Ce matin, en fouillant dans ses affaires, il a retrouvé le carnet de recettes de sa nonni. Il reconnaît d’emblée son écriture illisible. Par chance, Lino est à même de la déchiffrer car il a pensé son enfance à recopier au propre une partie de son grimoire qu’il a couché sur du papier à l’aide d’encre, elle qui ne supporte pas les nouvelles technologies, les regardant d’un air suspicieux, il a du tout réécrire à la main pour son grand plaisir. Sa grand-mère n’a pas eu une éducation digne de ce nom, originaire d’une famille pauvre, d’un couple de fermiers. Elle, elle était la seule sage-femme de son village, sa mère elle-même l’était, sa grand-mère avant elle, depuis des générations.  C’est pour cela qu’on leur prête toute sorte de rumeurs concernant la sorcellerie. Ce qui n’était pas faux car sa grand-mère se considérait comme une sorcière, les grandes tantes également. Le carnet qu’il tient dans sa main recèle plein de recettes préparées par l’ancienne. Le plat préféré de l’italien se trouve être un plat typique de la Sicile, une spécialité digne de cette région, Pasta alla Norma. C’est simple d’exécution, mais assez longue pour la cuisson. En arrivant dans la cuisine, il perd pas de temps. Il s’attèle à la préparation en enfilant un tablier autour de la taille. Il coupe des rondelles d’aubergines, qu’il sale et poivre avant de les presser à l’aide d’une assiette pour éliminer toute eau restante. Maintenant, la sauce faite maison s’il vous plaît. Dans une casserole, il fait dorer les gousses d’ail dans un fond d’huile, accompagner de piments à cuir avec le reste pour donner du piquant puis ajoute les tomates pelées. Il laisse mijoter à feu doux jusqu’à ce que les tomates soient défaites, puis mixe la sauce au chinois, et la cuit encore pour obtenir une sauce tomate bien épaisse. Justement, un camarade vient de faire son entrée. Il s’avance vers lui lorsque Lino lui lance : « Grey, tu tombes bien. » Il retire la casserole, la porte à bout de bras et ôte la cuillère en bois du récipient, puis la lui tend. « Tiens, goûtes-moi ça. » Il voulait son envie sur le goût de la sauce. Si ce n’était pas trop acide ou trop salé, voire trop épicé. En parlant d’épices, il oublie un facteur important. Il recule la cuillère. « Tu ne crains pas les choses épicées, j’espère ? », lui demande-t-il en arquant un sourcil interrogateur. Il connaît des personnes qui ne supportent pas du tout le piment. Quant à Lino, il n’y va pas de main morte. Il a tout pris de ce côté-là de sa grand-mère pour cela.

Je n'ai jamais été un fin gourmet, en même temps ma mère n'était pas non plus la meilleure en cuisine, et on ne pouvait pas dire que j'avais été élevé dans ce que l'on appelait de la grande gastronomie. Elle n'avait jamais eu les moyens d'acheter des produits frais, ou de quoi me faire réellement découvrir ce genre de plaisirs. Alors à défaut de connaitre tous les aspects de cet art, j'avais grandi en mangeant ce que je trouvais nourrissant, sans forcément y prendre goût. Remarquez, cela m'avait permis de garder la ligne, je n'avais jamais été trop mince, jamais trop épais, juste ce qu'il fallait pour pouvoir continuer à vivre sans le moindre encombre. Peut-être était-ce ça la clé. Aujourd'hui, c'était tout autre, et je savais qu'il fallait que je fasse attention si je ne voulais pas rapidement gagner du poids. Le sport m'aidait évidemment à garder un corps sain, mais un petit écart était toujours trop vite arrivé, croyez-moi. En ce trente décembre, soit l'un des derniers soir de l'année, je me tâtais sur comment la terminer en beauté. On ne pouvait pas dire que ces trois cent derniers jours avaient été des plus simples, mais ça n'était assurément pas une raison de me punir, et un bon repas était donc de mise. Lino m'apparaissait alors comme mon ange gardien, puisqu'à peine arrivé, qu'il me proposait de gouter à ce qu'il venait de préparer, me demandant au passage si je ne craignais pas l'épicé. « Aucune chance. » lui répondis-je, plus courageux que jamais alors que que mes lèvres se glissaient sur la cuillère. D'abord une sensation de chaud, puis d'épice, et finalement un sourire était venu étirer mes lèvres. « Ça arrache ! » On ne pouvait pas dire qu'il y était allé de main morte. « Mais c'est hyper bon. T'as appris à cuisiner où ? » C'était quelque chose pour lequel je restais admiratif, n'ayant jamais vraiment réussi à faire de la cuisine de qualité, ce que déploraient pas mal mes invités. « Je t'aurais jamais imaginé en cuisinière du dimanche. » repris-je amusé en prenant place sur un tabouret non loin de là. « J'espère que y'en a assez pour deux, je meurs-de-faim ! » et voyez comment j'arrivais à m'imposer, l'air de rien ?

La cuisine, ça le passionne quand il a le temps. Avec son boulot et ses loisirs, i n'a parfois pas le temps de se concocter de bons petits plats, à part quand il reçoit. Sinon, le reste du temps, il se fait des restes de la vieille ou mange à l'extérieur la plupart du temps. Vivant seul avec son chat, il n'ose pas trop cuisiner pour lui tout seul. Sa plus grande joie, c'est le partage. Il tient ça de sa grand-mère qui lui a inculqué des valeurs ancrées dans son être. Son goût pour la cuisine, elle a su le transmettre à son petit-fils. Et aujourd'hui, il a entre les mains son fameux carnet à recettes qui est dans sa famille depuis des générations. En examinant le contenu de plus près, c'est parfois écrit en latin. De quand date ce carnet ? Lui-même l'ignore. En tout cas, ces recettes restent secrets. Il n'a pas aucune intention d'en divulguer le contenu. Il s'est affairé à la préparation d'un plat italien, un classique de la région de la Sicile, végétarien qui plus est. La sauce a fini de mijoter lorsqu'un candidat rejoint Lino dans la cuisine. Un certain Grey, qu'il a croisé à maintes reprises, s'échangeant des banalités sans pour autant discuter réellement. Tout ce que l'italien sait qu'il est fortement apprécié des téléspectateurs et de ses camarades, vu son rang dans le classement, toujours dans le trio de tête. Il demande à ce dernier de goûter à la sauce, en le prévenant tout de même que c'est fort en piment. Amusé, il regarde la réaction du canadien. Oui, c'est fort. Il ne tarde pas à le goûter à son tour. Il sent bien le piment. Par contre, cela manque un peu de sel. Il en rajoute un peu, juste assez pour que le goût soit équilibré et un peu sucre pour contre l’acidité du plat. Le brun lui demande comment il a appris à cuisiner.    « C'est ma grand-mère qui m'a tout appris. » Il faut rendre à César qui appartient à César. Elle est la figure de proue, la chef de la famille. Et de sa spatule en bois, elle sait cuisiner des merveilles, mêlant terre et mer, bien représentatif de Palerme, en plus des agrumes. Il ne l'aurait jamais imaginé en cuisinière du dimanche. L'italien ricane. « Le truc c'est que ma mère et mes soeurs ne savent pas cuisiner. Et toi, tu sais cuisiner ? » Quand il dit ne-savent-pas, c'est qu'à chaque fois, elles trouvent le moyen de rater la cuisson des pâtes. Un comble pour des italiennes. Sa grand-mère a toujours su que sa fille et ses petites-filles étaient des causes perdues. Toute la réputation de sa famille en matière de cuisine repose sur lui. « J'ai du m'y mettre malgré moi. Sinon, on aurait tous fini à l'hosto. » Il rit de nouveau, en se souvenant de la dernière fois que sa mère a touche une casserole. Pour la bûche de Noël, au lieu de mettre du beurre doux, elle a mis du beurre avec des cristaux de sel. Résultat : immangeable. Son homologue masculin lui fait comprendre qu'il a faim. Justement, le libraire compte bien partager son plat avec lui. C'est fait pour être partager. « C'est presque prêt. En attendant, on peut discuter un peu. » Il l'invite à s'asseoir près du comptoir, il prend place à son tour. Il lui sert de l'eau dans un verre avec une carafe préparée au préalable. Il s'en verse également. Il le porte à ses lèvres et en boit une gorgée. « Alors, comment ça se passe de ton côté ? » L'aventure, les rencontres, les relations qu'il s'est créées. Tout. Il est content d'écouter les points de vues des uns et des autres. Cette aventure n'a pas les mêmes résonances. Cela varie toujours d'une personne à une autre qui met l'accent plus sur une rencontre en particulier que l'expérience en colocation, par exemple. Il est curieux d'entendre ce qu'il a lui dire.