☼ EVEY

Il est quasiment minuit et me voilà errant dans les couloirs du château. J’ai tout simplement envie de me balader avant de dormir. Ces derniers jours, pas mal d’événements ont eu lieux, j’ai besoin de faire le point. Puis aussi, réfléchir quant aux secrets. Créer un genre de check-list dans ma tête. En résumer, y mettre un peu d’ordre. Je marche donc, touchant un peu à tout : cadres, portes, rampe des escaliers. Tiens au passage, je décide de m’arrêter tout en bas de ces derniers. Il n’y a personne. Me voilà assis face au mur et à mes pensées. J’entends du bruit, derrière moi. Je retourne à la réalité en me retournant. Evey. « Salut. » Je regarde la candidate qui est debout. Elle me paraît géante. Qu’elle s’asseye au plus vite ! Non sérieusement, j’apprécierai vraiment qu’elle s’arrête quelques minutes pour parler avec moi. D’autant plus, qu’elle a dans ses mains un pot de glace. Miam ! J’en salive. « Tu l’avais déjà vu avant le jeu ? » Bien entendu, je parle de Zhara. Ça n’est peut-être pas clair pour la blonde vu comment elle me regarde. Alors qu’elle s’apprête à me répondre, je lui coupe presque la parole pour me reprendre. « Zhara. » J’ai pas mal de questions à poser à la candidate et à celle avec qui elle partage un secret. Leur histoire m’intrigue. Je ne souhaite pas satisfaire ma curiosité mais simplement comprendre un peu mieux le lien qui les unit.

Le château est silencieux à cette heure, je suis même persuadée que je suis la seule encore debout. Je me trompe bien sûr. Les gens ne dorment jamais ici, il faut croire. Un candidat veille toujours. Alors que je reviens de la cuisine, je passe d’ailleurs devant lui sans le voir, assied au pied des escaliers. « Salut. » Je m’arrête, me fige l’espace de quelques secondes, le temps d’analyser la situation, puis me retourne en direction de la voix qui s’est adressée à moi… du moins, semble l’avoir fait. Mon regard se pose sur Sonny, assied là, quelques centimètres plus bas. « Hey. » fis-je seulement. Je vois ses yeux qui voyagent entre moi et le pot de glace que j’ai entre les mains. S’il croit seulement que je vais lui en donner une seule cuillérée, il a tort. Ce pot m’appartient, j’ai même écrit mon nom dessus, oui, oui. Mon caprice nocturne, pas question de le partager avec qui que ce soit. « Tu l’avais déjà vu avant le jeu ? » J’arque les sourcils, surprise. En vérité, je m’attendais à ce que d’autres mots sortent de sa bouche. Mais voilà qu’il me questionne sur Zhara, car c’est bien d’elle que l’on parle ici. Je n’ai pas besoin qu’il me le précise pour savoir, mais il le fait quand même. « Zhara. » « Je sais de qui tu parles. » Lui intimant de se pousser légèrement pour me laisser une petite place, je décide de m’installer à ses côtés. Je sens que cette conversation risque d’être longue, qu’il y en a long à dire. Pas surprenant, quand on connait l’intérêt que le candidat peut avoir pour la brunette. « On se connait depuis une dizaine d’années, en fait. Depuis qu’on l’a retracé, elle et ses parents. Enfin... mes parents. » Même encore, après tant d’années, la distinction est toujours aussi difficile à faire, du moins pour moi. Je veux dire, personnellement, mes véritables parents ne l’ont jamais été à mes yeux. Et le père de Zhara, 'mon père', est la seule figure paternelle digne de ce nom que la vie m'a apportée. Il m’a élevé, il mérite donc amplement ce titre. Si toute cette situation me mélangeait, j’imagine sans mal que les autres puisse avoir du mal à faire de la sorte. Il était si facile de s’emmêler dans ces explications qui ne rimaient parfois à rien.

Tranquillement entrain de faire cogiter mes neurones, voilà qu’une grande blonde passe à mes côtés. Ouf, ce n’est pas Siomha mais Evey. Tiens, ça fait longtemps que je ne lui ai pas parlé. En plus, j’ai pas mal de questions à lui poser suite à la révélation de son secret. Je décide donc d’interrompre la jeune femme pour lui poser une première question, en espérant qu’elle n’ait pas un train à prendre. Etonnement, la candidate me rejoint sur la première marche de l’escalier en compagnie de son pot de glace. Hum.. Mes yeux louchent une nouvelle fois dessus. J’espère qu’elle le fera partager. Une petite folie à cette heure-ci, ça serait carrément le top. Je m’imagine déjà entrain de savourer la glace. Aaaa. Je me re-concentre toutefois sur la réponse de la candidate. « Et t’entretiens de bons termes avec elle et tes parents biologiques ? Enfin.. je veux dire, vous vous voyez souvent ? » La situation est bien compliqué. J’ai du mal à ne pas m’emmêler les pinceaux. J’essaye de parler avec tact. Utiliser le terme « parents biologiques » semble être la chose la plus adapté car je suppose qu’elle les considère ainsi et non autrement. Ses parents sont ceux qui l’ont élevée, pas ceux avec qui elle partage son sang. Ça me parait logique. Maintenant, je veux en savoir plus sur la relation qu’elle entretient avec Zhara. Amitié ? Lien fraternel ? Ennemies ? Ou un peu de tout probablement. Une relation pour le moins unique. J’espère simplement au fond de moi que leur lien n’est pas destructeur. Je me suis attaché, un peu contre mon gré, à la Sud-africaine.

Son regard dérive vers moi, alors qu’il s’attardait depuis quelques secondes sur le pot de crème en glace que je tiens entre mes mains. Je pense que ça le fatigue de l’avoir sous la main sans pouvoir se servir, sans pouvoir déguster ce qu’il contient. Je resserre la prise que j’ai sur lui, question de ne pas me faire surprendre s’il se décide à me le voler. Je ne me laisserai pas faire. « Et t’entretiens de bons termes avec elle et tes parents biologiques ? Enfin… je veux dire, vous vous voyez souvent ? » Je comprends qu’il se questionne à ce sujet. Zhara et lui semblent proches, et il veut surement en apprendre plus sur notre histoire, sur ce que nous partageons. J’imagine qu’il aura le même genre de conversation avec elle. « Avec mes… parents, je dirais pas que c’est le cas. » En fait, il m’était presque impossible d’associer ceux qui avaient élevé Zhara au terme de parents dans ma tête. Je ne connaissais pratiquement rien de mes géniteurs, et pour le peu qu’il m’avait été possible d’apprendre sur eux, je préférais que nous en restions aux politesses. Pour notre bien, il avait été décidé que Zhara et moi continuerions nos vies comme elle avait débuté… la seule différence étant que nous connaissions maintenant la vérité. Et ça avait tout chamboulé. Sa rencontre avait changé ma vie. « Mais avec elle, c’est différent. Je la considère un peu comme ma sœur, mais, elle est bien plus que ça pour moi. Même si on s’entend pas toujours, je sais que j’peux compter sur elle. » Le mot sœur était faible pour exprimer à quel point Zhara avait d’importance à mes yeux. Dans mon cœur, elle était tellement plus. Un peu comme une âme sœur. « Mais bon, l’Afrique, c’est pas la porte à côté, hein. » finis-je par dire, laissant entendre un léger soupir. Irlande et Afrique, cette distance me tuait. « On garde contact comme on peut. Si ce n’était que moi, on se verrait plus souvent, mais avec ses études, c’est pas vraiment possible… » Les joies de nouvelles technologies. Skype, MSN, tous les moyens étaient bons pour ne pas se perdre de vue. Ça n’égalait pas les vrais moments passés l’une avec l’autre, ces moments rares et si précieux à mes yeux. Mais ça compensait son absence. Je regarde le contenant froid toujours coincé dans la cage de mes doigts, puis le tend finalement vers lui. « Je n’ai plus faim, tu le veux ? » Cette discussion me fait perdre mon appétit, surement car elle remue beaucoup trop de choses en moi. Être franche à ces avantages… et ses inconvénients.

L’interrogatoire continue, j’ai terriblement envie d’en savoir plus concernant l’histoire d’Evey et Zhara. Je la trouve étonnante et en même temps surréaliste. Moi qui pensais que l’inversion de bébés à la naissance ça n’existait que dans les films. Ah ah. Assis sur la première marche de l’escalier du nid d’amour, je demande à la candidate blonde quelle est la relation qu’elle entretient avec ses parents biologiques et Zhara. Apparemment, si elle ne s’entend pas très bien avec ses géniteurs, ça en est tout autre chose avec la brune. Elles entretiennent une relation fraternelle voir plus. Quelque chose de fort et à la fois d’indescriptible. J’ai un peu de mal à comprendre mais une chose est sûr, garder une relation à distance, ça ne doit pas être simple. « C’est sûr. » Evey vit en Irlande, Zhara en Afrique du Sud, évidemment c’est pas pratique pour se voir. Heureusement, il existe encore les nouvelles technologies permettant de communiquer sans avoir à traverser des milliers de kilomètres. Merveilleux ! Bref. « Euh.. ouai, merci. » Je m’empare du pot de glace que la jeune femme tend vers moi. Finalement, pas besoin de me jeter dessus ou de quémander impoliment. Il suffisait juste d’attendre. Attendre qu’elle n’en puisse plus. Un peu à la manière des pigeons qui ramassent les miettes. Sympa la comparaison. Je commence donc à me goinfrer de la crème glacé à l’aide de la petite cuillère. Elle est foutrement délicieuse. Je ne regrette pas d’avoir lourdement fais les yeux doux à la jeune femme pour qu’elle comprenne ma soudaine envie de glace. Je savoure. Mais voilà, la conversation est terminée et la jeune femme risque de partir d’une seconde à l’autre. Appréciant sa compagnie, je préfère la retenir. « Tu as de la chance tu sais. Même si ce ne sont pas tes géniteurs qui t’ont élevé, tu as une véritable famille. Et ce n’est pas donné à tout le monde. » Je parle bien évidemment en connaissance de cause, car de ce côté-là, on peut pas dire que j’ai eu de chance, vraiment pas. Enfin je ne compte pas m’apitoyer sur mon sort. Je dis ça simplement pour faire comprendre à la jeune femme que, peu importe les liens du sang, la famille c’est précieux.

« C’est sûr. » La distance, le grand obstacle qui nous sépare, Zhara et moi. Et pourtant, on survit, on apprend à vivre sans la présence de l’autre à ses côtés. On dirait presque que je parle d’une relation amoureuse. Il faut dire que la jeune femme a su se tailler une place importante dans ma vie, et dans mon cœur. C’est difficile à expliquer, et je ne lui demande pas de tout comprendre. Le simple fait qu’il acquiesce signifie déjà beaucoup pour moi. Il ne se fait pas prier pour prendre le bol que je lui tends. Ça lui fait même un peu trop plaisir, à croire qu’il n’attendait que ça. « Euh… ouais, merci. » Même s’il feint d’être surpris, je sais qu’il est content. Tant mieux. Je me serais presque voulu d’avoir gaspillé de la précieuse glace s’il n’en avait pas voulu. Il ne se prive pas pour se gaver, une fois la crème glacée en sa possession, et le silence meuble le vide de la conversation. Mon regard se rive droit devant, je fixe le mur en pensant à ce que je lui ai dit, sachant que je me suis peut-être plus ouverte que d’ordinaire avec lui, ce qui n’est pas dans mon habitude. Mais bon, que ce soit ici ou dehors, les gens me questionneront. Prendre l’habitude d’y répondre tout de suite, c’est m’éviter de futures pertes de temps. Et ce n’est pas si désagréable que ça en à l’air. Ça me remue, ça vient me chercher aussi, mais je vais m’y faire. J’imagine. « Tu as de la chance, tu sais. Même si ce n’est sont pas tes géniteurs qui t’ont élevé, tu as une véritable famille. Et ce n’est pas donné à tout le monde. » J’acquiesce d’un léger signe de tête, même si dans l’ensemble, je ne suis pas entièrement d’accord. La famille est très importante pour moi… mais celle du cœur, pas celle du sang. Mes géniteurs n’ont qu’une maigre importance à mes yeux, en comparaison d’avec l’homme qui m’a élevée, supportée et qui m’a tout offert. Celui qui mérite le titre de papa. Et puis, il y a Zhara, qui sans être ma sœur, est ce qui s’en rapproche le plus dans ma vie. « Ils sont peu nombreux, ceux que je considère comme ma famille, mais… je suis heureuse qu’ils soient dans ma vie. » Mon monde tournait autour de deux êtres, en dehors de ma petite personne. Mon univers se résumait à ça, tout simplement. Les amis allaient et passaient avec les ans, mais la famille, c’est sacré. S’il arrivait quoique ce soit à mon père ou à Zhara, je ne sais pas comment je m’en sortirais. L’abandon de ma mère m’a déjà été assez pénible, je ne souhaite pas être obligée de me détacher de quelqu’un que j’ai appris à aimer avec les années. « Il lui est arrivé quoi à la tienne ? » Je sais que sa remarque n’était pas innocente. On ne parle pas de ce genre de choses sans savoir, sans avoir vécu. Il m’a ouvert une porte, et je l’ai prise. J’espère seulement qui sera aussi transparent que je l’ai été.