25 sept. (18h45) Keziah
Assis sur le petit comptoir – non je n’étais pas assis sur un tabouret, enfin, mes pieds y étaient assis – je dégustais des petits gâteaux que j’avais trouvé dans un des placards. Je faisais plein de miettes partout, mais je n’y prêtais pas vraiment attention, n’était pas très soigneux dans mon genre, et même plutôt très bordélique. Mes jambes battaient dans l’air un rythme secret, et ma tête dodelinait doucement. J’étais assez … ailleurs, pour tout dire, ne pensant à rien de spécial. En fait, si j’étais mou à ce point là, c’était que je m’étais rendu compte de quelque chose : je ne connaissais presque personne, et même le peu que je connaissais, je ne savais que leurs noms, alors que cela faisait déjà une semaine que le jeu avait commencé. J’étais un peu morose et surtout dépité de constater que se faire des liens n’était pas aussi facile que je l’avais espéré. J’étais tellement dégoûté que je n’avais même pas ouvert le livre qui se trouvait à mes côtés. Seule la nourriture semblait avoir un certain intérêt, et si je continuais comme ça, avant la fin de l’émission j’allais devenir totalement obèse. J’étais sur la bonne voie, tout du moins, j’étais déjà à mon deuxième paquet.
Enfin, quelqu’un arrivait par ici. Je relevais mon visage et quand je vis Keziah entrer dans la pièce, mon visage s’illumina. « Chalut ! » J’avais parlé la bouche pleine, et je lui fis un petit sourire d’excuse. Je lui tendis tout de suite le paquet. « Prends en un, vaut mieux que tu les manges avec moi ou sinon bientôt on va pouvoir m’appeler la Baleine. » Je ris de ma bêtise, reprenant encore un biscuit, geste totalement en contradiction avec mes paroles.

Malgré moi, des étoiles brillèrent dans les yeux. Trouver quelqu’un qui avait essayé d’apprendre le langage des baleines, c’était merveilleux – selon moi. Pas que j’ai moi-même essayé, hein, ça ne m’était jamais venu à l’esprit, mais l’idée me semblait somptueuse à cet instant. A vrai dire, je me voyais très bien essayer. « Arf ! C’est dommage que tu n’aies pas réussi, je suis sûr que ce serait un talent très reconnu. » Et évidemment, je disais avec tout le sérieux que je possédais – c'est-à-dire très peu, mais quand même. L’image de sa tête plongée dans l’océan au milieu des baleines en train d’essayer de leur parler me fit glousser bêtement. Oui, franchement, ce serait fantastique. « Tu crois qu’elles ont des choses intéressantes à raconter ? Si ça se trouve, elles savent plein de choses … » Oui, c’est beau de rêver, je sais. Tout du moins, j’avais dit ça assez passionnément, comme si l’idée – et c’était le cas – m’enthousiasmer ardemment. « Ah toi aussi tu ne résistes pas à l’appel du biscuit. Le pire dans tout ça c’est qu’ils sont délicieux. Si au moins leur goût pouvait nous dissuader … Mais non ! » C’était un drame, une tragédie. Je repris un autre biscuit, et le dévorais le plus lentement possible – ce qui ne dura pas très longtemps.

Je ne pus m’empêcher de rire en m’imaginant très nettement Baleina et Baleino ensemble, dans une baie tranquille, avec un coucher de soleil. C’était … aussi beau que totalement étonnant que le rire semblait être la meilleure réaction. En effet, je n’étais pas dégoûté d’imaginer deux baleines ensemble – j’étais dégoûté de peu de chances en réalité. « Diététique tu dis ? Ouais … J’aime bien les deux de toute façon ! En fait, on devrait manger un hamburger le midi et une pizza le soir pour commencer … Enfin, non, peut-être pas … » En y réfléchissant, ce n’était vraiment diététique ça par contre. Mais à la limite on se fichait bien de ce qui pouvait être bon pour la santé, non ? Hum … oui, jusqu’au jour où vous pouvez plus faire comme si tout allait bien. Pour oublier ces pensées qui nuisaient à mon appétit, je repris un gâteau. Non, il était hors de question de résister à la tentation. J’avais presque cru qu’il parlait des pizzas jusqu’à ce qu’il mentionne les dauphins. « C’est comme les plantes ! Elles ont l’air inoffensives comme ça, hein, mais finalement peut-être qu’elles ont tissé assez de racine pour nous piéger … » Invraisemblable ? Peut-être pas … De toute façon, on ne pouvait pas savoir ce qu’elles pensent, et même si certains disent qu’elles ne pensent pas, c’était peut-être faux, non ?