La journée n’a pas été particulièrement difficile mais j’ai appris une nouvelle qui ne peut que me bouleverser, un chanteur que j’ai toujours beaucoup admiré et que j’ai même eu la chance de rencontrer lors d’une projection en avant-première à Broadway est décédé récemment. David Bowie, un artiste entier qui a marqué son époque et qui continue de parler aux nouvelles générations, n’avait-il pas un nouvel album sur le feu ? J’ignorais qu’il avait un cancer et qu’il se battait depuis plusieurs mois pour vaincre la maladie qui aura malheureusement pris le dessus. Le cancer, une sacrée merde, le mal le plus difficile à combattre, la médecine n’est pas assez avancée pour nous permettre de le vaincre efficacement, ce n’est pourtant pas faute d’essayer. J’ai l’impression que la maladie se rapproche, au fur et à mesure, qu’elle ne cesse de prendre des vies, jeunes, vieux, elle ne fait plus la différence et ça a de quoi faire peur. Ce soir je ne suis pas vraiment d’humeur et j’ai besoin d’un remontant pour chasser toutes ces mauvaises pensées, un bon petit verre, quelques cocktails ? J’ignore ce que je compte faire lorsque j’arrive à la salle de détente mais je ne veux pas continuer à déprimer. Nostalgique, je crois bien que je le suis un petit peu et je parviens à trouver de la musique qui me parle, celle que j’ai envie de réécouter ce soir, playlist David Bowie, parfait. Je m’affale au bar et attrape une bouteille de téquila, parfait, je prends. Quelqu’un entre et je reconnais tout de suite ce petit bout de femme, Khadija, elle est plutôt sympa et elle ne danse pas si mal. Mes lèvres s’étirent en un fin sourire chaleureux. « Tu veux boire un verre avec moi ? Oh, j’ai une idée, on se fait un jeu ? » Tellement cliché et adolescent de se livrer à un Never Have I Ever mais c’est un bon moyen d’apprendre à se connaitre d’un point de vue plus personnel, à coup d’anecdotes gênantes.

Khadija me parait être la partenaire idéale pour savourer un petit verre entre copines… D’accord, nous ne sommes pas vraiment copines, on ne se connait pas suffisamment pour cela mais j’ai beaucoup de respect pour elle et c’est déjà énorme. J’aurais pensé connaitre davantage de personnes à ce stade, quand je me projette un petit peu je n’ai pas l’impression d’avoir pu me confier ou apprendre à connaitre réellement un candidat au-delà des banalités que nous échangeons tous au quotidien. Triste n’est-ce pas ? Cette semaine je ferais en sorte d’entamer quelques démarches pour y remédier, j’ai conscience qu’on ne peut pas forcer la main aux autres pour qu’ils s’ouvrent mais avec un petit peu d’insistance et un zeste de confiance il est nettement plus facile de se rapprocher d’un tel objectif. J’ai confiance et je retrouve même une pointe de bonne humeur lorsque Khadija se met à se dandiner sur Bowie, elle a bien retenu les quelques pas que j’ai tenté de lui apprendre. Je secoue la tête, en rythme, pour lui apporter un peu de soutien et la congratule en frappant dans mes mains. « Ouais, bravo, tu as super bien progressé, je suis fière de toi… Jeune Padawan ! » Quoi ? J’ai peut-être quarante ans mais je connais Star Wars mieux que personne, peut-être parce que les films sont sortis à mon époque. « Je te laisse faire, surprends-moi ! » Il ne m’en faut pas beaucoup pour être heureuse avec les cocktails, elle n’a donc pas à se mettre la pression. J’attends néanmoins impatiemment de goûter à sa recette, je l’observe en action, elle est appliquée dans sa préparation. « Je n’ai jamais ? » Je propose enjouée ! « Et tu peux même commencer si tu veux ! » On fera une pause lorsque l’on aura trop abusé de la bouteille pour un autre jeu, histoire de ne pas finir ivres mortes trop tôt.

Je crois avoir trouvé une version de moi moins âgée, Khadija me rappelle en quelque sorte ce que j’étais quinze ans en arrière, plus exubérante, encore moins intéressée par le regard des autres, folle, motivée, joyeuse. Je suis toujours comme cela, j’ai peut-être juste plus conscience du temps qui passe, je suis moins insouciante et je le regrette. J’aimerais vraiment pouvoir revenir à cette époque où je pouvais me moquer des tuiles qui me tombaient sur le nez, où je pouvais être un petit peu égoïste et vivre pour moi et moi seule. Je suis mère et je ne peux plus uniquement penser à ma gueule, à chaque fois je dois prendre en compte mon fils et ce qu’il pensera de ce que je fais. J’ai arrêté de prendre d’énormes risques à sa naissance, j’ai toujours aimé tout remettre en question dans ma vie pour me trouver de nouveaux défis mais ce n’est pas ainsi que l’on peut garantir à son enfant un foyer et une situation suffisamment stable pour une enfance digne de ce nom. Je ne regrette rien avec le recul, j’aurais peut-être fait certaines choses différemment mais je préfère ne pas y penser, le passé est le passé, je préfère regarder en avant plutôt qu’en arrière. La petite s’en sort plutôt pas mal, elle me surprend même avec ces mouvements que je pensais lui avoir appris dans le vide. Il reste un petit peu de travail pour qu’elle puisse rebondir et se renouveler mais je salue l’effort, elle a du mérite. « Je te filerais quelques pas supplémentaires pour briller encore plus, tu mettras tout le monde à tes pieds en boite ! » Manquerait plus que je lui apprenne une petite figure facile à reproduire et elle sera la reine du dancefloor. Place à la soirée alcoolisée maintenant. « Le principe, c’est que tu proposes une expérience, une activité, quelque chose qui, en principe ne t’es jamais arrivé et l’autre doit boire s’il l’a déjà fait. » Je marque une pause, l’observe pendant qu’elle prépare notre cocktail et reprend, l’air mutin. « On peut s’autoriser à parler de trucs qui nous sont déjà arrivés aussi, à mon âge il n’y a pas grand-chose que je n’ai jamais fait, je risque d’être à court d’idées trop rapidement sinon ! » La jeune femme aux sublimes yeux perçants termine la préparation de son cocktail et nous le verse dans deux verres qu’elle sublime d’une paille. « A la tienne ! » Il faudra attendre d’avoir une occasion pour boire, difficile, son cocktail me donne envie. « D’accord, je bois ! » J’ai déjà accouché et ce fut douloureux d’ailleurs, j’en garde un excellent souvenir malgré tout… Probablement le plus beau jour de ma vie ! Non… Le plus beau jour de ma vie c’est lorsque ce fils que j’ai mis au monde a prononcé le mot maman pour la première fois. Je glisse la paille entre mes lèvres et aspire le liquide. « C’est super bon, quel est ton secret ? » J’adore, frais, sucré juste ce qu’il faut, un petit zeste d’acidité avec le citron, parfait quoi ! « Je n’ai jamais… Fait l'amour avec deux personnes en même temps. » Je lance, l'air de rien, le plus innocemment du monde avec ce sourire mutin qui ne me quitte pas une seule seconde.

Je m’avance peut-être un petit peu lorsque je déclare ne pas avoir fait très peu de choses, je suppose qu’il me reste des tonnes de petits trucs à expérimenter mais j’ai malgré tout déjà bien vécu. Le pire dans tout cela c’est que je ne peux pas me servir de l’adolescence pour justifier le tout, j’ai vécu la plupart de mes petites expériences anecdotiques après la naissance de mon fils et ma séparation houleuse de son enfoiré de père. Je n’avais jamais connu que lui et j’ai eu envie de voir autre chose, d’insuffler un grain de folie à mon quotidien, ça a duré quelques années, avec le recul je me demande comment j’ai fait pour allier mon rythme de vie et l’éducation de mon fils. J’ai su être présente, ne rien louper tout en travaillant et profitant de ma jeunesse retrouvée après ma séparation. En participant à cette émission j’espère aussi prouver qu’avoir quarante ans ne signifie pas que nous sommes périmés, aussi bien professionnellement qu’au quotidien. J’inaugure le jeu et prend une première gorgée de mon verre, heureuse de parler de ma vie, de mon enfant, de ce qui me rend heureuse. « Un fils, il ne doit pas être loin de ton âge, tu as quel âge ? » Le cocktail est génial, vite une nouvelle question que je puisse boire à nouveau. « Lawrence est un génie alors ! » Je commente, avec une petite touche d’ironie malicieuse. « Non, tu ne peux pas boire ! » Je surenchéri, sur ma lancée. Elle me retourne la question et je me contente de sourire un moment, coquine. « Je ne suis pas censée répondre à la question… » Mes lèvres s’étirent davantage encore et laissent apparaitre mes dents. « Bon d’accord… Je n’ai pas été jusqu’au bout mais nous étions à deux doigts de le faire avec une amie et un garçon rencontré un soir. La faute à l’alcool… Le truc c’est que ça ne m’attire pas plus que cela, je ne fantasme pas là-dessus ! » Je l’aurais déjà fait sinon, j’aime réaliser mes fantasmes, je suis toujours parvenue à mes fins lorsque j’avais quelque chose en tête, envie de tenter une nouvelle expérience qu’elle soit sexuelle ou non d’ailleurs.

Je demande son âge à Khadija que je situerais dans la deuxième partie de la vingtaine, avec toute la vie devant elle. Je ne me trompe pas, elle a vingt-huit ans. « Tu fais plus jeune, je t’aurais donné vingt-cinq ou vingt-six ! » Tant mieux, les jeunes s’obstinent à vouloir paraitre plus vieux alors qu’avoir l’air jeune c’est aussi bien. « Mon fils à vingt-quatre ans ! » Je poursuis, il est donc un petit peu plus jeune qu’elle, je trouve qu’il aurait tendance à faire plus vieux cela dit, c’est le cas depuis son adolescence et il m’en a fait baver à cause de cela. Combien de fois est-il parvenu à acheter de l’alcool en secret parce que les magasins ne lui demandaient pas sa carte d’identité ? Il m’en a fait voir de toutes les couleurs. « Il n’est pas trop branché télé-réalité mais il m’a promis de regarder, il est super fier que sa mère passe à la télé tous les jours ! » Il doit bien me reconnaitre d’ailleurs, toujours joyeuse et capable de me mettre à gueuler en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Il en a plus conscience que les candidats mais lorsque je rouspète cela peut également être un signe d’affection étrange. « Les mecs en particulier, ils sont nombreux à fantasmer là-dessus, avec deux filles lesbiennes ! » Par contre n’allez pas leur parler d’un plan à trois avec deux mecs, oh non, il ne faut pas trop leur en demander non plus. Nouvelle question, nouvelle occasion de boire, je porte la paille à mes lèvres et aspire une énorme gorgée. « C’est arrivé plusieurs fois… Et toi coquine ? » Je confie avec un petit rire mutin en me permettant de retourner la question. « Je n’ai jamais… Je n’ai jamais chauffé un mec pour rendre jaloux le garçon qui m’intéressait véritablement ! »