@lina

J'erre au niveau de la pergola, prête à me plonger dans le livre que je viens d'emprunter (durablement) à la bibliothèque mais je ne tarde pas à me rendre compte de la présence presque trop silencieuse de Lina assise non loin, presque pensive. Elle a l'air très calme bien qu'il se dessine d'elle habituellement une élégante tranquillité. Mes opales se permettent de la scruter quelques secondes ne sachant si je me dois d'interrompre sa réflexion interne. Je décide de m'approcher en effleurant simplement une de ses épaules du bout des doigts. Je lui offre un léger sourire lorsque je croise son regard. « Tu penses à quoi ? » Je l'interroge avant de m'installer à ses côtés façon enfant, mes pieds sous mes fesses dans une contorsion qui finira par me faire mal avec le temps. J'aime bien saisir au vol les remarques sans fil rouge des autres. Surement parce que les miennes se fracassent dans ma boîte crânienne et ne sont jamais trop durables. Et puis je crois que j'ai aussi envie de parler, de découvrir les autres, d'effacer le statut d'inconnue que je dois porter aux yeux de tous les candidats sans exception. La personne qui pouvait se targuer de me connaitre un peu plus que les autres s'est faite mettre à la porte par Cupidon lors du dernier prime. « Ca a l'air de bien se passer avec ton partenaire ? » je balance comme ça, sans lien, juste pour lancer un peu la conversation et éviter un blanc qui pourrait être terriblement gênant. J'ai vu quelques messages sur le Instagram de Lina, c'est pour ça. Je me raccroche à tout ce que je peux. En attendant, je soulève mon fessier pour extraire de ma poche de jean mon paquet de cigarette déjà un peu écraser. Mes doigts fébriles s'emparent d'une clope abimée que j'allume directement.

TENUE / C’est la fatigue qui marque ses traits, les cernes qui percent au-delà du fond de teint appliqué à la première heure, au petit matin. Elle n’était pourtant venue sur la pergola que pour une dernière cigarette avant d’aller se blottir dans les bras de Morphée pour la nuit, mais la voilà qui s’attardait, le visage hagard, son regard se perdant dans la noirceur qui habite les jardins environnants. De nombreuses images lui tournent en tête, des souvenirs d’une autre époque, un voyage dans le temps qui défile devant ses yeux, alors qu’elle suit aveuglément le parcours de sa mémoire. Quelques détours s’imposent, sur sa route, des tourments qu’elle évite en sautant à la prochaine étape de son pèlerinage intérieur, car sa vie est peuplée de sa part d’ombre qu’elle tend parfois à vouloir oublier, ignorer. Une légère caresse et sa tête se détourne pour croiser le regard attendrit de Juliette qui lui sourit. – À ma mère.  – qu’elle lui laisse entendre, lorsque la nouvelle venue, qui s’est posée à ses côtés, lui demande ce qui lui traversait l’esprit au moment d’être interrompu par son arrivée. Un doux souvenir de cette dernière flottait d’ailleurs toujours dans son mémoire, laissant dans son sillage une mélodie au charme enfantin qui avait su bercer nombre de ses nuits. – Je tentais de me rappeler les paroles de cette berceuse qu’elle me chantait toujours. – Une confession qu’elle regrette presque, lui conférant une amabilité qu’il ne lui sied pas. Pourtant, comme tous ses autres, elle n’était qu’une enfant avant de devenir la femme qu’elle est aujourd’hui. – Oui. Dash et moi sommes sur la même longueur d’onde, la plupart du temps. Nous parvenons à nous tolérer sans trop de problème. – Ça n’était là que son impression. Peut-être que son partenaire racontait à qui voulait l’entendre à quel point elle était détestable lorsqu’elle avait le dos tourné. Peut-être devrait-elle songer à l’espionner, à tout hasard, pour découvrir ce qu’il avait à raconter à son sujet. – Le départ de Bastian ne te déstabilise pas trop? – fis-je, lui retournant, d’une certaine façon, la question. Le regard de Lina avise la cigarette coincée entre les doigts de l’autre, et soudain, l’envie de sentir le contact de l’une d’elle contre ses lèvres la prend à défaut. Elle n’a plus que son briquet en poche, la dernière clope de son paquet ayant disparu en fumée.  – Je peux? – qu’elle demande, avisant l’ondée fumante qui s’élève au-dessus d’elles.