Si le prime de la veille s'était terminé sur une note positive pour l'indien, qui non seulement avait réintégré l'aventure mais avait aussi appris qu'il formerait dorénavant un binôme avec Lawrence, il y avait un détail qui toutefois lui avait miné le moral durant une bonne partie de la soirée. L'absence d'une personne qu'il aurait aimé avoir auprès de lui, un soir comme celui-ci. Khadija avait raté le prime, et ça l'avait amené à craindre qu'elle ait pu prendre la même décision que Lino avant elle, et choisir de le rejoindre, parce qu'il savait que l'abandon de l'italien lui avait fait beaucoup de peine et qu'il ne l'avait pas croisée autant qu'il l'aurait voulu, la semaine passée. Heureusement, ses craintes s'étaient envolées lorsqu'il avait appris de la bouche d'un de leurs camarades que la jeune femme avait simplement préféré rester dans sa chambre, tandis qu'il s'était mis en tête de la trouver une fois qu'il serait debout, pour s'enquérir précisément de son état. C'est alors ce qu'il ne tarda pas à faire, lorsque plusieurs heures après son réveil il avait commencé à arpenter le nid à la recherche de la brune. Celle-ci resta cependant introuvable un bon moment, avant qu'il ne revienne finalement sur ses pas et l'aperçoive au sein du patio, devant lequel il était pourtant passé quelques instants plus tôt sans y noter la moindre présence. Un fin sourire accroché à ses lèvres, il se rapprocha alors de la chaise sur laquelle elle était assise. « Je t'ai cherchée partout. » Ses lèvres soufflèrent avec tendresse, tandis qu'il se pencha légèrement pour venir déposer un baiser sur son front, un geste des plus naturels avec Khadija mais qui ici témoignait surtout de l'inquiétude qui avait pu l'envahir, hier soir. « Est-ce que tout va bien ? » Il la questionna d'ailleurs, pensant qu'elle accepterait de lui confier les raisons de son absence au prime, tandis qu'il gardait ses mains liées derrière son dos depuis qu'il était entré. C'est alors après quelques instants qu'il en sortit une statuette, ou plutôt un award, gravé au nom de la jeune femme. « Je voulais le déposer dans ta chambre cette nuit, mais j'étais tellement épuisé que je l'ai laissé avec les miens. C'est … l'award de la candidate la plus sexy. » Un sourire à la fois amusé et gêné gagna ses lèvres tandis qu'il formula ces mots, parce que ça l'embarrassait quelques peu d'associer ce terme à la brune, qui était un peu comme une sœur pour lui. Finalement, sa mine s'attrista légèrement lorsqu'il lui revint à l'esprit un autre award, qu'elle n'avait pas gagné certes, mais où il avait cru voir apparaître son nom. « Khadija. » Il reprit alors, d'un ton presque suppliant, tandis qu'il finit par s’asseoir en face d'elle. « Pourquoi est-ce que certains ici s'imaginent que Lawrence et toi, vous … » Il déglutit, fébrile, avant d'inspirer péniblement. « Pourquoi est-ce qu'ils pensent qu'il pourrait y avoir quelque chose ? » Quelque chose qui justifierait le fait qu'ils aient été associés, dans le cadre d'un award qui pourtant ne lui semblait pas rendre compte de la relation qui les unissait, ni de l'affection qu'ils se portaient sans doute, contrairement à celle que l’indien portait à l'américain, par exemple. « Vous n'êtes pas … proches, si ? » « Proches » au point que leur relation en fasse douter certains, ou laisse place à une certaine ambiguïté. Non, il ne lui semblait pas qu'ils soient particulièrement fusionnels, mais ça n'était pas la seule raison à son incompréhension. Il y avait aussi et surtout Lino, qui à ses yeux était le seul homme à qui on pouvait décemment associer Khadija. Et lui, dont elle connaissait les sentiments pour Lawrence. « Et toi, tu ... tu semblais contente pour moi, la semaine passée. » Il reprit d'ailleurs, d'un ton un peu plus hésitant, peut être parce qu'il n'était plus vraiment sûr de rien. Khadija s'était réjouit du fait qu'il soit épris de Lawrence, et l'avait même incité à croire qu'il pouvait avoir ses chances avec lui. Mais puisqu'il n'aurait jamais pensé qu'ils seraient associés, est-ce qu'il ne s'était pas mépris sur le reste ? S'il y avait bien une chose dont il ne doutait plus depuis vendredi dernier, depuis le moment qu'il avait passé avec Lloyd-Snö, c'était de ne pas être à l'abri d'une erreur de jugement.

C’est ce que faisait Lino : prendre un livre, et aller s’asseoir sur ce banc en bois, dans le patio fleurit, là où entre les arbres pouvaient passer les rayons d’un soleil d’hiver inattendu. C’était peut-être pour cela que beaucoup d’Irlandais étaient roux, avec des tâches de son sur leur peau blanche : ils vivaient sous un dôme de verdure, entrecoupé de petites ouvertures vertes dans lesquelles se glissaient parfois un chaud soleil. Eparpillé en gouttes d’or sur leurs visages blancs de lait, ils formaient de petites tâches brunes là où ils pouvaient se poser, ce qui avait donné naissance aux « taches de rousseur », en vérité, « taches de soleil » aurait été plus approprié. Khadija avait puisé ses origines dans le désert, où rien, pas même le sable cramant la voute plantaire, ne pouvait protéger la peau du soleil. Elle a emprunté un livre dans la bibliothèque, elle a pris un nom italien, comme Lino. Alessandro Baricco. Un petit Folio mauve, pas dur à lire, si peu de pages. Elle s’est assise à sa place, comme s’il était encore là, avec son calme et sa présence apaisante, envoûtante, et elle poursuit sa lecture à lui, a l’impression de poursuivre un peu l’aventure de Lino dans le jeu. Il sourira tendrement s’il la voit, assise à sa place, l’imiter. Une personne s’approche du banc, elle entend ses pas crisser contre les gravillons du patio, et apparaît le seul et unique être qui pourrait ne pas la déranger dans cet instant de recueillement. Elle accueille le baiser de Naveen sur son front dans un ronronnement de plaisir, repliant son livre dont elle garde la page de son index. — Désolée, répond-t-elle en lui jetant un regard de chat coupable. C’est vrai qu’elle a pris la fuite sans rien dire à personne, ce matin. L’inquiétude de Veen est sans doute liée à son absence pendant le prime. Elle sourit et désigne son nez. — C’était ce rhume, j’avais trop peur qu’il dégénère et m’oblige à rester au lit pendant des jours… J’ai passé tout le prime sous la couette, avec du miel sur la table de chevet… Soirée nulle, les yeux vitreux collés sur l’écran de son iPad pour suivre le prime sans pouvoir y participer… — J’ai quand même pu vous regarder, ajoute-t-elle dans un sourire en faisant allusion aux iPads reliés aux caméras du prime afin que les malades du nid puissent tout de même assister à l’essentiel. Elle remarque alors que Veen lui cache ses mains. Les sourcils froncés, elle n’a pas le temps de demander ce qu’il a derrière lui qu’il lui sort… — Oula… Elle se met à rire, face à l’absurdité de la situation. Son rire s’évanouit cependant quand elle entend les craintes de Naveen au sujet d’elle-même et de Lawrence. Pourquoi ont-ils étaient associés ensemble parmi les couples envisagés par le public ? Elle soupire, son regard vert se posant sur celui, chaud et caramel, de l’Indien. — Le candidat le plus sexy avec la candidate la plus sexy, annonce-t-elle avec une pointe d’ironie. — Un peu comme les gens aiment voir Barbie et Ken côtes à côtes. Elle sourit faiblement. Naveen lui demande si elle et Lawrence sont « proches », la peur perçant dans sa question – la suite lui donne raison. Naveen semble prêt à la voir comme une rivale. Elle soupire de nouveau et, d’une main, caresse la joue de son ami et alter égo. — Et si tu cessais d’avoir peur de tous ceux qui s’approchent de lui ? Elle demande à voix si basse que personne d’autre ne peut les entendre. — Ce n’est pas en plaçant des barrières portant ton prénom tout autour de lui qu’il finira par être à toi, dit-elle avec sagesse tout en songeant aux personnes qui pourraient être intéressées par Lawrence, comme Jade, dont il est proche, ou mieux, Enola, que Lawrence a lui-même citée comme la plus apte à sortir avec lui. — J’ai réfléchi à notre discussion de la dernière fois. Je voulais prendre le temps de te répondre. Au sujet de la façon de s’y prendre avec Lawrence. Elle adresse à Naveen un sourire plein d’une joyeuse tendresse. — Je te trouve parfait. Pas de rentre-dedans, beaucoup de pudeur, tout en ne cachant pas tes sentiments… Je pense que c’est comme ça qu’il faut être avec Lawrence : simplement toi-même. Tu es incapable de te retenir de lui signifier tout ce qu’il représente pour toi, de lui avouer ce que tu attends de vous deux… mais tu es toujours réservé, tu lui laisses toujours la possibilité de décider si oui ou non il viendra vers toi. Elle pense que rien n’est meilleur que cela pour Lawrence. Qu’on lui montre le chemin, sans pour autant l’y amener en le trainant par le bras. — Il sait, Naveen, murmure-t-elle en clignant doucement des yeux. — Je suis sûre qu’il y pense. Laisse faire les choses, laisse-le venir, et n’empêche pas les autres de venir à lui. Sinon, Lawrence se sentira enfermé et il pourrait se rétracter. Jusqu’ici, Naveen a toujours été le symbole de deux bras grands ouverts. L’amour ne doit pas le renfermer, le rendre méfiant, amer. La jalousie est une maladie capable de nous rendre esclaves de nous-même, bien plus que des autres.

Ce n'était pas une question de confiance, parce que Naveen se fiait entièrement à Khadija et qu'il savait qu'elle le préviendrait d'une façon ou d'une autre si elle ne se sentait plus la force de continuer au sein du jeu, soit parce que l'absence de Lino s'y ferait trop pesante, soit parce qu'elle aurait fini par y tourner en rond, suite à ce qu'elle lui avait confié quelques jours plus tôt. Simplement, l'indien s'était inquiété de ne pas la voir sur le prime parce qu'il aurait pu s'agir de sa dernière soirée et qu'il aurait pu être privé de l'occasion de lui dire au revoir, dans l'hypothèse où il lui aurait fallu quitter le nid dans une certaine précipitation. Alors la retrouver dans la patio, en ce milieu de matinée, ça tendait à le rassurer et à réchauffer son cœur, bien que l'idée qu'elle soit effectivement malade – comme il l'avait entendu dire de la bouche d'un de ses camarades de chambre – soit plutôt déplaisante. « Je crois que c'est à cause des bains que tu prends, qu'à force tu as fini par attraper froid. » Il souffla alors avec tendresse, et sur un ton évidemment amusé, en référence à leur tout premier échange, dans la baignoire. « Mais si tu veux mon avis, c'est surtout un coup du destin qui te punit d'en avoir profité sans moi. » Là encore, il usait de ce même ton légèrement malicieux que Khadija commençait à connaître. La jeune femme disait d'ailleurs avoir tout de même pu suivre le prime depuis son lit, et c'est ainsi qu'il fut tenté de lui poser une question qui lui tenait à cœur. « Tu as vu ma tenue ? Est-ce que … tu l'as reconnue ? » Elle n'avait peut être pas particulièrement fait attention à la tenue qu'il portait hier soir – bien qu'elle ait changé des sherwanis dont il s'habillait généralement – mais dans la mesure où il s'agissait d'un des costumes de Lino, il se demandait si elle n'avait pas fait le lien. Finissant en tout par lui donner l'award qui lui revenait, il esquissa un sourire à nouveau amusé face à la réaction de la brune, avant d'évoquer un sujet un peu moins réjouissant. Il ne lui faisait aucun reproche, tout comme il n'insinuait rien dans le fond, mais il aimerait comprendre pourquoi certains semblaient penser que Khadija et Lawrence pourraient vivre quelque chose, tous les deux, quand lui n'avait pas noté de rapprochement particulier, et alors qu'elle était éprise de Lino, ou sur le point de l'être. La jeune femme avança une théorie qui lui valut de se pincer les lèvres, plutôt convaincu, avant que la suite ne lui fasse doucement froncer les sourcils. « Des barrières ? » Il releva d'une voix teintée d'incompréhension, avant d'ajouter. « Tu m'en crois vraiment capable, Khadija ? » De placer des barrières autour de Lawrence, de se l'approprier sous prétexte qu'il avait développé des sentiments pour lui. Donnait-il l'impression d'être quelqu'un de possessif ? « Tu te rends compte de ce qu'il va penser de moi s'il t'entend dire ce genre de choses ? » Si cet échange était diffusé, peut être Lawrence ne partagerait-il pas le point de vue de la brune, mais sans doute serait-il tout de même perturbé par ce qu'elle laissait entendre. L'indien, pourtant, n'estimait pas être quelqu'un d'entreprenant. Ce n'était pas dans sa personnalité, ce n'était pas la personne qu'il était, et encore moins celle qu'il avait envie d'être. Khadija reprit la parole et cette fois son sourire s'adoucit légèrement, parce que ces propos-là étaient tout de suite plus agréables. « Parce qu'il n'est pas comme moi. » Il reprit, dans un souffle, comme pour expliquer le fait qu'il livre ses sentiments sans pour autant vouloir aller trop vite, dire ou faire des choses précipitées. « Il n'a pas l'habitude de livrer ce qu'il a sur le cœur, ni d'entendre quelqu'un lui témoigner sa tendresse, son affection … son amour. » Parce qu'il savait depuis le départ que Lawrence avait longtemps manqué d'affection, et qu'il n'était lui-même pas forcément le mieux placé pour en donner, à part à Rosie, assurément. « J'ai envie de lui donner ce dont il a toujours manqué, mais je ne veux pas le déstabiliser. » Il voulait se montrer tendre, attentionné et même quelques peu romantique à l'égard de Lawrence, mais lui qui n'avait jamais tellement connu ce genre de choses risquerait d'être perturbé s'il lui donnait trop de choses d'un seul coup. Il voyait bien combien les étreintes, par exemple, n'étaient encore pas totalement naturelles pour l'américain. Par la suite, l'indien baissa doucement la tête, à nouveau légèrement ébranlé par la façon dont Khadija semblait avoir interprété ses questions, tout à l'heure. « Je n'empêche personne de venir à lui, Khadija. Je n'ai pas ce pouvoir sur qui que ce soit, et je ne veux pas l'avoir. » Parce qu'il aimait rapprocher les gens, et pas les éloigner. Parce que là étaient ses convictions, ses envies et sa plus grande aspiration dans la vie. « Je sais que Lawrence est apprécié ici, qu'il doit plaire aussi … Et je serais content pour lui qu'il soit un jour plus entouré qu'il ne l'est. » S'il y avait bien quelqu'un qui s'en réjouirait sincèrement, c'était l'indien. Il avait dit à Lawrence qu'il déplorait le fait qu'il soit si seul, et c'était vrai. « Il ne veut pas faire sa vie avec quelqu'un, il ne le veut plus. C'est lui qui ne veut pas laisser les autres venir à lui, parce qu'il a ses raisons. » On pouvait lui reprocher d'aimer Lawrence d'une façon déraisonnable, sans doute, mais certainement pas de vouloir le garder pour lui. L'américain était échaudé, sans doute l'indien était-il l'un des seuls à avoir tenté de comprendre pourquoi, alors c'était injuste d'insinuer qu'il puisse vouloir le priver d'autres compagnies que la sienne. « Ce que je lui propose, moi, c'est autre chose qu'une idylle dont il n'a probablement pas envie et en laquelle il ne croirait pas. Ce que je lui propose, c'est … c'est d'être l'un auprès de l'autre, demain comme dans dix ans. De se faire découvrir nos mondes, et tout ceux qui compte pour nous. Sa fille, ma famille. » Pour Lawrence, il n'aurait pas honte de dire la vérité à sa mère, et à son père s'il le sentait capable de se retenir. Parce qu'il voulait le faire entrer dans son existence, et lui faire rencontrer les personnes qui lui donnaient un sens, comme lui le faisait. « Et de se faire une place chaque jour un peu plus importante dans nos vies, jusqu'à ce que peut être un jour il … il finisse par m'aimer. » Peut être jamais avec la même force que lui, peut être seulement à sa façon, avec la pudeur qui le caractérisait. Mais il aimait penser qu'un jour Lawrence pourrait développer pour lui cette affection si particulière, qui ne dépendait d'aucun désir. « On ne partagerait peut être pas la même relation que celle que Lino et toi partagerez sans doute, mais … c'est déjà bien, tu ne trouves pas ? » Il chercha dans le regard de Khadija une réponse favorable, bien sûr, parce qu'il aimerait qu'elle lui dise qu'il n'était pas complètement insensé de vouloir partager ce genre de choses avec Lawrence, pour ne pas avoir à faire sa vie loin de lui. De se priver d'un mariage, de ses propres enfants, et de tout ce qu'il connaîtrait peut être s'il n'était pas certain de ne trouver le bonheur qu'auprès de lui.

Elle rit, encore légèrement enrhumée, à l’allusion des bains. — A quand notre prochain ? Elle demande, le regard souriant et tendre posé sur lui. Cela ne lui ferait pas de mal, tiens, un bon bain bien chaud, parfumé, aux effluves de rose et de fleur d’oranger… Il paraît que la chaleur et la buée font du bien aux rhumes… Elle n’a pas trop l’habitude d’être enrhumée, et quand elle a le nez qui coule, pas question de se priver de surf, elle se mouche directement dans l’eau. Eh oui, le sportif n’est pas des plus distingués quand il ou elle pratique sa passion. Lorsque Naveen lui parle de sa tenue, Khadija se redresse, comme électrifiée, sa main se posant sur l’avant-bras de son ami. — C’est bien ça, c’est ce que j’ai cru ?... Le… Le costume de Lino ? Elle a hésité, puis s’est traitée de folle. Pourquoi Lino aurait-il laissé des fringues ici, ma pauvre fille, on n’est pas das un dessin animé. Et pourtant, elle trouve l’approbation dans le regard de Naveen. C’était bien ça, Lino réincarné en Veen pendant ce prime… Elle sourit, heureuse. — Il a du être heureux, s’il a regardé… Mais même de cela, elle n’est pas sûre… Lino leur a laissé à tous un petit mot d’adieu sur leur Twitter de candidats… Jade, Scarlett, Veen, elle… C’était gentil mais impersonnel, c’était… déroutant. Il semblait lui dire qu’ils se reverraient… Lui demandait de trouver la patience de l’attendre… Khadija n’avait pas l’habitude de reporter, de ne pas vivre les choses à l’instant présent. Du mal à se projeter, sans aucun doute. Comment pouvait-elle aimer à distance un homme qu’elle connaissait à peine ? Naveen, cet ange au grand cœur, semblé persuadé qu’une histoire d’amour allait naitre entre elle et Lino. Elle ne voulait pas contrarier son regard si plein d’espoir, mais… Elle ne s’y sentait pas vraiment, dans cette relation. Lino avait déserté quand elle avait commencé à voir le jour. Un nourrisson, lorsque personne ne s’en occupe, meurt. Naveen est effaré, blessé par la mise en garde de Khadija. Elle sourit, attendrie par l’Indien, l’apaisant en pressant avec douceur son poignet dans sa main. — Inconsciemment, tu pourrais. Parce que tu ne sais pas si le cœur de Lawrence bat pour toi, tu as… peur ? C’est très compréhensible. Mais le cœur de Lawrence, s’il bat pour quelqu’un, c’est sûrement pour Veen. Comment lui résister, quand il décide qu’il vous aime, avec ses grands yeux ambrés, son sourire adorable, son cœur sur la main ? Lawrence se laisse apprivoiser par lui, mais tarde à lui rendre ses sentiments. Naveen a peur que quelqu’un d’autre prenne sa place – peur non fondée mais l’amour ne suit pas de logique. Aussi, il interroge, il décourage, il le fait sans doute inconsciemment, dicté par les besoins impérieux de l’amour, par des besoins de survie, mais il le fait. Khadija aime la présence de Lawrence, papoter avec lui, se moquer gentiment de lui, tant pis si ça fait jaser, elle ne s’éloignera pas. Naveen panique à l’idée que Lawrence entende leur conversation. Elle rit doucement. — Il sera flatté, et aura une preuve de plus s’il en fallait de ton désir d’être celui seul qui saura le rendre heureux en couple ? Elle plaisante à moitié. A la place de Lawrence, elle serait évidemment très heureuse qu’une telle dévotion lui soit destinée, c’est incroyablement touchant. Comme tout amoureux, Naveen a besoin de parler aux autres de son amour. Elle l’écoute au sujet de Lawrence, hochant la tête face à la pertinence des remarques de Veen. — On dirait que tu l’as mieux compris que nous tous, remarque-t-elle avec admiration et douceur. Et puis, vient le moment de l’aveux, celui où Naveen dessine le futur de ses rêves. Un futur dans lequel Lawrence est inclus. Un temps long, une amitié tendre et sincère devenant amour avec l’habitude. Elle sourit et ferme les yeux en l’entendant comparer son amour au sien avec Lino. Elle ne le contredira pas pour ne pas lui faire de peine, et puis, elle n’a pas envie qu’ils parlent d’elle. Ses iris verts se reposent sur les pupilles de Naveen. — C’est en tout cas un merveilleux projet, souffle-t-elle à voix basse dans un nouveau sourire, avant de froncer légèrement ses sourcils. — Mais, Veen, est-ce que tu n’as pas besoin, toi, d’être aimé ? De tendresse, d’attentions ? Inquiète du devenir de Veen si jamais il passait des années de sa vie auprès d’un Lawrence blessé, comme une infirmière veillant sur un soldat revenu de la guerre, elle caresse sa joue du bout de ses doigts. — Tu es prompt à donner, mais tu mérites tant de recevoir… Elle l’a su dès le premier instant, que Veen est un homme auquel on doit donner. C’est pour cela qu’elle lui a donné son premier baiser, un vrai baiser tendre. — Si Lawrence hésite à te dire oui, c’est peut-être… parce qu’il craint de ne pas savoir te donner ce que tu mérites de recevoir. Et non pas parce qu’il hésite à prendre ce que Naveen lui donne – tout le monde le prendrait. A condition de savoir rendre.

Un bain, même s'il s'éternisait, pourrait difficilement valoir à Khadija de se retrouver aussi mal en point. Pour autant, l'indien se plaisait à faire référence à leur premier échange, celui qui lui semblait si loin et si proche à la fois, parce que bien des choses étaient nées, ce jour-là, dans l'eau qu'ils avaient partagé. A sa question, en tout cas, il esquissa un sourire des plus tendres. « Le plus tôt sera le mieux, qu'en penses-tu ? » Les choses étaient différentes aujourd'hui, il était probable qu'il soit un peu moins mal à l'aise à l'idée de partager un bain avec elle, et si ça pouvait leur rappeler quelques bons souvenirs, sans doute serait-ce encore plus agréable. Le fait que Khadija ait toutefois suivi le prime lui valut bientôt de lui poser une question qui lui tenait à cœur, au sujet de sa tenue, que peut être elle avait reconnue Et il semblerait que ce soit le cas, justement, et tandis qu'elle formula le nom de Lino, il sentit son cœur se serrer légèrement. « Oui, c'est ce qu'il avait laissé pour moi avant de ... enfin, je crois qu'il savait que ça me ferait plaisir. » Ses lèvres s'étendirent en un sourire un peu plus mélancolique, tandis qu'il repensa à la toute première fois où il avait porté des affaires appartenant à l'italien. Pendant la soirée de Noël, plusieurs semaines auparavant. « Pourtant, je ne suis pas sûr de lui avoir fait honneur en le portant. Parce que je n'ai pas son élégance naturelle, et puis … ça devait rendre bizarrement sur moi. » Ce n'était plus vraiment un secret qu'il manquait un peu de confiance en lui et peinait à se convaincre qu'il pourrait égaler le charisme de certains de ses camarades, même dans un costume de marque. Mais il aimait penser, oui, que Lino avait été heureux de le voir dans ce costume, et qu'il lui en toucherait un mot la prochaine fois qu'ils se verraient. L'indien, en tout cas, sentit une certaine fébrilité l'envahir lorsqu'il eut bientôt l'impression de se voir destiner des reproches. Peut être n'était-il pas question de ça, pour autant Khadija avançait des choses qui le déstabilisaient, car aussi surpris ait-il été dimanche soir, il ne comprenait pas cette histoire de « barrières » et le fait que Khadija semble le voir comme quelqu'un de possessif. Lui avait-il parlé de sa famille, de son rapport avec les gens ? Il lui semblait pourtant que oui. « Je crois que j'ai peur d'être déçu. » Il se contenta d'abord de souffler, d'un ton empreint de tristesse, parce qu'il admettait sans mal que la notion de « déception » était particulière pour lui, depuis quelques jours. « C'est nouveau, pour moi, d'être épris de quelqu'un. C'est différent de l'amour que j'ai toujours porté autour de moi, à mes proches ou à mes amis … Et l'inconnu, ça effraie toujours un petit peu, non ? » C'était la première fois qu'il était envahi de sentiments amoureux, alors il ne pourrait pas prétendre qu'il ne lui arrivait jamais de se demander si c'était si sain que ça, d'expérimenter tout ça, aujourd'hui, alors qu'il était si loin de tout. « Mais jamais je ne chercherais à isoler Lawrence des personnes qui pourraient lui vouloir du bien, de ceux qui comme moi auraient envie de lui apporter une part de bonheur. » Que Lawrence ait des personnes sur qui compter, c'était une idée qui n'avait aucune raison de lui déplaire, parce qu'il serait le premier à dire à qui veut bien l'entendre qu'il méritait d'être apprécié à sa juste valeur. « J'aide des couples à se former, je célèbre des unions. C'est ce que je fais de ma vie, et c'est une vocation. De répandre un peu d'amour dans un pays où priment encore de sordides traditions, d'aider des âmes sœurs à se trouver, des êtres à se réunir. » C'était ce qu'il faisait depuis des mois, et ce n'était pas un gagne-pain pour lui. C'était une chose en laquelle il croyait, qui suivait son éducation, ses principes, ses valeurs. « Aucune peur, aussi grande soit-elle, ne m'incitera jamais à séparer qui que ce soit. » Et que Khadija semble en douter, c'était déstabilisant parce qu'il lui semblait que s'il y avait bien quelqu'un susceptible de le comprendre, pourtant, c'était elle. « Il sait ce qu'il y a à savoir. » Il reprit en tout cas, par la suite, dans un haussement d'épaules un peu mélancolique. Il ne savait pas quoi lui dire de plus, il avait à nouveau une impression un peu dérangeante, celle que Khadija lui prêtait plus ou moins consciemment une prétention qu'il n'estimait pas avoir. Et ce qui importait finalement c'était que Lawrence ne se méprenne pas, lui, dans l'hypothèse où cet échange serait un jour diffusé. A ses prochaines paroles, l'indien se pinça les lèvres et inclina la tête, légèrement. « Tu dois penser qu'il n'y a pas plus différents que Lawrence et moi, mais il y a des points sur lesquels nous sommes semblables, pourtant, des points qui sans doute nous ont inconsciemment rapprochés. » Des points qu'il pourrait plus ou moins librement évoquer, s'il en ressentait l'envie. Dans l'immédiat, il aimait mieux poursuivre. « Je sais depuis le premier jour qu'il y a beaucoup à comprendre, chez lui. Alors j'ai pris le temps de le cerner, de l'apprivoiser, c'est vrai. » Il l'avait fait, chaque semaine, chaque fois qu'ils s'étaient retrouvés tous les deux. Dans la salle de détente, dans le bus, dans la chambre … Comprendre Lawrence était une envie autant qu'un besoin depuis le départ, car c'était en comprenant les gens qu'il s'y attachait profondément. « J'ai choisi de croire qu'il était beaucoup plus que ce qu'il a peut être montré de lui, à certains, au départ. Et je ne l'ai jamais regretté. » Parce qu'aujourd'hui, il pouvait affirmer avec certitude que Lawrence était un être humain exceptionnel, un homme profondément attachant et qui gagnait à être connu, apprécié, chéri. Et il espérait ne pas être le seul à l'avoir noté, que beaucoup d'autres aient choisi de lui laisser sa chance. Finissant en tout cas par évoquer du bout des lèvres ce qui à ses yeux représenterait la vie rêvée, auprès de Lawrence, c'est pour le coup une expression beaucoup plus tendre qu'il afficha au commentaire de Khadija. Et pourtant, bientôt, son sourire s'atténua à nouveau. « Lawrence sait être affectueux. Il sait « donner » aux autres, c'est simplement un peu moins naturel pour quelqu'un comme lui que pour quelqu'un comme moi. » Il souffla, les yeux brillants, pas pour lui donner tort mais parce que c'était un point qui à ses yeux avait une véritable importance. « J'ai vécu entouré d'amour, dans une famille nombreuse où les liens ont toujours été extrêmement forts. Lui, il ne s'est pas vu porter la même affection, alors il n'a pas nécessairement appris à en donner de la même manière. » Mais ce n'était pas dramatique, ni ça ni le fait qu'il peine à accorder sa confiance parce que sa vie sentimentale avait été jonchée d'échecs, selon ses propres dires. C'était des détails, des choses qui n'avaient pas à influer sur le moment présent. « Mais il sait être tendre, attentif, concerné. Certaines choses le gênent peut être encore, mais il a tout le temps d'apprendre à se livrer, à prouver plus facilement son affection. » Du temps, ils n'en auraient que trop. Et il ne voulait pas que Lawrence se métamorphose du jour au lendemain, mais qu'il évolue progressivement vers quelqu'un d'un peu plus épanoui. « Tu sais comment il parle de sa fille, quel père il doit être pour elle. » Quelle émotion se dégageait de lui quand il parlait de Rosie, de cette enfant qui sans doute était la seule personne à qui il destine naturellement de l'affection. C'était la preuve qu'il savait en donner, non ? « Quel que soit ce qu'il finit par ressentir pour moi, je sais que je ne serai pas malheureux, parce que ce qu'il saura me donner me suffira. » Il l'avait dit à Lawrence, ses attentes n'étaient pas démesurées les concernant. Il voulait simplement compter pour lui, et prendre un peu plus de place dans son cœur au fil du temps. Lawrence lui donnerait de l'affection, il le savait. Il le faisait déjà.

Elle se retient de glousser comme une abrutie, heureuse, au fond d’elle, que Naveen ne décide pas de passer moins de temps à ses côtés, même si son cœur est bien occupé ces temps-ci, et on comprend pourquoi. Lawrence est un homme dur à décrypter mais passionnant, Naveen est celui, ici, qui y met le plus de cœur, sans doute parce qu’il y met aussi l’amour. Mais l’amour existe entre elle et lui, une autre forme d’amour. Elle aurait tort de craindre que Naveen la laisse de côté, son cœur est bien trop grand pour l’oublier. Elle sourit tendrement en l’écoutant parler du costume de Lino, effet de surprise qui a particulièrement bien réussi, songe-t-elle. Naveen était tout heureux de le porter pendant le prime. Elle se retient de lui dire qu’à elle, il n’a rien laissé. Elle refuse qu’ils parlent d’elle, trop occupée à rassurer Naveen au sujet de Lawrence. Et pourtant, Lino n’a rien laissé, pas même l’information de son départ pour lui éviter de tomber des nues pendant le prime. Il faut croire qu’entre eux, tout viendra après. Comme il le lui dit sur Twitter, elle comprendra plus tard, ils se retrouveront… C’est dur, pour une femme de l’instant, profondément présente, de devoir penser au futur. Elle rit devant les doutes esthétiques de Naveen, s’empressant de le détromper. — Alors là, tu es très loin de la vérité ! Ce costume te va très, très bien, c’est juste que tu n’as pas l’habitude, commente-t-elle en l’observant avec tendresse. — C’est plus classique pour nous, parce que c’est notre vêtement masculin élégant habituel, mais dedans, avec ta barbe, ta peau hâlée… tu étais magnifique, ta mère aurait adoré ! Elle espère que Naveen lui montrera des rediffusions de primes, à son retour, parce qu’il n’est pas certain qu’elle puisse suivre l’émission depuis là-bas. La main de Khadija presse avec émotion celle de Naveen, touchée par sa confession au sujet de sa peur. — Bien sûr que c’est normal, souffle-t-elle. — Et crois-moi, avoir aimé plusieurs fois n’empêche pas d’avoir toujours aussi peur quand on réalise qu’on aime à nouveau… Elle-même est effrayée, aujourd’hui encore, à l’idée de tomber amoureuse, alors qu’elle devrait être habituée, non ? Elle aussi, elle a peur pour Naveen. Parce qu’elle l’aime comme un frère, un fils, un tout. Un autre elle-même. Elle voudrait souffler à Lawrence d’être tendre, de ne jamais le blesser, même sans le faire exprès. Elle voudrait qu’il lui donne un baiser, bientôt, pour le rassurer. Mais elle refuse de s’en mêler, ne voulant pas interférer dans le cours naturel des choses entre les deux hommes. C’est vrai, la vocation de Naveen est de former des couples, de faire naitre de vraies histoires au milieu de mariages arrangés. Mais lui aussi a droit à l’amour. Khadija, depuis sa place, lui en a fait connaître une forme nouvelle, Lawrence une autre. Khadija, elle, n’a aucun doute qu’elle est et saura rester à jamais l’amie de Naveen. Elle comprend, cependant, que Lawrence puisse lui aussi avoir peur. Ce qui l’attend avec Naveen est différent de ce qui attend Naveen et Khadija dans le futur. Elle cligne ses yeux aux longs cils avec sagesse. — Je vous trouve différents, et je trouve que les différences se complètent merveilleusement. Elles s’équilibrent, s’apportent beaucoup. Tu es quelqu’un d’intelligent, c’est pour ça que tu tombes amoureux de personnes différentes de toi, et non de tes mêmes. Tomber amoureux de soi, ce serait être narcissique, tu ne penses pas ? C’est peut-être pour cela que Khadija et Naveen ne sont pas tombés amoureux. Parce qu’ils se ressemblent extraordinairement. Elle acquiesce à sa remarque au sujet de la profondeur de Lawrence. — C’est vrai, il y a un homme précieux à connaître derrière sa rudesse apparente, elle le sait pour avoir elle aussi essayé d’aller plus loin que ses premières impressions. Les confessions de Lawrence au sujet de sa fille ont été précieuses à Khadija pour se faire une idée positive de lui. — Mais son histoire est complexe. Il ne fait pas partie des personnes « simples », comme on en rencontre. Comme Jade, comme Enola, c’est une personne qui demande à être comprise. Avec lui, ça ne vient pas tout seul, ce n’est pas immédiat. Il faut du temps pour comprendre les êtres complexes. Khadija, elle, est assez transparente, on peut la cerner rapidement. Scarlett l’attire parce que, comme Lawrence, elle est un puzzle éparpillé. Les mots de Naveen au sujet de son amour, qu’il donne naturellement du fait de son éducation, la rassurent autant qu’ils peuvent l’inquiéter. Oui, Naveen sait donner, Lawrence aussi, sait donner, mais pour Lawrence, c’est plus difficile. Naveen aborde le sujet de Rosie, décrochant à Khadija un sourire. — Je sais à quel point il est déterminé à être un père pour elle, à s’en occuper. Ça prouve qu’il y a beaucoup d’amour en lui. Sans doute Naveen saura-t-il, avec le temps, avec sa tendresse à lui, redonner à Lawrence ses propres émotions amoureuses. Elle cligne des yeux en observant Naveen, se laissant doucement convaincre et rassurer par lui. — Tu me fais penser au Petit Prince, Naveen, murmure-t-elle. — Quand il décide d’apprivoiser le Renard, et que ce dernier lui annonce qu’il va falloir être patient. Que ça va prendre du temps. Et après tout, c’est une quête aussi légitime qu’une autre. Elle prend une longue inspiration, se sent mieux à ce sujet. Sa main presse de nouveau celle de Naveen, sentant sa douceur et sa petite chaleur couler dans ses propres veines. — De ce que je sais de Lawrence, il ne te fera jamais de mal volontaire, il te protègera toujours et ne fera rien qui te blesse. Un léger soupir traverse ses lèvres pourpres. — Mais j’aimerais tellement qu’il tombe amoureux de toi… Parce que Naveen est quelqu’un dont on peut, dont on doit tomber amoureux. C’est quelqu’un d’aimant, et d’aimable. Lawrence saura-t-il dépasser ses peurs et ses fantômes du passé pour s’autoriser à vivre avec Naveen l’histoire d’amour qu’ils méritent tous deux ?