☼ SIXTINE

Onze heures passé, et j’ai déjà déjeuné, lu, fais du sport, pris un bon bain. En revanche, je n’ai toujours pas fais un détour par les toilettes. Mon ventre est terriblement barbouillé et je n’ai qu’une seule envie : faire pipi. L’arrêt aux WC est donc indispensable. Je vois Sixtine me devancer au loin. Heureusement, il y a toujours les urinoirs à côté du cabinet. Je me soulage donc, pas gêné par la mixité de la pièce. Je ne sais pas très bien si elle entend le bruit que je procure mais je m’en fou royalement. Tout le monde émet le même son quand il pisse après tout. Bref. « Hey Méduse ! Euh.. Sixtine. » Oh la bourde ! Quel con ! Franchement, ça m’a échappé. Je repensais à la dernière fois avec Evey ou j’avais trouvé ce secret bidon pour la jeune femme. Sixtine où la nana qui voue un culte aux méduses. Tsss. Elle risque de ne pas comprendre et de me prendre pour un dingue. Tant pis. Autant aggraver mon cas. « Dis, tu connais la blague du chinois qui mange des nems ? » J’ai une soudaine envie de faire chier la candidate enfermée dans le cabinet. Pas au sens propre hein. Je ne sais pas très bien si la jeune femme largue ses potes à la piscine ou si elle fait simplement coulette et je m’en fou. Pas envie de savoir.

Ouh bon sang, j’ai une sacrée envie d’aller aux toilettes. Là, tout d’suite, maintenant, illico. Le hic c’est que je suis en train de me préparer le petit déj’ –ouais parce que je suis une vraie marmotte-, et que si je lâche mon œuf au plat presque cuit il va cramer. Si j’éteins le feu, il va refroidir et on risque de me le piquer. Merde, un vrai dilemme. Je me tortille sur moi-même pendant une bonne minute lorsque Milan débarque dans la cuisine, me sauvant la mise. Je lui demande gentiment de garder mon précieux œuf en mordant quiconque tente de s’en approcher, me précipitant dans les escaliers après lui avoir soutiré une clope. Je tombe une fois, trébuchant sur un vêtement qui a négligemment été jeté sur les marches, jurant contre l’imbécile qui a voulu me tuer. Parce qu’il est évident que c’est un plan bien calculé. Je parie sur Cooper, puis atteint enfin ma cible après avoir superbement coiffé Sonny au poteau. Ouais parce que je l’ai bien vu le lascar, mais moi je ne peux plus me retenir. De toute façon lui, il n’a pas besoin du trône doré, à moins que . . . ah non ça va, pas la peine de m’imaginer des horreurs. Je pousse la porte, m’installant avec soulagement. Oh mon dieu. Quelques secondes plus tard, j’identifie clairement la présence d’un autre candidat, et je parie sur le boucher. Ma pensée vient se confirmer tandis qu’il m’interpelle depuis sa pissotière, me faisant lever les yeux au ciel. Putain, on peut même pas aller aux petits coins tranquille ici. Je ne comprends pas bien pourquoi il m’appelle méduse, je ne me souviens pas en avoir parlé durant notre dernière conversation, mais je décide d’ignorer cette intervention, tout comme je décide de l’ignorer lui. Il va bien finir par se barrer, non ? Je me rhabille, observant la clope de mon ancien partenaire avec dépit. Merde, je n’ai pas pensé à lui demander du feu. Mes épaules s’affaissent devant cette triste constatation, me rendant compte qu’il me faudra renoncer à ce petit plaisir, planquée dans les toilettes. Je m’assois sur la cuvette que je prends soin de refermer, soupirant de déception, lorsque la voix de Sonny brise à nouveau le silence. J’hésite à me faire passer pour quelqu’un d’autre, avec un peu d’espoir il n’a distingué que ma crinière blonde dans le vent, cela dit j’estime que ce n’est pas nécessaire. « Non, mais je suis certaine qu’elle est hilarante . . . » Je souris un peu malgré le ton blasé que j’ai employé, attendant qu’il me raconte sa blague en contemplant la cigarette. Peut-être qu'il y a des silex en décoration dans les chiottes ? Je tourne ma tête à droite et à gauche, mais non, rien de ce genre. Pf, Dieu a vraiment décidé de me faire chier cette semaine.

Me voilà entrain de me délivrer de mes souffrances intestinales sur l’urinoir. Vidanger ma vessie était absolument nécessaire. Qu’importe si quelqu’un d’autre se trouve dans les toilettes, non loin de moi, je serai capable d’uriner devant n’importe qui. Bref. Je salue Sixtine en faisait un léger lapsus sur son prénom. Hum.. je fais comme si de rien n’était en reprenant quelques secondes plus tard pour lui proposer une blague du haut de son trône. Tout en me lavant les mains, je poursuis la discussion que Sixtine ne semble pas vraiment vouloir continuer. « Tu n’en as pas idée ! » Je plaisante à moitié. Le ton blasé et pas convaincu de la candidate ne va pas m’arrêter, non, il m’en faut bien plus. Tant pis pour elle. Après tout, elle n’a pas vraiment d’autre choix que de m’écouter. Je me sèche les mains avec la machine avant de m’approcher de la porte du cabinet pour que la blonde m’entende un peu mieux. « C’est un chinois tu vois, il est comme çà dans la rue entrain de manger des nems, tranquille et tout. Là il y a un mec qui arrive et qui lui vole ses nems, le chinois est dégouté, il coure après le mec et lui dit "Hey ! C’est my nem, c’est my nem !" » J’emprunte la voix de Beyoncé et de ses copines Kelly Rowland et Michelle Williams des Destiny’s Child. Je ne connais pas bien la chanson originale mais en revanche la blague n’a plus aucun secret pour moi. Je ne sais pas ce que la blonde en pensera. Est-ce que ça la fera rire ? Pleurer ? Qu’elle trouvera ça nul à chier ? J’en sais rien. Au pire, je m’en fou. Mon but est simplement de la divertir pendant qu’elle fait ce qu’elle a à faire dans les chiottes. « A ton tour. Essayes de me faire rire. » Bon ok, ça ne sera pas bien difficile. Les blagues nazes sont étrangement celles qui me font rire le plus. Me divertir ne sera donc pas chose impossible pour la blonde. A condition qu’elle le veuille.

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J’suis là, derrière la porte fermée de ces toilettes comme une junkie en manque de sa dose prête à sniffer un rail de coke. Mais à la place, je fixe le petit bâton de mort que j’ai emprunté à Milan pendant que le boucher me promet une blague à se pisser dessus. Pas de bol, je viens juste d’y passer. Bref. Je perçois sa voix plus proche de moi quand il entame sa petite vanne que j’écoute attentivement, mine de rien. Il me faut bien cinq secondes à la fin de la blague pour emmagasiner les informations, je suis toujours un peu longue à la détente mais ça tout le monde le sait maintenant. C’est certainement l’histoire la plus nulle que j’ai jamais entendue avec celle du mexicain quir entre dans un café, cela dit je ne peux retenir un rire qui s’échappe de mes lèvres. « Putain, elle est trop nulle. » Et finalement, ce divertissement passager ne suffit pas. Parce que maintenant, j’ai envie de pleurer. Ouais, j’ai juste envie de me foutre des écouteurs dans les oreilles avec le générique de Gladiator, m’asseoir sur la cuvette et me mettre à chialer toutes les larmes de mon corps, tirant sur cette putain de cigarette que je me suis promis d’éviter le restant de mes jours. J’ai plutôt bien réussi jusqu’ici, et tous mes efforts sont sur le point d’être anéantis par une minable émission de télé réalité. Faut arrêter ma Sixtine, t’es vraiment une fillette. J’ouvre la porte à la volée, décidée à me ressaisir, pétant le nez de Sonny par la même occasion. Je porte la main à ma bouche, me rendant compte de ma connerie. Oh merde, lui qui voulait rire du coup, c’est un petit peu raté. Je lui touche doucement l’épaule, me mordant la lèvre en ravalant un sourire. Putain, c’est pas drôle. « Ca va ? » Je lui demande fébrilement, cherchant dans ma tête la vanne la plus pourrie que je connaisse. « C'est un pain au chocolat et un croissant qui discute. Le pain au chocolat demande au croissant : "Pourquoi t'as la forme d'une lune ?" Et le croissant répond : "Bah... Je t'ai pas demandé pourquoi t'avais de la merde dans le cul." » Ouais bon, c’est pas très fin comme vanne, mais c’est la seule qui me vient, là, tout d’suite. En plus elle est méchante, c'est pas de sa faute au pauvre pain au chocolat s'il a des problèmes digestifs. Comme Sonny semble toujours souffrant je lui tends ma clope en signe de paix, elle lui servira plus qu’à moi.

Je ne sais pas trop pourquoi mais c’est la blague du chinois qui mange des nems qui m’est venue en tête. Peut-être parce que Sixtine est entrain d’en pondre une dans les chiottes ? J’en sais rien. J’ai pas tellement envie de savoir ce qu’elle fait. Mais en tout cas, c’est long ! « T’as quand même rigolé ! » Parce qu’elle croit que je l’ai pas entendu émettre un petit son la coquine ?! Ah ah. Ok, ma blague n’était pas très drôle, et elle a probablement dû rire plus pour ça qu’autre chose. Bref. Je décide de la mettre au défi de me faire rire. A son tour, elle doit me raconter une blague. J’attends. Quelques secondes plus tard, j’attends toujours. La porte du cabinet s’ouvre finalement sans que j’ai le temps de m’en apercevoir. « Aoutch ! » Je pousse un drôle de bruit suite au choc. Je suis même un peu sonné. C’était violent. Je ne sais pas par quel miracle mais mon nez ne saigne pas. En revanche, j’ai terriblement mal. J’adresse un regard qui veut en dire long lorsque la blonde me demande si je vais bien. Je la vois alors se mordre la lèvre et s’empêcher de rire. Tsss. Je suis sûr qu’elle l’a fait exprès ! Pas besoin de faire genre elle s’en veut. Bon. Sa blague vient replacer le sourire à mes lèvres. Elle est terriblement nulle et crade mais elle parvient à me faire rire. C’est déjà ça. J’en veux un peu moins à la candidate mais hors de question de le lui montrer, je reprends mon air sérieux et énervé. « Merci. » Je m’empare de sa clope sèchement avant de lui jeter un regard faussement glacial, toujours souffrant à cause de mon nez. Il y a intérêt pour elle à ce que la douleur se soit dissipée d’ici quelques heures. Sans quoi, je risquerai de lui en vouloir pendant quelques temps. Je décide de m’asseoir contre le mur des WC le temps que ma tête tourne un peu moins. La candidate a tout intérêt à enchainer sur une autre blague si elle veut me remonter le moral.