Alors qu'on aurait pu s'attendre à ce que l'issue du prime empêche l'indien de trouver le sommeil, celui-ci avait en fait passé une nuit des plus paisibles. Il n'était pas serein, pourtant. Se retrouver nominé, qui plus est face à plusieurs candidats qu'il appréciait particulièrement, c'était difficile à vivre pour lui, parce que ça faisait deux fois qu'il se retrouvait en danger, et deux fois que ses camarades n'avaient pas leur mot à dire. Après les pleins pouvoirs de Colin, c'était une partie de paintball qui l'avait mené jusqu'au banc des nominés, et c'était d'autant plus frustrant qu'il avait fait tout son possible pour défendre son équipe, la veille au soir, bien que sans grand succès. Alors la raison pour laquelle il s'était endormi sans mal, en début de nuit, c'est précisément parce qu'il avait dépensé une énergie particulière à tenter de sauver les meubles, au même titre que ses coéquipiers, et qu'il n'avait pas vraiment l'habitude de se démener autant, pas physiquement du moins. Alors oui, il était littéralement tombé de fatigue, si bien qu'il avait abandonné son sherwani au cellier, ne s'étant pas senti la force de s'occuper de lui avant le lendemain matin. Ainsi, lorsqu'il quitta son lit en début de matinée, c'est directement au rez-de-chaussée qu'il descendit, et son sherwani qu'il partit retrouver, alors même qu'il n'avait pas déjeuné. Le vêtement en question avait heureusement été protégé des tirs de ses camarades grâce à la protection qu'on leur avait fourni, pour autant certains l'avaient atteint au niveau du col, ou de ses pans. C'était le risque quand on portait quelque chose d'aussi long, et d'aussi fragile. Car ici, il n'était pas question de faire une lessive, mais bien de traiter le vêtement de façon à le récupérer intact, ce qui n'avait rien d'assuré dans l'immédiat. Sortant toutes sortes de produits dont il n'était même pas certain de connaître l'utilité – il faudrait pour ça qu'il parvienne à en déchiffrer les étiquettes, ce qui n'était pas toujours aussi évident que ça – il se saisit finalement d'une brosse et frotta doucement le tissu, avec la peur il est vrai d'empirer les choses. Néanmoins concentré, il mit quelques instants à réaliser que la porte s'était ouverte et que l'une de ses camarades l'avait rejoint. Ce n'est qu'après une petite minute qu'il nota finalement la présence de Salomée, qu'il accueillit par un fin sourire, avant de se sentir obligé de revenir sur les événements du prime, parce que ça lui tenait à cœur. « Je suis désolé de ne pas avoir été d'un grand secours, hier soir. » Il souffla, sincèrement, en se tournant un instant vers la jeune femme, tandis que sa mine témoignait sans mal du fait qu'il ait effectivement tendance à culpabiliser. Parce qu'il n'avait pas vraiment brillé par son talent, durant la partie de paintball, et il ne pouvait pas s'empêcher de penser que sans certaines de ses erreurs, ils auraient peut être pu s'en sortir. « J'espère que tu sais que j'ai fait de mon mieux. » Salomée lui avait fait remarquer sa passivité dimanche dernier, lorsqu'il ne s'était pas senti capable de prendre part à l'un des défis qui leur avaient été proposés, ainsi il espérait que cette fois, elle savait qu'il avait fait son maximum pour défendre les intérêts de leur équipe. Sans grand succès, certes, mais quand même.

Epuisée par le prime et n’ayant pas pu bénéficier d’une nuit réparatrice comme je l’aurais voulu, je suis moi-même surprise de me retrouver debout aussi tôt ce matin. Il n’y a rien à faire je n’arrive pas à retrouver le sommeil, mon réveil est définitif et je peux dire au revoir à la grasse matinée qui m’apparaissait pourtant comme étant le bon compromis à un coucher tardif. Colin a menti, il n’est pas la clé d’un teint parfait. Je dirais même le contraire au vu du mien qui est blafard en cette matinée nuageuse. En direction de la cuisine je tombe sur les lève-tôt du nid qui ont déjà sorti les paquets de céréales et autres délices sucrés qui ravissent mon palet dès le matin. C’est bien simple : si je ne prends pas de petit déjeuner je me goinfre toute la journée. Et puis maman dit que ce n’est pas bien de ne pas petit déjeuner. Ça me permet aussi de tenir le rythme des séances d’entrainement effrénées d’Achille que je compte sécher ce matin. Je le lui annonce sans même être désolée, mes immenses cernes parlent pour moi. Même la vitesse à laquelle je mâche les boules de Miel pop’s témoigne d’un manque d’énergie. Ils m’abandonnent tous un à un et je me retrouve obligée de terminer mon bol dans le silence complet. Je tourne au ralentis, ça va être une journée longue à passer je le sens. Trainant des pieds jusqu’au cellier pour y ranger la boîte à l’abeille superstar je tombe à ma grande surprise sur Naveen. « Bonjour Naveen. » Perchée sur la pointe des pieds je cale la boîte entre ses compères avant de me tourner vers l’indien qui a l’air très occupé avec son costume de la veille. « Oh ce n’est pas grave, on a été distancés dès le début de toute façon. » Il faut se faire une raison on a vite été perdus dès la première manche au cours de laquelle j’ai plus fait office de boulet pour mon équipe plutôt qu’autre chose. C’est incroyable comme je n’ai jamais rencontré de personne aussi bien intentionnée que Naveen. Je fais le lien entre ses justifications et le prime d’il y a deux semaines où je l’avais réprimandé sans aucune gêne. « Tu sais la dernière fois je me suis emportée dans le feu de l’action. Je prends tellement à cœur ces histoires d’argent que j’en deviens folle. » Je lève les yeux au ciel tant je suis consciente de ma condition. Je ne veux pas qu’il se mette la pression pour ce genre d’activités juste à cause d’une réflexion irréfléchie. « Tu fais ce que tu veux. Mais c’était sympa hier que tout le monde ait participé. » En tout cas tout le monde semblait s’être bien amusé. L’observant un instant frotter soigneusement son costume sans dire un mot je me décide à briser le silence, m’hissant sur le dessus d’une machine à laver. « Dis Naveen... tu t'y connais en chakras ? » Ok ça a l'air bizarre mais ma question est fondée. « Comme c'est issu de la culture indienne et que ça a toujours été un peu flou je voudrais savoir ce qu'il en est vraiment... si quand tu les débloques t'es vraiment plus épanoui. Et si on peut vraiment les débloquer en fait. » Pour résumer je n'y connais rien. Pour autant j'ai envie de papoter avec Naveen et c'est le sujet que je décide ici et maintenant. Je dois commencer à me réveiller. « Je ne veux pas t'embêter hein... mais c'est les couleurs de ton costume qui me font penser à ça. » Je le montre impoliment du doigt le temps d'une seconde, balançant mes pieds le long de l'appareil.

Nettoyer ses affaires – qu'il s'agisse de faire une lessive ou comme ici de traiter un vêtement en particulier – était l'une des choses que sa mère lui avait apprises, ainsi l'indien ne s'était pas rendu dans le cellier par hasard, mais parce qu'il était pratiquement certain d'y trouver de quoi débarrasser son sherwani des quelques éclaboussures qui s'y étaient déposées. Pour autant, lorsqu'il arriva sur place et qu'il voulut utiliser les produits mis à sa disposition, il ne mit pas longtemps à comprendre qu'il mettrait plus de temps à interpréter les étiquettes qu'à nettoyer son vêtement, raison pour laquelle il préféra commença à le traiter à l'aide d'une brosse. Concentré, il ne remarqua pas immédiatement l'entrée de l'une de ses camarades, et ne posa les yeux sur Salomée qu'après un petit instant, tandis qu'il repensa instantanément au prime de la veille, et plus particulièrement à la fameuse partie de paintball, grâce à laquelle sa camarade et lui se retrouvaient nominés. Il tint alors à s'excuser de n'avoir peut être pas été particulièrement efficace – pas autant qu'il l'aurait voulu, du moins – et esquissa un sourire un peu triste à la remarque de la candidate. « C'est vrai. Je ne sais pas ce qu'ils avaient mangé, mais nos adversaires étaient déchaînés. » Il parvint à lâcher un léger rire, en dépit du fait qu'il prenne tout ça à cœur, parce que bien sûr il aurait préféré que l'issue soit différente, mais plus encore qu'ils aient de véritables chances de l'emporter. Or, comme le disait Salomée, ils avaient perdu dès la première manche. Tenant ensuite à lui assurer qu'il avait fait de son mieux, il fit indirectement allusion à ce que la jeune femme lui avait soufflé, dimanche dernier, quand il n'avait pas pris part à un défi. Mais la blonde semblait porter un regard assez critique sur son attitude, à ce moment-là, ce qui valut à l'indien de mouver doucement la tête. « Ce n'est pas une mauvaise chose, à mes yeux, de prendre la compétition à cœur. J'avais simplement un peu peur qu'après ça tu ne me penses pas suffisamment motivé, ou … trop individualiste. » Car il ne l'était pas, c'est certain. Faire partie d'une très grande famille lui avait appris à faire passer les intérêts communs avant ses intérêts personnels, et il avait un esprit d'équipe beaucoup plus développé qu'on avait peut être tendance à le penser. Acquiesçant en tout cas à ses prochaines paroles, il observa Salomée s’asseoir sur la machine à laver, puis esquissa un sourire plus amusé lorsqu'elle le prit de court en évoquant un tout autre sujet. Est-ce qu'il s'y connaissait en chakras ? « Je m'y connais, oui. Ce sont effectivement des choses qui sont très ancrées dans ma culture, et je m'y intéresse d'autant plus en tant qu'adepte de la méditation. » Il était peu probable que Salomée ignore qu'il méditait régulièrement, autant parce qu'il avait du y faire allusion auprès de la plupart de ses camarades que parce qu'il n'était pas rare que certains d'entre eux le surprennent en pleine séance. « Les chakras sont les centres énergétiques de notre corps. Ils y canalisent et y font circuler les énergies qui nous entourent, de façon à ce qu'il y règne une certaine harmonie. » Il commença à lui expliquer, comprenant parfaitement son besoin de se renseigner sur des choses qui lui étaient inconnues, et acceptant toujours volontiers d'éclairer la lanterne de quelqu'un. « On représente souvent les chakras comme des vortex, ou des sortes de roues, mais bien sûr ce sont des images, nous n'avons rien de tel à l'intérieur de nous. » Il esquissa un nouveau sourire, tandis qu'il se désintéressa à son sherwani pour se tourner complètement vers Salomée, avant de reprendre. « Un chakra doit être ouvert lorsqu'il souffre d'un dysfonctionnement, en cas de stress, de maladie ou d'un trop plein d'énergies négatives, par exemple. Dans ces cas-là, on aide les bonnes énergies à circuler à nouveau, le plus souvent en se plongeant dans un état méditatif, en visualisant des images, en récitant des mantras et en se concentrant sur la partie du corps qui correspond à chacun de nos chakras. » Il espérait que les termes qu'il utilisait n'étaient pas trop incompréhensibles, auquel cas il veillerait évidemment à les simplifier, dans la mesure du possible du moins. « Dans ma culture, on estime leur nombre à plusieurs milliers, mais on compte en fait sept chakras principaux, tous reliés à des organes et à des émotions bien précises. » S'approchant légèrement de la machine sur laquelle Salomée était assise, il posa une main au niveau de sa propre gorge, puis continua. « On dit par exemple que les personnes aphones souffrent d'un dysfonctionnement de leur cinquième chakra, parce qu'il est notamment relié aux cordes vocales. Et toi, s'il t'arrive d'avoir l'estomac noué par le trac, c'est que ton troisième chakra rencontre un problème. » Posant à présent une main sur son ventre, il en vint à la conclusion qu'il gagnerait peut être à lui expliquer les choses encore plus clairement, sans s'éterniser dans de la théorie. « Si tu veux, je peux te montrer où se situe précisément chacun de tes chakras. » Et par là, il voulait dire les situer au niveau de son corps, à elle, parce qu'elle s'intéressait sans doute beaucoup plus à ce qu'il en était à l'intérieur de son organisme, qu'à l'idée très générale qu'il évoquait jusqu'à présent. « Tu me permets ? » Il lui demanda toutefois, car il n'oserait pas la toucher sans son consentement, par respect autant que parce qu'il ne voudrait pas qu'elle se méprenne. Salomée était peut être agréable, mais elle avait du caractère, et il se contentait largement des bleus que lui avait coûté la soirée d'hier pour ne pas réclamer une bosse, en plus de ça.