SIXTINE

14 février. Jour de la Saint Valentin. Eurk. Si il y avait bien une fête que je détestais, c'était celle là. Où tout le monde se trouvait mielleux, à se bécoter, à se chouchouter, se faire des petites attentions. Voir tous ces couples me donnait envie de gerber sérieusement. Généralement, je me débrouillais toujours pour être célibataire ce jour là. Nope parce que c'était vraiment l'horreur sinon. Vous m'avez bien regardé ? Jouer le grand romantique, très peu pour moi. Une bonne chose que j'étais au sein de ce château, au moins je n'aurais pas à supporter tout ce grand déballage de sentiments. Quoi que, on aurait quand même la soirée de Cupidon, mais bon, ça devrait aller. Quoi qu'il en soit, en ce jour complètement banal pour moi, je décidai d'aller faire un petit tour dehors. Mes pieds m'emmenèrent jusqu'au cimetière sans vraiment m'en rendre compte. Je m'assis sur une des tombes. J'essayai de déchiffrer quoi que ce soit sur celle qui se trouvait en face de moi mais rien. Je m'allumai une clope.  « Alors mec...C'est quoi ton histoire ? Toi aussi tu te faisais terriblement chier dans ce château, que t'en es mort d'ennui ? » Oui, je parlais à une tombe. Grand dieu, vraiment le signe que je m'emmerdais royalement.

Je ne suis pas particulièrement friande de la Saint Valentin. Les cœurs, les mamours, les petits surnoms, ça me fait presque vomir. J’aime les étreintes, les cadeaux, le restaurant, mais devoir attendre cette fête pour offrir une rose annuelle à sa partenaire, c’est juste pathétique. Ce sont des attentions qui doivent être régulières. Je ne demande pas la lune, mais simplement de ne pas faire semblant le 14 février en devenant soudain super romantique. Soit on l’est tout le temps, soit on ne l’est jamais, soit on l’est de temps en temps. Mais pas juste à la Saint Valentin. Bref. J’erre comme une âme en peine au milieu du cimetière. La dernière fois j’ai failli me faire un ami mort, mais finalement il a préféré rester sous la terre. Il me semble que Cooper est en train de tenter la même chose, s’adressant à une pierre tombale en fumant une cigarette. Visiblement, il s’ennuie. Et à vrai dire, cela m’arrive aussi de temps en temps, trop souvent à mon goût. Je me planque derrière un arbre afin d’éviter d’être vue, esquissant un sourire devant son petit discours. Je resserre mes bras sur mon corps afin que rien ne dépasse, ramenant mes cheveux à l’intérieur de ma capuche de pullover. Je prends une voix grave qui s’élève dans le silence. « J’aimais ce château, comme la femme qui y vivait avec moi. Mais elle a foutu l’camp avec notre majordome, le jour de la Saint Valentin. Alors je me suis suicidé. » Belle histoire n’est-ce pas ? Tout à fait en relation avec cette petite fête commerciale, digne de la dame blanche ou du cavalier sans tête. Il aurait presque pu flipper si on avait été dans l’obscurité, mais en plein jour je doute qu’il en frissonne d’angoisse. J’attends qu’il tourne la tête dans la direction opposée, l’observant du coin de l’œil depuis ma planque, puis je m’approche dans son dos à pas feutrés. « Et maintenant, j’égorge ceux qui souillent ma demeure ! » Je crie presque, conservant une voix grave et flippante, l’étranglant avec ma ceinture. Sans trop serrer bien entendu, mais tout juste pour lui faire peur, si tant est que ça réussisse. Puis je relâche brusquement mon étreinte, tombant sur mes genoux, la tête renversée en avant. Je relève mes yeux sur lui, un air décomposé s’emparant de mes traits. « Je . . . je crois que j’étais . . . possédée. » Je tente de rester sérieuse un instant, m’accrochant à son coude comme si je venais de vivre l’expérience la plus traumatisante de mon existence. Cependant je ne peux m'empêcher de me mettre à rire, replaçant ma ceinture autour de ma taille. Alala, qu'est-ce que je suis drôle.

Étrangement la tombe ne me répondait pas. C'était donc de là que venait l'expression, muet comme une tombe.  « Dis le si je t'emmerde hein » continuais je en tirant sur ma clope. Et là venant de nul part, une voix s'éleva. Grave. Dieu ? Non, juste une candidate, qui à l'évidence m'espionnait. « J’aimais ce château, comme la femme qui y vivait avec moi. Mais elle a foutu l’camp avec notre majordome, le jour de la Saint Valentin. Alors je me suis suicidé. » Cela c'est de l'histoire. Je tourne la tête pour essayer de voir d'où ça venait, mais j'avais un peu de mal à trouver la provenance. La personne jouait à cache à cache à l'évidence. Et clairement, ne fumait pas que des cigarettes. Et là pouf, sans que je ne vois rien venir, une ceinture se retrouva enroulée autour de mon cou. Seigneur dieu, la candidate avait pété les plombs. En temps normal, j'aurais probablement retiré violemment la ceinture, et elle aurait comprit sa douleur. Mais là...je me faisais tellement chier que du coup, je décidai de me prendre au jeu. Je fis semblant de suffoquer, émettant les petits sons appropriés, tout en simulant des spasmes. Finalement dans sa grande bonté, elle me relâche, et nous la joue l'exorciste, genre elle était possédée. Sixtine. Bien évidemment, qui d'autre ?  « Je crois plutôt que t'as fumé la moquette » répliquais je un sourire amusé.  « Dis moi ce que tu prends ça m'intéresse »

Je m’esclaffe à sa remarque. C’est vrai que j’ai l’air un petit peu démente, en fait je suis dans ma période ‘crise de folie’ depuis le début de la semaine, et je ne vois pas le bout du tunnel. Je suis tellement épuisée que j’ai régressé de dix bonnes années. Je frappe volontairement mon nouveau partenaire pour le réveiller en lui faisant croire que je pionce, je poursuis Syssoï en mangeant de la boue tout ça pour arriver première au confessionnal, je balance de la bouffe sur Caesar juste pour le voir pleurer, et maintenant j’étrangle un candidat en prétendant être possédée. Y’a vraiment quelque chose qui tourne pas rond dans ma tête, et je crains d’être au bord de la rupture psychologique. Merde, si ça s’trouve je bascule vers une schizophrénie. Cooper a une autre explication, mais même si j’en présente les symptômes je ne fume rien du tout. Pas dans le château en tout cas, la production n’a rien voulu savoir. « Ca va pas ou quoi, j’garde mes secrets moi ! » Je lui jette mon regard énigmatique, alors qu’en réalité je n’ai pas le moindre secret. Mais ça le fait toujours mieux que de lui avouer que je suis simplement dérangée du bocal, et ce depuis très longtemps. Je m’assois sur la tombe en espérant que le mort ne prenne pas ça pour un manque de respect, puis croise les jambes. « C’est la Saint Valentin aujourd’hui, j’crois que je mérite une petite attention, non ? » Je le regarde avec des petits yeux de chien battu, avançant ma lèvre inférieur en boudant. Je cligne rapidement des paupières à trois reprises, pense à quelque chose de triste pour rendre mon regard brillant, puis je fais trembler mon menton. Bon, on dirait plutôt une petite vieille atteinte d’un Alzheimer, mais on s’en fiche. J’ai beau m’emmerder comme un rat mort et détester cette fête bidon, j’ai besoin d’amour. Et vu que je n’ai que Cooper sous la main, faut faire avec . . . ahah.

Je l'accusais de prendre des substances illicites, mais en même temps de mon côté, je parlais à des morts... Fallait croire que ce château nous rendait tous fou. Bien que cette folie atteignait clairement plus la demoiselle. Nous la jouer femme possédée en plein jour, et surtout étrangler les candidats, fallait le faire. Voilà qu'elle ne voulu pas me partager son secret.  « Tss, fais pas ton égoïste, partages » Rhalalala, elle pourrait être sympa un peu ! Sixtine s'assoit ensuite sur la tombe à côté de moi. « C’est la Saint Valentin aujourd’hui, j’crois que je mérite une petite attention, non ? » me lança t'elle, sorti de nul part. Voilà qu'elle se mit à me faire ses yeux de chien battu. Elle me sortit tout l'attirail, destiné à m'attendrir. C'était plus comique qu'autre chose. Mais bon, je saluais l'effort. J'esquissai un sourire.  « Hmm...Quel genre de petite attention ? » Fallait pas trop m'en demander.

Je m’avance un peu sur ma tombe et voile ma bouche du revers de ma main droite, comme si je m’apprêtais à lui faire une confidence secret défense. Je jette un œil alentours afin de vérifier que nous sommes seuls et je me lance. « Ok ok roh, c’est Omniweave. Douce, et en plusieurs coloris. Mais surtout, tu le dis pas aux autres ! » Je lui souris et me recule, fière de ma bêtise. Je lui ai donné la marque de la moquette qui recouvre mon salon en Ecosse, qu’il se démerde avec ça. Je balance mes jambes d’avant en arrière un instant, le regard perdu dans le vague. Ca me fout le bourdon, cette fête des amoureux. Ca enfonce toujours le couteau dans la plaie des pauvres célibataires, et me rappelle à quel point je suis loin d’une relation stable avec un avenir certain. Bon sang, ma plus longue relation a du approcher les neuf semaines, ce n’est pas juste extrêmement triste et désespérant ça ? La réponse de Cooper me fait sourire. C’est ça, qu’il fasse l’innocent. « Aucune imagination. » Je boude pendant quelques secondes, mes neurones se chauffant les unes aux autres. « Un dîner romantique ? » Bon, faut avouer qu’on n’a pas grand chose à disposition pour ça. « Un bouquet de roses ? » A part quelques fleurs fanées sous le froid qui nous entoure, pas beaucoup de possibilité là non plus à part des morceaux de papier pliés et coloriés. « Une virée romantique à moto ? » Le seule truc romantique de ce genre qu’on peut faire ici c’est se suicider ensemble depuis les falaises. « Déjà que c’est merdique d’habitude, mais encore plus dans ce château, on n’peut rien faire ! » Je m’insurge littéralement, même une petite attention se transforme en parcours du combattant. Je fronce les sourcils, soupirant. Puis je relève mon regard vers lui, un sourire aux lèvres. Et quand je fais ce genre de trucs, ce n’est jamais bon signe. « Il reste toujours les compliments, la poésie, les chants d’amour. » Je papillonne des cils, joignant mes deux mains.

«Ok ok roh, c’est Omniweave. Douce, et en plusieurs coloris. Mais surtout, tu le dis pas aux autres ! » me dit elle tout bas, comme dans une confidence. Omniweave ? Quésaco ? Le nom d'une drogue ? Oh mais attendez, en plusieurs coloris ? M'étonnerait pas qu'elle m'ai refilé une marque de moquette celle là.  « Promis ! J'emportais le secret jusque dans ma tombe » Plutôt bien approprié non ? Pour accentuer le tout, j'avais sceller avec ma main mes lèvres, comme si je venais de fermer à clé ma bouche. Ainsi son secret était sain et sauf ! Sixtine embraya ensuite sur l'attention que je devrais lui apporter. Elle commença à m’énumérer les différentes possibilités qui s'offraient à moi. Un dîner romantique ? Un bouquet de roses ? Bien sur, et la marmotte, elle mettait le chocolat dans le papier d'alu ! Elle semblait se tromper d'interlocuteur là, apparemment elle ne se rendait pas bien compte à qui elle s'adressait. Elle m'avait prit pour Franckie vraisemblablement. De toute manière ça n'avait pas d'importance, puisque tout ceci n'était guère réalisable. Tout comme la virée à moto. Bien que ça, c'était plus dans mes cordes. Mais la demoiselle ne semblait pas prête à en démordre. C'est qu'elle comptait vraiment obtenir une gentille attention de ma part. Lorsqu'elle releva la tête vers moi, un sourire aux lèvres, un signal d'alarme se déclencha. Quoi ? Qu'est ce qu'elle m'avait trouvé encore ? « Il reste toujours les compliments, la poésie, les chants d’amour. » Ha ha ha. Très drôle. Elle m'avait bien regarder ? Il fallait savoir que chez moi, les compliments étaient très rares. Et ça ne vous surprendra pas si je vous avouais ne pas avoir l'âme d'un poète.  « Quoi ? Tu veux un truc du style : t'es tellement belle que dès que je te vois.. » Hmm mouais, que quoi ?  « mon cœur s'embelle » Haha, ça c'est de la rime. Mot qui ne voulait plus rien dire, bref.  « T'sais quoi, dans ma grande bonté d'âme, je t'accorde un baiser. » Je m'approchai alors de la jeune femme, attrapai sa main pour y déposer un baiser. Ben ouais, vous croyiez quoi ?  « Satisfaite ? » Si avec ça elle ne se sentait pas la femme la plus heureuse de la planète, c'était à ne plus rien y comprendre.

Cooper tente un début de poème, faisant rimer belle avec un verbe conjugué à sa sauce, ce qui me retire une expression proche du désespoir mêlé à l’amusement. Le pauvre n’a pas les mêmes talents que Rimbaud, voilà une chose sûre. Mais moi non plus, qu’on se le dise. Il semble alors avoir une autre idée. Un baiquoi ? Quand, comment, où ? Je me recule légèrement, craignant son prochain mouvement –et non je n’avance pas la bouche en cœur comme certains auraient pu l’imaginer-, soupirant de soulagement lorsqu’il s’empare de mes doigts. Putain, ce con m’a bien eue. Je porte mon autre main à mon front, paume vers le ciel, comme si je venais de défaillir sous l’assaut de ses lèvres. Je ferme les paupières une brève seconde avant de les rouvrir et de reprendre un air sérieux, lâchant sèchement. « Eh ben, t’as vraiment des progrès à faire mon pauvre Cooper. » Je ris, imaginant l’air vexé qu’il risque de prendre après cette révélation qui désavoue quelque peu l’estime qu’il accorde à ses baisers de main et à sa splendide verve. Je le gratifie d’une petite tape sur l’épaule, du style ‘t’inquiètes pas tata Sixtine va t’apprendre comment devenir romantique’, détachant mes doigts des siens. En tout cas, le brun n’a pas l’air du genre à prodiguer des attentions à ses conquêtes. Il a eu l’air passablement étonné que j’ai pu imaginer qu’il soit capable d’une telle chose, tiquant à chacune de mes propositions. Rien que l’idée paraît le rebuter, et cela m’intrigue. Pourtant j’aurais juré qu’il était du genre à embobiner les nanas en leur sortant des compliments vieux comme le monde et en faisant apparaître une rose comme par magie. Le cliché du lover, en somme. « Quoi, me dit pas que tu n’as jamais fait ce genre de choses. Pas UNE seule fois ? Pour personne ? » Je croise les bras sur ma poitrine, au moins il aurait du le faire pour une femme importante, ce qui me laisse penser qu’il n’a jamais eu ce genre de relation. Remarquez, je suis mal placée pour lui jeter la première pierre. « T'es pectoraux suffisent habituellement à séduire, hein ? » Je décoche un sourire.

Je ressentis de la méfiance chez la jeune femme lorsque je parlais du baiser. Évidemment, venant de ma part, elle s'imaginait déjà sûrement que j'allais m’emparer ses lèvres, mais non. Juste un baiser chaste sur la main. Ouais ouais j'étais fier de moi. Elle en fit des caisses, avant de finalement lâcher sérieusement. « Eh ben, t’as vraiment des progrès à faire mon pauvre Cooper. » La vilaine. Pourtant ma prose avait été digne des plus grands poètes non ? Sans parler de mon baise main exquis. Tsss elle était vraiment difficile à combler. Je pris une mine faussement vexée – oui parce qu'en vrai, comprenez bien que je ne l'étais aucunement – et déclara.  « Tu ne sais pas apprécier les choses à leur juste valeur de toute façon » Voilà qu'elle s'exclama, se demandant s'il m'était déjà arrivé au moins une fois dans ma vie d'avoir un geste attentionné pour quelqu'un. Je n'étais pas ce genre de mec, beau parleur, à embobiner les filles, leur promettre monts et merveilles pour les mettre dans mon lit. Gosh non. Pourquoi prétendre ce que je n'étais pas ? Avec moi, les filles savaient à quoi s'attendre. « T'es pectoraux suffisent habituellement à séduire, hein ? » J'esquissai un sourire. « Faut croire que oui. Mais à toi de me le dire. Ça marche sur toi ? » demandais je en soulevant mon Tshirt, pour laisser dévoiler mes adbos et pec'. En attendant je n'avais pas répondu à sa précédente question. La vérité c'était que si, il m'était déjà arrivé d'avoir des gestes attentionnés, envers une fille qui avait compter pour moi. Mais je préférais simplement faire croire le contraire.