Cela faisait à peine trois jours que j’avais déposé mes valises dans le nid d’amour de Cupidon et je commençais déjà à avoir mes petites habitudes. On ne se réinvente pas. Je viens régulièrement jeter un œil aux pandas roux, estimant qu’il est un peu de notre responsabilité de veiller à leur bien-être (même si j’espère que la production fait ce qu’il faut pour eux, on est pas non plus hyper-qualifiés sur la question). Le moins qu’on puisse dire, c’est que ce ne sont pas les animaux les plus actifs au monde ; ils offrent un spectacle lent tout à fait susceptible de plaire aux plus contemplatifs d’entre nous. Lovés en petite boule la majeure partie du temps, la queue calfeutrée contre leur petit museau, ils évoquent une certaine sérénité qui détonne un peu dans une émission de télé-réalité. Ce n’est peut-être pas très stratégique de ma part de venir traîner ici, mais après tout on ne peut pas non plus nourrir des dramas à longueur de temps. La soleil à peine couché, je m’éclipse discrètement afin de proposer à nos mascottes un dîner compatible avec leur régime alimentaire. Je vais les voir tous les soirs (enfin, les trois soirs depuis que je suis ici, quoi), le crépuscule me semblant être le meilleur moment pour les voir un peu actif. Aujourd’hui, je ne suis visiblement pas la première ; une candidate m’a précédée, déjà présente dans l’enclos. J’entre à mon tour, ferme précautionneusement derrière moi. « Salut. Lucy, n’est-ce pas ? » En vérité, j’avais assez facilement retenu les prénoms de la plupart des habitants du nid – ça me semblait important, et c’était ma priorité n°1 depuis le début. Je déteste ignorer le nom des gens, et, peut-être paradoxalement, je me fiche un peu qu’on connaisse le mien ou non. Des morceaux de fruits frais dans les mains, je m’approche du panda roux le plus proche pour les lui proposer. « Je me demande si ce n’est pas eux, les propriétaires légitimes des lieux. Je veux dire, avant que toute cette infrastructure ne soit créée, y’avait quoi ici ? C’était peut-être leur habitat. » Je pense tout haut, j’aimerais bien qu’elle me contredise, je crois. C’est con, mais je me sens un peu coupable.