On dit qu'il ne faut jamais juger un livre en fonction de sa couverture. Et bien sachez que ce proverbe est tout à fait véridique. C'est d'autant plus vrai qu'il ne faut pas juger qui que ce soit sur son apparence. Prenez Jackson, par exemple. Ce type imbu de lui même, au caractère exécrable et au look de surfeur écervelé pourrait bien vous surprendre. Parce que les livres, justement, ça le connait. Nous n'irons pas jusqu'à dire qu'il était de ces intellectuels qui passent leur vie le nez collé dans les bouquins, mais disons que le grand blond n'était en rien un crétin sans cervelle. S'il était parvenu à devenir le webmaster expérimenté qu'il était aujourd'hui, c'était surtout parce qu'il avait bossé pour, durant ses études. Pour une fois que l'argent de son petit papa n'avait pas tout fait. Ainsi donc, qu'on voit en lui l'archétype du blond irréfléchi était fort dommage. Mais après tout, il y a bien longtemps que Jackson avait cessé de s'intéresser à ce que l'on pouvait penser de lui. Et heureusement d'ailleurs, parce qu'il s'en serait rendu malade le pauvre petit. Aujourd'hui, s'il aurait pu glander ou vagabonder à travers les couloirs du château, Jackson opta pour une petite virée à la bibliothèque. Lire un peu, ça ne pouvait faire de mal à personne. Pas même à lui. Ainsi, muni de ses petites lunettes de presbyte précoce, il attrapa le premier bouquin qu'il trouva et commença à le lire. Le bouquin en question s'intitulait Fahrenheit 451. Si l'histoire était aussi à chier que le titre, il allait s'amuser le Jackson. Là, un bruit de porte se fit entendre. Quelqu'un approchait. Super. Ils ne seront probablement pas trop de deux pour comprendre ce livre de toute manière.

J’ignore totalement si Ruben est du genre à flâner entre deux rayons de la Bibliothèque, en fait je serais prête à parier que non. Mais je m’en fous éperdument, rien ne dit que j’y vais pour lire un bouquin, et au pire je choisirais un conte pour enfants histoire de ne pas trop m’écarter de la réalité. Je souris à cette idée, pénétrant dans le lieu en espérant y trouver un peu de solitude. M’exprimer comme Ruben est une chose fatigante, mais je ne suis pas au bout de mes surprises pour la journée. Le blond. Celui qui a tourné autour de Gabrielle sans succès, celui qui se fout de tout et qui a failli faire capoter notre équipe par son manque flagrant d’implication, mais surtout celui que le gorille ne peut pas se voir. Je ne sais pas vraiment pourquoi d’ailleurs, je crois que ça remonte à une dispute à propos d’un t-shirt jaune, comme celui que je porte actuellement. Il tombe jusqu’à mes fesses, recouvrant de moitié le short beaucoup trop grand que j’ai serré avec une ceinture. Je ressemble à un clown 24 heures sur 24 avec ces fringues, et ça commence à me faire chier. Mais je m’y habitue petit à petit, et je ne fais presque plus attention aux regards circonspects qui se posent sur ma silhouette ou aux sourires moqueurs qui naissent sur les lèvres à mon passage. Ouais, j’assume ! J’hésite à faire demi-tour, mais le jeune homme m’a grillée. Trop tard pour reculer. Je m’avance dans la pièce et me penche au dessus de son épaule, ricanant d’un air mauvais. « Tiens, j’savais pas que les albinos savaient lire. Allez fais pas semblant va, tu vas te faire mal aux yeux. » Ben quoi, je suis super bien dans le rôle de Ruben, non ? J’y tiens à mes 5 000 sous, pas question de les perdre pour le gorille. Je plisse les yeux, éprouvant une once de pitié pour ce pauvre Jackson à qui je n’ai même jamais parlé à part pour lui demander du sel ou du dentifrice. Soit il se demande pourquoi je l’aborde en l’insultant, soit il a rapidement compris et espère sans doute ne pas croiser le véritable Chewbacca après ça. Un double combo entraînerait probablement sa mort. « Tu t'es trompé de bouquin en plus, toi c'est plutôt le gros là-bas que tu devrais consulter. » Je lui désigne le dictionnaire d'un geste du menton non sans manquer de relever l'ironie de mes propos.

Encore un moment d'agréable solitude réduit à néant par l'arrivée de l'un de ces casse-couilles professionnels. Pour le coup, c'était Sixtine qui vint troubler sa tranquillité. Il ne la connaissait pas, ou très peu, et n'en avait à vrai dire aucune envie. Lui, tout ce qu'il voulait, c'était qu'on arrête de le faire chier. Parce qu'il pouvait faire chier les autres, mais ça n'était pas valable dans l'autre sens, vous comprenez ? Tout ça pour dire que Sixtine ne se ferait pas un ami aujourd'hui. Mais probablement qu'elle le savait déjà. Car à peine arrivée, celle-ci l'attaqua. Whaou, c'était du rapide. Devait-il être impressionné, au juste ? Espérons que non, sinon vous risqueriez d'être déçus. Après avoir écouté brièvement les paroles de sa camarade, Jackson poussa un léger soupire. « Le gros bouquin, comme tu dis, c'est plutôt toi qui devrais le consulter. Ça te permettrait par exemple de te rencarder sur la définition du mot " albinos ". » A force, il avait un peu l'habitude d'être traité de la sorte. Donc, à la rigueur, ça ne lui faisait ni chaud ni froid. Par contre, il avait de plus en plus de mal à supporter l'inculture de ces ignares. Merde quoi. « N'empêches, tu l'imites vachement bien le gros singe. Enfin, j'espère que tu l'imites vraiment. T'es quand même pas aussi conne que ça, quand même ? » Quoi qu'ici, il ne s'étonnait plus de rien. A force de côtoyer des cons, il finissait par ne plus faire aucune distinction entre eux, vous savez.

Je m’y attendais. J’aurais rétorqué exactement la même chose si Ruben était venu m’aborder avec une telle réplique. Il faut avouer qu’il n’a pas l’air de respirer l’intelligence suprême, cela dit je me montre méfiante envers les qualifications hâtives que l’on peut coller sur les différents candidats. J’aurais tendance à associer corps bodybuildé avec Q.I d’huitre, ce qui classerait les trois quarts des participants dans cette catégorie. Or il me semble que ce n’est pas juste, car certains d’entre eux ont fait preuve d’un certain esprit. Je dis bien ‘certains’, parce que pour l’instant ce n’est pas non plus flagrant. Je m’assois en face du jeune homme, un petit sourire accroché au coin des lèvres. Je sais parfaitement qu’il n’est pas albinos. J’en ai vu quelques uns en Afrique lors de mes divers voyages dans la région, les pauvres sont souvent chassés par des contrebandiers qui revendent leurs membres mutilés à des grands gourous. Les sorciers du coin utilisent les bras et les jambes des albinos comme éléments de leur magie, ce qui est relativement flippant quand on vous l’explique autour d’un feu. Bref, il n’a pas tout à fait le faciès d’un individu atteint de cette maladie même s’il en présente quelques caractéristiques : les cheveux blonds et les yeux très clairs. Dans ce cas, cela aurait très bien pu être mon surnom à moi aussi. Je balaie sa réticence d’un grand geste de la main, prenant un air conciliateur. « Si tu y tiens vraiment je peux t’appeler Ken, ça ne change pas le fait que je t’imagine davantage en train de soulever des altères pour parfaire ton corps de poupée plastique plutôt que le nez collé dans un bouquin. » J’attrape son livre du bout des doigts. Putain, ça a l’air chiant comme la pluie. « Ou peut-être que tu cherches les meilleurs techniques pour gonfler tes pectoraux refaits . . . » Parce que faut bien avouer qu’il est doté d’un corps plutôt musclé, voire carrément hallucinant –de mon point de vue de petite défenseuse de la planète habituée à côtoyer des gringalets-, comme bon nombre de candidats dans ce château. Sa question suivant me fait tiquer. Punaise, mais j’peux pas répondre là, il m’emmerde. Cependant je hoche la tête discrètement, comme pour le remercier de son ‘compliment’. Je ne suis pas bien sûre qu’imiter le gorille à la perfection soit une bonne chose, m’enfin . . . « Parce que tu t’crois plus intelligent que moi blondie ? C’est la meilleure. » D’accord, la réponse semble relativement évidente, mais je dois incarner Ruben qui ne percute pas toujours à vitesse grand ‘V’. « Je serais curieux d’entendre tes arguments. » Je lui tends une perche aussi grande que la tour Eiffel. Un léger sourire tiraille mes lèvres, je suis soudain traversée d’une illumination. J’attrape un stylo qui traîne sur la table, puis ouvre la dernière page du livre qu’il était en train de déchiffrer. Je jette un regard autour de moi, puis entoure mon œuvre de mes bras afin qu’aucune caméra ne puisse intercepter mon message. J’y inscris les mots « Putain, j’espère pas non. Cependant j’ai peur que cette mission me fasse régresser. » Je tourne le livre afin qu’il puisse le voir, rabattant la page précédente pour le dissimuler le temps du transfert.

Pauvre Sixtine. Devoir se mettre dans la peau de Ruben devait s'apparenter à un calvaire. Jackson, qui avait passé toute une semaine menotté au grand singe, ne pouvait donc que compatir à sa souffrance. Non vraiment, il la plaignait. Parce qu'en plus, Ruben n'était pas franchement le sujet idéal pour ce genre de jeu de rôle. Néanmoins, il fallait avouer que Sixtine s'en sortait plutôt bien, du peu qu'il avait vu et entendu. On jurerait véritablement entendre Ruben sur certaines de ses répliques. Probablement que la connerie n'était pas si difficile que cela à imiter, en fait. « Appelles-moi Ken si ça te chante, pour ce que j'en ai à foutre. » L'albinos, Ken, Malabar, on en passe et des meilleures. Ouais, Jackson avait eu son compte de surnoms aussi improbables que franchement pourris depuis le début de l'aventure. Alors que Sixtine - pardon, Ruben - le qualifie de Ken, ça ne lui faisait pour ainsi dire ni chaud ni froid. « Putain t'es balèze, tu m'as démasqué » reprit-il, après les nouvelles paroles de sa camarade. Bien sûr qu'il feuilletait les livres de cette bibliothèque dans l'espoir d'y trouver quelques techniques pour développer encore et toujours ses pectoraux. Bien sûr. Puis Jackson s'était adressé à Sixtine, et non pas à Ruben. Du coup, il la savait dans l'incapacité de lui répondre à haute voix. Quelle tragédie, n'est ce pas ? Cependant, elle ne tarda pas à reprendre la parole, toujours en imitant ce bon vieux Ruben. Et là encore, elle était assez bluffante. « Pas besoin d'arguments. Tu le prouves parfaitement bien tout seul » lâcha le grand blond. Est-ce qu'il se considérait comme plus intelligent que le grand singe ? C'te question. Évidemment. Et ça n'était aucunement de la prétention. Non. C'était le sens des réalités, figurez-vous. Parce que c'était écrit sur sa gueule, au gorille, qu'il avait pas inventé le fil à couper le beurre. Et dire qu'on sort toutes sortes de saloperies sur les blonds, hein. Soudain, un silence reposant trôna dans la pièce. Sixtine sembla désireuse de communiquer d'une toute autre manière. Voilà pourquoi elle s'empara d'un stylo, et se mit visiblement à écrire sur le livre. Ce pauvre Ray Bradbury devait probablement se retourner dans sa tombe. Ah, il n'est pas mort ? Oups. Lorsque sa camarade tourna le livre vers lui et que Jackson put lire ce qu'elle y avait inscrit, un sourire amusé prit place sur ses lèvres. Attention, exclusivité. Sans réfléchir, Jackson attrapa à son tour le stylo, et marqua : « Après une semaine passée à ses cotés, j'ai dû perdre 25% de mes capacités intellectuelles. Alors toi qui es censée être lui, t'es dans la merde. » Jackson n'avait techniquement pas besoin d'écrire ces choses, puisque lui pouvait les dire à voix haute. Mais probablement qu'il trouvait ça amusant, au fond.

Le pauvre, il a du en voir des vertes et des pas mûres pour afficher ce manque de réaction flagrant. Finalement, je crois que les insultes qui fusent deviennent une conversation normale entre Jackson et le gorille. D’autant plus qu’il doit être habitué à recevoir des charmants petits noms. J’ai déjà entendu d’autres candidats l’appeler Malabar ou l’albinos, comme certains utilisent Moorue, Robocop, Geek, la religieuse, l’aveugle, Cro-Magnon. Finalement, j’ai été épargnée par cette floraison de surnoms ridicules, et j’en suis assez fière. « Ils ont sûrement conseillé le sport de chambre, mais tu peux passer le chapitre, parce que t’es pas près de choper qui que ce soit dans ce château. » Ouais ouais, je continue mes petites douceurs, histoire de ne pas perdre la main. Puis je suis certaine que Ruben n’aurait pas laissé passer une aussi bonne occasion de répliquer. « Même Barbie t’as rembarré, pauvre Kenny. » J’adopte un air faussement attristé avant de lâcher un rire gras parfaitement calculé. Barbie c’est Siomha, et j’ai entendu dire qu’elle leur a suggéré de se pendre pour le bien de l’humanité. J’attends patiemment que Jackson réponde à mon message ‘secret’, heureuse qu’il ne le fasse pas à voix haute. Manquerait plus que je perde mes 5 000 euros pour ce petit jeu épistolaire. J’attrape le livre et ris doucement, l’observant avec compassion. Je trouve qu’être attaché à Ruben est tout de même plus difficile que de se prendre pour lui, au moins je n’ai pas un candidat que je méprise collé à mes basques 24h sur 24. Même si au fond, moi je ne méprise personne. « Merde, ça va être dur de m’en remettre. Dis, t’es vraiment en dèche d’argent pour participer à cette émission ? Parce que t’as pas l’air d’être là pour l’expérience humaine . . . » Ca n’échappe à personne que Jackson est un peu comme Siomha, du genre je-m’en-foutiste, tu peux bien crever que je ne lèverai pas le petit doigt pour te sauver. La team Micah les comprenait d’ailleurs tous les deux, un malheureux hasard de circonstances. Je me demande vraiment pourquoi des individus comme eux, qui n’ont absolument aucun bénéfice à retirer de leur participation à FAKE LOVER, s’imposent ce genre de choses. A part pour le fric. Ce n’est guère un reproche, moi je tamponne complètement qu’il n’accorde pas beaucoup de crédit à la brochette qu’on lui présente. S’il n’a pas envie de pousser plus loin ses interactions, c’est un choix personnel que je ne peux que respecter. Il est vrai que se faire des amis n’est pas l’objectif principal de ce jeu, cependant je ne le vois pas non plus s’évertuant à décortiquer les secrets d’autrui. La dernière possibilité reste donc l’argent, l’odeur du pognon.

Sixtine imitait parfaitement bien Ruben. Au point que Jackson était présentement tout aussi indisposé par sa présence que par celle du grand singe. Et ses répliques ressemblaient à s'y méprendre à celles que pouvait tout à fait sortir Ruben. Comme par exemple celle sur le sport de chambre. So Ruben. « Pour ce qu'il y a à choper, en même temps ... » fit-il, impassible, suite à une telle remarque. Pour le coup, Jackson était un peu dur. Il devait bien y avoir deux ou trois canons dans les parages, tout de même. Ou un petit peu plus. La suite le fit doucement sourire. Alors ça, c'était drôle. Le coup de Barbie et Ken, ça ne pouvait qu'être hilarant. Ou pas. « Si tu le dis » souffla-t-il alors. Elle l'avait rembarré. Ah bon ? Bah, si elle - pardon - il le disait, c'était sans doute parce que c'était vrai, non ? Quoi qu'en même temps, c'était Ruben. Donc bon, n'accordons pas trop de crédit à ses paroles. Il était pas très fiable, quand même. « Bon, quand est-ce que tu trouves ta Cheeta, mec ? » Comme si c'était possible, vous savez. Parce que non content d'être horriblement laid - s'il s'épilait les sourcils, il perdrait un ou deux kilos - il était aussi affolement con. Un cas désespéré, en somme. Que c'est dommage. Mais voilà que nos deux candidats continuaient d'écrire sur ce pauvre livre, qui n'avait rien demandé. On dit d'ailleurs qu'il est mal d'écrire sur des bouquins. Mais qui irait les dénoncer, hein ? Certainement pas le livre lui même, en tout cas. Jackson lut alors attentivement la réponse de sa camarade, une réponse qui le fit réfléchir un instant. Non, effectivement, il n'était aucunement là pour l'expérience humaine. S'il était là, c'était pour une toute autre chose. Et non, ça n'était pas le pognon non plus. « Le fric, je l'ai déjà et les gens ne m'intéressent pas. Si je suis ici, c'est exclusivement pour le jeu, l'aventure. » Et c'était bien vrai. Si Jackson était là, ça n'était que pour cette raison. Comme il venait de l'écrire, il avait de l'argent, beaucoup même. Quant au reste, il n'avait aucune envie de se faire des amis, de s'encombrer avec des putains d'amitiés qui se dissoudraient à la minute où le jeu prendrait fin. Avant de lui tendre le livre afin qu'elle puisse y lire sa réponse, il rajouta : « Et toi ? Argent ? Jeu ? Amitiés ? Amour ? » Elle venait de lui demander ce qu'il foutait là, alors libre à lui de lui retourner sa question.

Jackson veut me faire croire que même s’il en a la possibilité, le lot de nanas de l’aventure n’est pas extraordinaire. Je souris avant de balancer mon pied contre sa cheville sous la table, histoire de lui signifier ma vexation. Non mais oh, j’fais partie de ce château moi aussi. Cependant, je sais qu’il ment. Sous ses airs de petit blasé de la vie, se cachent des vérités qu’il ne partage pas. Parce qu’honnêtement, y’a certaines gonzesses que même moi je planquerais bien sous mes draps si j’avais eu ce qu’il faut entre les jambes. Et puis, il ne peut pas nier être tombé sous le charme d’une certaine rousse . . . Bref, la production s’est assez pris la tête pour nous offrir des plastiques relativement agréables, d’un côté comme de l’autre. Je remonte un peu le short qui me tombe sur les fesses, ravalant une ébauche de sourire lorsque le doux nom de Cheeta parvient à mes oreilles. Barbie-Ken, King Kong-Cheeta, c’est de bonne guerre. « T’inquiètes pas je me remets en chasse dès la semaine prochaine. » J’emploie volontairement le mot ‘‘chasse’’, pour rester dans le vocabulaire animalier. Et en plus, je ne mens pas. Ruben lui-même m’a affirmé repartir pour un round de drague dès le post-prime, ce qui laisse présager quelques moments inoubliables supplémentaires. « J’crois que je vais commencer par la petite Gabrielle, les meufs qui font un boulot de mec, ça m’a toujours excité. » Je le provoque volontairement, comme l’aurait sans doute fait Ruben, appuyant une faiblesse que je sais être la sienne. Peut-être lui est-elle déjà sortie de l’esprit, mais je suis certaine qu’imaginer le grand singe s’attaquer à la demoiselle ne lui fera pas plaisir, même s’il l’a mise de côté. Je balaie le fait que moi-même, je rentre dans cette catégorie de ‘‘meufs’’, observant ses yeux clairs afin d’y percevoir une variation notable. « Ca te dérange pas hein, de toute façon elle t’a jeté aussi non ? » C’est là que la foule en délire balance un « BOUUUUUUUUH » à l’encontre du pauvre blond qui subit les assauts Rubinesque que je m’emploie à lui asséner avec une motivation sur laquelle on pourrait presque s’interroger. C’est juste que, comme pour tout, j’accomplis mes missions comme n’importe quel défi ou jeu en m’y impliquant à 200%. Je fais peut-être quelques faux pas, mais au moins on ne pourra pas me reprocher de ne pas avoir essayé. Je ne manque pas de ponctuer ma phrase par un sourire moqueur, attrapant le bouquin par la même occasion. C’est mal quand même, de souiller un livre ainsi. Cela dit il n’a pas l’air particulièrement passionnant, ça me brise moins le cœur que de raturer un Wilde. Je hausse un sourcil, surprise d’apprendre qu’il a déjà du fric. Visiblement beaucoup, puisqu’il se moque de toucher le jackpot. En a-t-il autant que le Lord ? J’imaginais que ce dernier était la seule exception à la règle, mais il faut croire que pas mal de gens dans ce château ne sont pas forcément intéressés par le fric. Sa précision en ce qui concerne les gens me fait sourire. Ce n’était pas nécessaire, mais il a pris soin de le noter, pour enfoncer davantage le clou. Je comprends son point de vue, néanmoins je n’arrive pas à imaginer vivre cette aventure sans me lier aux gens. Je suis comme ça, m’attachant à l’espèce humaine avec un peu trop de facilité lorsque l’on m’en donne l’occasion. Etrangement je n’ai pas une armée d’amis à l’extérieur, trop occupée par mes diverses activités. Mais ici, où je n’ai que ça à faire, je me prends à espérer que ces amitiés perdureront en dehors de ce cadre si particulier, même si cela me semble utopique. De toute manière c’est toujours mieux que m’isoler et prendre mes distances, car contrairement au blond j’en suis incapable. Je reprends le stylo, griffonnant aussitôt. « Ca veut dire que tu vas buzzer bientôt ? Parce que pour le moment, t’es pas l’enquêteur de l’année. » Je lui adresse un fin sourire, dévoilant mes incisives. « Le fric, avant tout. Mais j’essaie de profiter du reste aussi, j’ai tendance à tout vivre en m’impliquant entièrement. » Ce qui est fatiguant parfois, mais . . . « Comme ça je suis sûre de ne rien rater, jamais. » Que ce soit le bon, comme le mauvais.

Vu que s'adresser à Sixtine revenait à s'adresser à Ruben, on aurait aisément pu penser que Jackson ne rêvait plus que d'une chose, s'enfuir de la bibliothèque. Et pourtant, non, ça ne semblait pas le tenter plus que ça. Parce qu'il devait avouer qu'il s'amusait d'assister à un tel spectacle. Sixtine en Ruben, ça valait clairement le détour. Et pour qu'un mec tel que lui trouve ça divertissant, c'était que ça n'était pas de la merde de chien. Il faut dire aussi que Sixtine y mettait du cœur. Beaucoup de cœur. Ruben - le vrai - passerait presque pour un usurpateur d'identité après ça. « Tu vas te faire du mal » répondit alors Jackson, après la petite remarque de sa ou plutôt de son camarade. Se remettre en chasse ? Sérieusement ? Elle était bien bonne celle-là. Quoi qu'en fait, ça n'était probablement pas une plaisanterie. Ce qui était d'autant plus inquiétant. Et alors que Jackson s'attendait déjà à une autre pique, il ne fut pas tellement déçu. Gabrielle. Ah ouais, carrément. Jackson esquissa un sourire. Est-ce que son camarade venait de l'atteindre ? Pas vraiment. Ou si c'était le cas, il se gardait de toute manière bien de le montrer. Et il était fort à cela, n'en doutez pas. « C'est marrant, moi j'ai toujours pensé que t'étais plutôt branché mecs qui font un boulot de meuf. » Il disait ça comme ça, hein, l'air de rien. Mais sans tarder, Ruben enchaîna. Oh mon dieu, voilà qu'il se sentirait presque mal le Jackson. Allait-il pouvoir tenir ou allait-il être forcé de s'en aller en sanglotant ? On prend les paris. « Possible. Mais t'as vu, j'ai survécu. » Ah bah en fait, non, il tenait très bien. C'était tout juste s'il avait froncé un demi sourcil. Vraiment, il savait parfaitement rester impassible, surtout dans ce genre de situations. Revenons-en à ce pauvre bouquin, qui se trouvait de plus en plus envahi par les écritures de nos deux candidats. Jackson venait d'avouer avoir du fric. C'était bien vrai. Sa famille en avait toujours eu. Et même s'il avait en quelques sortes tourné le dos aux siens, il n'était clairement pas à plaindre. Quant aux gens, effectivement, ils ne l'intéressaient pas. Jackson ne faisait pas dans le social, et l'assumait parfaitement. Il n'y avait donc que le jeu, l'aventure pour l'intéresser ici. En lisant la première partie de la réponse de sa camarade, Jackson eut bien du mal à se retenir de sourire. Buzzer ? Mouais, peut être. « Quelle tristesse, c'est pourtant un titre que je convoite infiniment » écrivit-il dans un premier temps. En d'autres termes, il n'en avait pas grand chose à foutre de ne pas briller de par ses talents d'enquêteurs qui, il est vrai, étaient médiocres en ces lieux. Ainsi donc, Sixtine était essentiellement ici pour le fric, et avait tendance à vivre à fond tout ce qu'elle vivait. « Et ça te rend heureuse ? » compléta-t-il, l'air de rien. Sa définition du bonheur était de toute manière assez particulière. Mais ça, ça semblait assez évident.

Certes, il est possible que le pauvre Rubinou se fasse du mal en tentant de draguer la guenon dans tout le château, cependant on ne peut nier qu’il a jusque là remporté un certain succès. Il s’est attaqué à Moore, et l’a possédée aussitôt. Bon il faut avouer qu’elle n’est pas la cible la plus difficile à attraper, Jackson s’en est d’ailleurs rendu compte ce matin, d’après mes fiables informations. Bon ok, je les ai aperçus à travers la baie vitrée, faut dire qu’ils ne sont pas franchement discrets. Si le gorille apprend la nouvelle, nul doute qu’il va broyer l'un des murs du château d’un coup de mâchoire. Le blond disposant à son gré de la brune sulfureuse, il n’est que justice que Ruben s’en prenne à la jolie Gabrielle. Il m’a d’ailleurs confié qu’elle est en premier sur sa liste de courses de la semaine prochaine, et je donnerai tout pour voir ça. Ca risque fort de se terminer dans un bain de sang, cette histoire. Je reste cependant assez sceptique étant donné que Goliath garde la porte du jardin secret de la rousse comme Cerbère protège l’entrée des Enfers. Impossible d’en faire sortir quiconque, même si Oprhée est parvenue à sauver son Eurydice. Y’a qu’à voir comment il a terminé. « Non tu m'excites moyennement Ken, désolé de briser tes rêves mais j’suis pas branché prof de fitness. » Parce que ça ne peut être que ça sa profession, pas vrai ? En tout cas pour le Ruben qui est en moi, c’est une évidence. Le blondinet joue aussitôt l’insensible en rétorquant qu’il est toujours là même après la claque de Gabrielle –au propre comme au figuré-. C’est vrai qu’il n’en est pas mort, heureusement d’ailleurs, mais je suis prête à parier que son égo en a pris un sacré coup. On ne me l’a fait pas à moi, je sais que s’il en a l’occasion il ne se privera pas de tenter de recoller les morceaux afin de l’attirer dans ses filets pour un deuxième round. « Tu trompes personne, j’t’entends chialer dans ton lit la nuit, comme une fillette qui a perdu son doudou. » Toujours plus. J’abandonne ce combat de coqs afin de me concentrer sur ce que j’estime être notre véritable conversation. Apparemment il est là pour le jeu, mais pas spécialement pour les buzz. D’un côté c’est assez logique, puisqu’il se moque de l’argent. Néanmoins il aurait pu être intéressé par les secrets, cela dit ça tombe encore sous le sens puisqu’il se moque des autres. Par conséquent, la découverte des expériences cachées ne peut rien lui apporter. Si ça t’intéresse si peu, ne te gêne pas pour me balancer des indices. J’esquisse un sourire en haussant les épaules. Bah, au moins j’aurais essayé hein. Il m’interroge sur le bonheur que m’apporte ma façon de vivre. Ca, c’est une excellente question. Je réfléchis, pas bien certaine de savoir quoi répondre. Je reprends le stylo en main, hésitante. « La plupart du temps, oui. » Pas toujours, c’est sûr. Parce que laisser constamment la place à ses émotions, se laisser guider par ses sentiments, c’est accepter toutes les choses négatives sans les écarter, et les vivre pleinement elles aussi. Je ris cependant plus que je ne pleure, puisque je tente constamment de retirer le bon du mauvais, chez les gens comme dans les expériences de l’existence. « Et toi ? » Ca m’intéresse vraiment, de savoir si son indifférence n’annihile pas au contraire toute émotion, le bonheur y compris.