la main, elle se penche sur la collection de films présents, proposés au home cinéma. Il y a tous les classiques, et aussi les comédies romantiques américaines à la mode, avec Jen' Lawrence, Brad Cooper, tout ça. Elle jette un regard peu enjoué vers les instruments de musique, les caressant tous des yeux sans pour autant les approcher. La porte s'ouvre et elle se retourne pour voir qui se pointe, sans savoir qu'elle a bien besoin de compagnie. Oh, Colin, c'est marrant, elle le fréquente pourtant de près depuis des semaines sans jamais avoir eu l'occasion de lui parler véritablement. Au dernier prime, elle l'a cité comme le plus provocateur des candidats, une marque de fabrique qu'il se donne pour se démarquer des autres – et ça fonctionne bien. En le citant, elle croit se souvenir qu'elle lui a fait gagner... des voix contre son couple. Merde. Elle tente un sourire quand même. Allez, c'est pas bien grave, quelques voix... Pour se faire pardonner, elle ne nominera pas Colin cette semaine. Elle recule jusqu'au bar et lui désigne le cocktail qu'elle a préparé en même temps que le sien. — Viens, on boit de l'alcool en faisant genre on parle cinéma, propose-t-elle en rejettnt ses cheveux en arrière en mode « connasse de la haute », s'approchant des films. — Burn after reading, des Coen. Beaucoup d'amateurs des Coen le voient comme le pire de leurs films. Je ne suis pas vraiment d'accord. Les dialogues sont extraordinaires et la direction des acteurs porte le film, tu ne trouves pas ? Mieux vaut qu'elle se lance dans le ciné que dans la musique ; elle est incapable de jouer d'un instrument, quel qu'il soit...

Quand Colin ne sait pas quoi faire, il se dirige presque naturellement vers la salle de détente. C’est l’un des endroits qu’il préfère ici, probablement parce qu’ainsi il ne perd pas ses bonnes vieilles habitudes qui consistent à mater un film vautré sur son lit, tout en grignotant des chips. L’activité basique du type qui n’a rien à faire de ses journées. Ce n’est pas si éloigné de ce qu’il ressent ici, où il n’a pas grand-chose à faire, la seule différence étant le luxe de la pièce dans laquelle il squatte. Il est difficile de ne pas venir régulièrement ici vu le confort des fauteuils et le choix de films qui s’offrent à eux, sans parler de la qualité de l’écran et du son. Bien mieux que le cinéma de quartier de son bled pourri. Alors une fois n’est pas coutume, c’est ici qu’il compte passer son début de soirée. Sauf que là encore, une fois n’est pas coutume, il constate que ce n’est pas aujourd’hui qu’il pourra enfin profiter de cet endroit seul, puisqu’à peine-a-t-il poussé la porte que Khadija s’adresse à lui comme s’ils étaient deux vieux amis. « Euh, ouais, tu t’adresses un peu à la mauvaise personne, j’y connais rien en cinéma. » Enfin, comme tous les jeunes de son âge il se traîne au cinéma de temps à autre, il est au courant des dernières sorties ou des films récompensés aux Oscars, mais ce ne sont pas ceux qui l’intéressent le plus, étant du genre comédie grasse américaine. « Mais bon, tu m’as eu à « on boit de l’alcool », j’t’avoue, ça m’aidera à supporter les discussions philosophiques sur « si ce personnage nage dans l’eau avec autant d’intensité, est-ce parce qu’il se revoit dans le liquide amniotique de sa mère ? ». » Il imagine Khadija être plutôt bercée par les films d’auteurs, il ne serait donc pas étonné d’avoir le droit à une discussion allant dans ce sens. Mais il se trompe puisqu’elle évoque Burn After Reading, un film qu’il connait bien, comme tous ceux des frères Coen. Colin a fait son lycée à Minneapolis, d’où sont originaires les deux cinéastes considérés comme des légendes là-bas, il pouvait difficilement passer à côté d’eux, sans quoi il aurait probablement été renié, hm. « J’ajouterais que le look de Brad Pitt porte un peu le film aussi, ahah. » N’oublions pas le Brady dans ce film quand même, ce n’est pas rien. « C’est Intolérable Cruauté le pire, j’trouve. C’est trop prévisible. Et j’supporte pas la tronche de la Zeta-Jones, c’est vrai. » Forcément, ça n’aide pas. Il s’empare finalement du second cocktail qu’il goûte sans tarder, devinant rapidement que celui-ci est dans le thème « Frères Coen ». « Tu connais le jeu à boire qui veut qu’on s’en tape un à chaque fois que l’Duc en fait d’même ? » Des films et un jeu à boire, ça lui semble être un bon programme.

Le cinéma, c'est pas vraiment son truc à elle non plus, incapable qu'elle est de rester en place trop longtemps – alors un film... Au cinéma, elle est obligée de prendre une boisson et des popcorns pour occuper ses mains, sa bouche, en même temps qu'elle reste calme, ses yeux rivés sur l'écran... A voir sa tête, Colin semble la prendre pour une cinéaste reloue du genre films indé, ça l'amuse, jusqu'à ce qu'une petite lueur dans ses yeux lui fasse comprendre que lui aussi aime bien les films délurés des Coen's. Elle acquiesce en riant au nom de Brad Pitt dans le film qu'elle a cité. — Avec son chewing-gum, se rappelle-t-elle en imitant Brad mâcher comme un débile. — J'adore la blonde aussi, elle précise, préférant ne pas tirer toute la couverture sur Brad, certes dément dans le film, mais bien aidé par cette actrice fétiche des Coen's, qui joue aussi dans Fargo. Khadija ouvre cependant de grands yeux lorsqu'elle entend l'avis de Colin sur Intolérable cruauté. — Je pense pareil, c'est sûrement le seul film d'eux que je n'aime pas ! Dingue. D'habitude les garçons sont fans de cette nana... — Même effet chez moi avec Pénélope Cruz, dit-elle en haussant les épaules, cette fois certaine d'être seule dans son point de vue. Colin propose un jeu d'alcool sur The Big Lebowski. Elle rit. — Même dosage que lui alors ! Elle pense à la scène où Jeff se tape un bad trip après un russe blanc dans lequel le producteur porno a mis une drogue. Elle s'avance vers les films et attrape The Big Lebowski, qu'elle glisse dans le Home Cinema, avant de se tourner vers Colin. — Prêt ? Elle lui désigne le bar sur lequel repose le cocktail du Dude.

Khadija lui apparait comme une femme aux goûts aiguisés, il ne serait donc pas étonné d’apprendre qu’elle est plus portée sur les films indépendants où le réalisateur prend soin de filmer un mur blanc pendant une demi-heure, tandis que le personnage principal est torturé par la mort d’un oiseau qu’il n’a pas pu sauver lorsqu’il avait dix ans. Il a cependant l’agréable surprise de l’entendre évoquer un film des frères Coen, deux légendes de Minneapolis, là où il a grandi, qui n’hésitent d’ailleurs pas à mettre le Minnesota à l’honneur dans certains de leur film. Il est attaché à cet endroit, et il accorde probablement trop d’importance à tout ce qui s’en rapporte, raison pour laquelle il ne se montre pas trop cassant avec Khadija, parce qu’elle a su aborder un sujet qui lui plait, pas forcément pour les bonnes raisons. Burn After Reading n’est pas le pire film des frères Coen, il n’est pas d’accord avec la majorité des gens. Si Khadija semble faire une bonne analyse du film, lui est plus dans la simplicité, évoquant la dégaine de Brad Pitt dans le film, tandis que sa camarade se lance dans une imitation plutôt réussie de Brad, même s’il se contente d’esquisser un bref sourire. « Ouais, elle est bien aussi. » Il confirme quand elle évoque Frances quelque chose, il se souvient pas exactement mais il la visualise sans difficulté. « Et du coup, c’est lequel ton préféré ? » Il la questionne, histoire de faire la conversation. Au moins, ils ont un point commun alors qu’il ne pensait pas en avoir avec elle : ils ne sont tous les deux pas de grands admirateurs d’Intolérable Cruauté. « Dans Vicky Cristina Barcelona elle m’a foutu l’feu, elle. » Ouais, c’est un grand cinéphile quand il veut. Surtout quand il est question d’un baiser entre Pénélope et Scarlett. « Bon, et de ton côté, c’est George ou Ryan ton fantasme ? » Là-aussi, il s’agit plus d’un essai pour faire la conversation que d’un réel intérêt pour sa réponse. Le jeune homme finit par lui proposer un jeu à boire en lien avec The Big Lebowski, puisque cela lui semble d’occasion. « Évidemment. » Toute façon, que le dosage soit généreux ou non, du moment qu’il peut boire, hein. « J’attends que ça. » Il dit par la suite, s’emparant du cocktail. « Ça a intérêt à pas être dégueu’ sinon c’est tout un rêve qui s’écroule. » Celui de boire la même chose que le Duc. Le Russe blanc, c’est une légende, faudrait pas que ce soit imbuvable sinon il sera déçu, très déçu.