@Salomée
J’aperçois Salomée qui s'étire sur son lit, tel un chaton prêt à bondir une fois qu'il sera réveillé. Je m'incruste dans la chambre parce que cela fait des semaines que de toutes façons plus personne ne respecte l'attribution des lits. Je m'attarde un instant au niveau de la porte avant d'entrer et de m'asseoir sur le coin de son lit. « Je déteste les nominations de cette semaine » je lui annonce avant de me poser sur son lit définitivement. C'est peut-être con, mais au moins j'avais besoin de le dire, de l'extérioriser, de le faire partager. La solution sera trop binaire; oui ou non. Il n'y a pas de troisième alternative possible, c'est bien trop étriqué pour que mon cerveau puisse s'en contenter sans protester, ou au moins ... essayer. C'est oppressant de savoir que l'une des deux va perdre sa place dans le jeu, ainsi que sa cagnotte fictive et surement la raison de leur venue ici. « Je pense que tu as plus besoin qu'elle de continuer le jeu » je lâche simplement alors que mes prunelles se confrontent sans violence aux siennes, sans ciller pendant une poignée de secondes. Je pense que Salomée a plus besoin que Scarlett de gagner sa cagnotte. Il n'y a pas son frère impliqué dans l'histoire ? Son petit frère ? Alors que Scarlett, elle n'a jamais eu un réel besoin d'argent, enfin, certes parfois on n'est pas dans le surplus, mais cela ne nous a jamais dérangé. « Mais c'est ma soeur » je lâche ensuite parce que la famille, c'est sacré. Enfin, ce qu'il me reste de ma famille est sacré. Je me bats avec ce genre d'idées depuis l'annonce des nominations de la semaine, j'aimerai bien donner ma place (parce que je n'ai pas l'impression de la mériter) à l'une des deux.

Réveil matin dix heures. Ça fait déjà de longues minutes que mes paupières sont ouvertes et contrairement aux jours précédents je ne me lèverai pas pour aller m’entrainer avec Achille. La voix de la raison me maudit, l’autre l’emmerde. Une heure de retard ça reste raisonnable, il me le pardonnera facilement avec mes grands yeux bleus de bambin. A peine ai-je le temps d’étirer mes bras droit devant moi que la chevelure de Jade au bout de mon lit m’interpelle du coin de l’œil. Ah Jade. Elle aussi était dans la liste. Elle s’assoit et il en est terminé de ma volonté d’entamer une matinée dynamique. Je relâche la pression mise dans mes bras et les laisse tomber sur la couette vaporeuse sans relever ses paroles. Moi aussi je les déteste. Est-ce important de le préciser ? Puisque tout le monde s’en doute, non. La rouquine ne semble pas avoir terminé sa phrase, comme si la suite peinait à sortir de sa bouche. J’attends, suspendue à ses lèvres. Les motivations de Scarlett me sont inconnues mais s’il y a une chose dont je suis sûre c’est que j’ai besoin de continuer, oui. Si près du but. Jade, elle, les connait pourtant elle est ignorante des miennes et juste qu’elles sont plus importantes que celles de sa sœur. Sa sœur, justement. Je sens mes sourcils se froisser mécaniquement en traduction à mon incompréhension. Qu’est-ce qu’elle cherche ? A se justifier ? Je ne comprends pas. « Tu n’es pas obligée de t’infliger ce genre de déclaration… ou de faire un choix. » Aucune de nous deux n’a demandé aux autres de choisir, c’est au public maintenant de faire la part des choses et à ce stade du jeu tout me semble déjà joué. Nous n’avons plus grand-chose à prouver après deux mois de surexposition. Finalement je crois comprendre le raisonnement de la jolie rousse. « Tu te sens coupable quand, comme ça, tu ne fais pas passer Scarlett en priorité ? » Je demande, entourant la couette froissée de mes bras pour y enfouir mon menton, adossée à la tête de lit. L’ainée des deux sœurs se sacrifierait pour sa cadette, fait qui n’a pas toujours l’air valable pour cette dernière un peu plus indépendante. Je me demande si elle culpabilise de ne pas lui être totalement redevable.

Salomée me dit que j'ai pas besoin de faire un choix. Tant mieux, parce que j'aurai surement à la tendance à la choisir elle pour sacrifier Scarlett. C'est triste mais je sens que la blonde a plus de raisons que la rousse d'être ici, plus de détermination et de motivation. Je ne préfère même pas imaginer pour quoi je suis entrain de passer aux yeux de tout le monde, mais c'est la stricte vérité, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir non ? Je souris parce que Salomée est plus le genre de fille à enfoncer le couteau dans la plaie plutôt que vouloir la panser. « Tu es d'un tact » je me moque simplement alors que mes prunelles s'en vont se poser sur un point fixe pendant une seconde ou deux le temps de réfléchir à sa question alors que la réponse me semble évidente. Si je me sens coupable ? « Non, mais je sais que je devrais » je concède en haussant les épaules. Elle me donne tout et je suis incapable de rendre la chose à sa juste valeur. La raison voudrait que je me sente un minimum mal lorsque je dis, à peine voilée, que je pense que Salomée devrait rester à la place de Scarlett. Est-ce que cela fait de moi une ingrate ? J'ai l'impression d'être lucide, et réaliste, enfin autant que possible lorsque mon cerveau n'est pas totalement sous l'eau, abruti par mon traitement éreintant. « Je ne suis pas à l'origine de cette relation qui parait unilatérale » je poursuis sans hésitation. C'est Scarlett qui a tout fait, parce que ça l'occupe, elle n'est pas obligée de se confronter à ses problèmes parce que les miens sont tellement évidents et mortels pour nous deux. « Et toi avec ton frère, cela se passe comment ? » je l'interroge en posant mes prunelles couleur ciel sur son minois parce que je me demande comment elle pourrait décrire la relation qu'elle entretient avec son frère. Surement mieux que la notre, je n'en doute pas tellement.

Je suis un peu perdue face au comportement de Jade, face à ce besoin de m’avouer ses pensées coupables. Ça part très certainement d’une bonne intention mais je n’y vois pas l’intérêt. Ou peut-être a-t-elle seulement besoin d’extérioriser et d’exprimer à voix haute son désir de se détacher de sa sœur. Pour autant elle n’a pas à faire de choix, ça équivaut plus à se faire du mal à elle-même qu’autre chose. Je ne pensais pas la brusquer en lui exprimant le fond de ma pensée mais j’ai dû parler un peu trop sèchement sans m’en rendre compte. « Désolée. » Je m’excuse lorsque son regard décroche du mien, j’ai pour mauvaise habitude de ne pas considérer le ressenti des autres avant d’articuler quoi que ce soit. C’est assez difficile de me corriger compte tenu de ma grande curiosité sur des sujets parfois trop sensibles. Celui de la relation entre Jade et Scarlett en est assurément un mais c’est quelque chose qui me passionne. Depuis le début de l’aventure Jade a happé ma curiosité, elle me fascine autant qu’elle m’intrigue. On se sent toujours redevable envers sa famille et tout ce qu’elle peut faire pour nous cependant je ne pense pas qu’elle devrait faire passer sa sœur en priorité autant que cette dernière le fait pour elle. C’est trop malsain. « Pas forcément. » J’interviens rapidement puis la laisse continuer. « C’est comme des jumeaux. Tu sais, il faut que chacun soit séparé pour qu’il puisse se développer et s’épanouir correctement. » Collant mes paumes de main l’une contre l’autre au niveau de mon visage, je les sépare en même temps que mes paroles afin de les illustrer. « Ce n’est pas parce que tu n’es pas dans l’extrême que tu donnes l’impression d’en avoir rien à faire. Peu importe le jugement des autres de toute façon, vous savez ce qu’il en est c’est le principal. » Leur relation est de toute façon tellement compliquée qu’elles sont les seules à pouvoir la comprendre pleinement. Je crois que j’essaie de la rassurer avec tout le manque de tact que Jade a pu souligner précédemment. « Mon frère ? » Je fronce les sourcils prise par la surprise avant qu’un sourire ne vienne illuminer mon visage, ravie comme à chaque fois que quelqu’un le mentionne. Ces fois se sont faites trop rares ici. « Ca se passe bien. Il me manque beaucoup mais c’est de ma faute j’y pense tous les jours. » Je n’arrive pas à le mettre dans un coin de ma tête, je n’ai même pas essayé à vrai dire tant il est ma motivation pour rester enfermée dans ce huis-clos. « Il ne sait même pas que je suis ici. » J’esquisse un sourire malicieux, priant pour que ma mère n’ait pas lâché le morceau depuis.