Le soleil était brillant dehors, oui, le printemps débarquait, oui. Mais il faisait encore froid et c’est un paramètre à prendre en compte, de plus je ne lis jamais au soleil sans une paire de lunette de soleil et elles sont au fond de ma valise : j’ai la flemme de les en retirer. Je me contente alors de lire le livre que j’ai entre les mains dans mon lit. Grace a mes parents, ou ceux de Evey, anyway, je maitrise le français a la perfection et je peux donc lire les livres de Bernard Weber, j’adore cet auteur et ce livre, l’Ultime Secret, m’a emportée. Il ne me reste que quelques pages quand je vois entrer sixtine, je lève les yeux, fronce les sourcils et referme le livre. « Tu t’incrustes ? » demandais-je avec un petit sourire taquin, je disais ça parce que a la base ce n’est pas sa chambre mais depuis quelques temps, tout le monde s’en fiche.

Le soleil a beau briller de son plus bel éclat, on ne le retrouve pas vraiment se refléter dans mes yeux. J’aurais aimé sauter comme un cabri dans le jardin, emmerder le peuple avec mes blagues pourries et mes questions intrusives, cependant je suis comme vidée de mon énergie. Toute cette histoire avec le départ/retour de Syssoï m’a perturbée, et j’éprouve le désir de me mettre en pause. Je suis cependant satisfaite que Milan et Esther ne nous aient pas quittés, le seul point positif de ce prime merdique. J’ai juste une envie, c’est m’enfoncer dans mon lit pour ne plus en émerger avant Dimanche, me laisser baigner par un rayon de lumière chaud et réconfortant. Cependant une force extérieure ne semble pas vouloir m’accorder ce repos, puisque la petite religieuse est assise sur les couvertures, un bouquin entre les mains. Je penche ma tête, notant l’auteur : Weber. Pas mal, même si celui-là je ne le connais pas. Je prends un air totalement perdu à sa remarque, tournant mon regard de façon circulaire. Ah ouais, je n’ai même pas remarqué que je m’embarque dans la mauvaise chambre. Décidément, c’est pire que ce que je pensais. Je ne peux toutefois m’empêcher de sourire en me rendant compte de mon erreur, puis je l’interroge d’un signe du menton en désignant la place à ses côtés, lui demandant par là si je peux la rejoindre. J’ignore si elle est toujours fâchée après moi d’avoir nominé sa petite Evey, aussi je préfère obtenir son autorisation avant tout rapprochement. « Ca raconte quoi ? C’est joyeux j’espère ? » Non parce qu’avec ce soleil, ça serait dommage de se miner le moral.

La candidate ne répondit pas mais semblait plutôt démoralisée. Ce qui était très bizarre a voir d’ailleurs puisque pour moi la jeune femme avait toujours été pleine de vie et de pêche. Elle désigna alors la deuxième place de mon lit comme pour demander si elle pouvait y venir et je tapotais le drap en lui faisant un signe de la tête pour qu’elle vienne me rejoindre. « Ca raconte quoi ? C’est joyeux j’espère ? » Je souris « Pas vraiment en fait… enfin, c’est pas triste non plus. En très gros, ça parle du plaisir et l’histoire tourne autour d’un homme qui en est mort. Mais ce n’est pas si simple. C’est un assassinat, l’homme est mort durant l’acte… Tu vois. Mais… Tu devrais le lire. » Dis-je alors, gardant une part de mystère. Ce livre était excellent, je n’allais pas gâcher toute l’intrigue en la lui racontant.

Zhara m’invite à s’asseoir à ses côtés, ce qui me soulage un tant soit peu. D’un autre côté, c’est ce que la Bible enseigne non, le pardon ? J’écoute son résumé en hochant la tête, visiblement très intéressée. Cela dit la chute me paraît bien triste. « T’es sérieuse ? Il est mort en bai . . . en faisant l’amour ? » Ouais bon, il ne faut pas choquer le jeune public non plus. Je prends un air parfaitement atterré, secouant la tête en signe de dépit. « C’est con de mourir comme ça. Ou alors c’est génial en fait, parce qu’au moins t’es mort en ayant atteint le summum du plaisir. T’en penses quoi ? » Je me frotte le menton comme si cette réflexion était très importante pour moi et me fascinait soudain. Ca me paraît bizarre, qu’on puisse assassiner quelqu’un en lui procurant un maximum de plaisir, parce que généralement on veut le faire souffrir, non ? Sauf si c’est impersonnel, et qu’on désire brouiller les pistes. Bref, ça a l’air pas mal ce bouquin, je le place sur ma liste. « La moralité c'est qu'il ne faut pas rechercher trop de plaisir ? » Y'a peut-être rien à tirer de l'histoire, que c'est simplement une fiction . . .

La jeune femme se lève, l’air satisfaite et vient s’installer sur le lit a mes cotés. « T’es sérieuse ? Il est mort en bai . . . en faisant l’amour ? » je lâche un rire devant son étonnement et me dit que, en effet, c’est étonnant ! « Oui, oui ! » là où j’en suis rendue, je sais même qui est l’assassin, enfin… Sauf si il y a un coup de théâtre mais puisqu’il ne me reste qu’une vingtaine de pages je ne pense pas. « C’est con de mourir comme ça. Ou alors c’est génial en fait, parce qu’au moins t’es mort en ayant atteint le summum du plaisir. T’en penses quoi ? » Elle fait mine de réfléchir de manière intense et je passe une main dans mes cheveux, ne sachant quoi répondre puisque je n’ai jamais atteint ce genre de plaisir, mais selon les dires c’est effectivement le summum. « Je pense que c’est une très belle mort, dans les bras de la femme qu’il aime, au sommet de son plaisir. » dis-je doucement, oui je suis catholique mais je n’en renie pas pour autant le plaisir. Je ne suis sans doute pas épicurienne mais je sais que pour vivre il fait ressentir du plaisir de temps à autre. Et de la souffrance également car les deux sont indissociables. « La moralité c'est qu'il ne faut pas rechercher trop de plaisir ? » je hoche la tête, c’est en plein dedans. « C’est exactement ça. » parce que toute l’intrigue finalement porte sur ça, en très gros.

Zhara me confirme que ce pauvre homme est bien mort en faisant l’amour, et elle estime que c’est une belle mort. Même pour quelqu’un qui n’a jamais connu le plaisir charnel, il semble évident que c’est une bonne chose que la vie nous quitte durant un moment de bonheur particulier. Je ne sais pas. Peut-être qu’il a le temps de s’en rendre compte et qu’il se dit : merde, non j’peux pas mourir maintenant c’était trop bon là. Alors que s’il crève en regardant une connerie à la télévision il pense que de toute façon son émission était pourrie. Enfin bon, dans tous les cas j’imagine que se voir mourir n’est pas particulièrement agréable, mais effectivement je préfèrerais passer mes derniers instants dans les bras de l’homme que j’aime que scotchée à un canapé. Elle me confirme que Weber a désiré faire passer le message suivant : à trop vouloir recherche de plaisir, on risque d’y laisser la peau. C’est triste, comme conception. D’un autre côté si ça devient comme une drogue, on s’habitue aux choses qui procurent du plaisir, et on en recherche toujours davantage sans jamais trouver de satisfaction. « C’est vrai que trop de plaisir tue le plaisir. » Ou tue tout court, en l’occurrence. Je me laisse tomber sur le lit, fixant le plafond en rangeant mes mains derrière ma tête. « Dis, quand on meurt la Bible elle donne des indications quant à l’âge qu’on aura ? Celui de notre mort ? » C’est une question qui m’a toujours tracassée.

« C’est vrai que trop de plaisir tue le plaisir. » dit-elle finalement après mes explications, je hoche la tête. C’est triste quand même, de devoir passer pas des moments plus difficiles pour se rendre compte de ce qu’est le bonheur mais en même temps on n’a pas le choix et la plupart des gens le vivent bien. Moi je le vis bien, bien que je redoute toujours un peu le moment ou je devrai vivre un truc désagréable. Une nomination dans le jeu, l’élimination d’un proche, une opération, une maladie, un deuil etc. Du coin de l’œil, je vois sixtine s’allonger et passer ses mains derrière sa tête. « Dis, quand on meurt la Bible elle donne des indications quant à l’âge qu’on aura ? Celui de notre mort ? » Je lâche un rire, c’est un peu ‘plus fort que moi’ et secoue la tête. « Quoi, tu veux dire, … Comme si on avait une date de péremption ? Non…Non, rien n’est plus incertain que la mort. » Dis-je alors, un frisson me parcourut, c’était un sujet délicat et que, pour être honnête, je n’aimais pas trop en tant que future médecin. Je me devais de vouloir sauver les gens de la mort, justement, même si de temps a autre dieu en a décidé autrement.

Je hausse un instant les sourcils à la réponse de la brune, ne comprenant pas tout de suite. Puis je me souviens de mes mots et je percute. « Ah non, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. » Je me mets à rire, c’est vrai que ma question était bizarrement posée et que l’on pouvait la comprendre dans ce sens. « Le jour où on meurt et qu’on va au paradis, est-ce que là-haut on a l’âge de notre mort ? Ou alors cette notion disparaît puisqu’on n’est plus qu’une âme qui flotte. Mais après tout l’âge touche l’âme, et une âme qui a un an sera pas forcément en mesure de s’adresser aux autres, si ? » Ca paraît vraiment con comme question, n’en pêche qu’on est en droit de se la poser. Parce que c’est bien beau de nous dire qu’on va se retrouver à la droite de Dieu, encore faut-il prévoir un guide pratique que Jésus s’est bien abstenu de nous transmettre. J’imagine que Zhara ne doit pas en savoir beaucoup plus que moi, mais peut-être s’est-elle déjà penché sur le sujet, ou a entendu quelqu’un le faire. Moi ça me tracasse vachement, parce que dans ce cas là je préfère crever à cinquante ans qu’à quatre-vingt dix. Pour un peu que je me retrouve âme gâteuse . . . ce serait dommage.