slavin.

Je ne sais pas vous, mais moi, j’adorais faire ma lessive. Enfin, c’est plutôt le fait d’avoir des vêtements propres, qui sentent merveilleusement bon, que j’aimais, mais c’était du pareil au même, non? Presque. Ne souhaitant pas trop sortir de ma routine habituelle, il avait été décidé, en mon fort intérieur, que jeudi serait jour de lessive. Ce qui expliquait ma présence dans le cellier, endroit fort peu hospitalier. Faute de chance, c’était ici qu’on trouvait lave-linge et sèche-linge. Aucun effort décoratif, à croire qu’on avait négligé l’endroit. Il ne fallait pas se demander pourquoi les gens évitaient d’y venir, alors. Tss. Enfouissant mes vêtements dans la laveuse, j’y ajoutais le savon, puis après avoir refermer le couvercle, enclenchait la machine. Facile de connaître son fonctionnement : j’avais les mêmes à la maison! Hm, plutôt chez ma cousine. Qui était mon chez moi, temporairement. Elle m’aimait bien, d’accord, mais après trois mois, je pense qu’elle rêvait du jour ou je m’installerais ailleurs. M’envoyer dans cette émission était un moyen plus ou moins subtil de me mettre à la porte, voilà! Mais non! Ce n’était pas son genre. Jamais elle n’agirait de la sorte avec moi. La seule pensée, seulement, de l’entendre proclamer pareil ineptie me faisait rigoler, c’est pourquoi un large sourire étira mes lèvres. Et le comble, c’est que je n’étais plus seule, soudainement. Quelqu'un venait de me surprendre dans mes pensées. Cet invité qui venait de s’introduire dans le cellier devait me prendre pour une folle, à sourire autant devant ma lessive. Tant pis. « Bonjour ! » le saluais-je, visiblement de bonne humeur.

C'est fou quand même, on est quoi, jeudi et ça fait donc trois jours qu'on est là, et pourtant, j'ai la sensation de ne rien avoir à me mettre. J'suis là comme un con devant mon placard et pourtant, toutes les fringues qui me font envies - parce que non, je ne suis pas habillé à cette heure-ci. Enfin si techniquement je ne suis pas nu, mais j'suis pas habillé, j'ai un vieux short délavé, et un sweat qui fait la gueule, alors non j'suis pas habillé. On va dire que j'suis en pyjama. Parce que ce n'est pas vraiment mon pyjama parce que je n'en porte pas, mais ce sont bels et bien les fringues que j'ai enfilés en me levant, et aussi les fringues que j'ai enfilé en sortant de la douche puisque techniquement, elles étaient propres mais en plus de cela, j'ai totalement oublié d'en rapporter d'autres. Et étant donné que l'option je sors à poil de la douche jusqu'au dressing est à proscrire, j'ai remis ça. Et puis j'ai croisé Sochanna avec son appareil photo, on s'est mis à parler détails techniques par conséquent. J'suis là à presque quinze heures devant mon dressing vide. Enfin non il est plein mais c'est à se demander si quelqu'un n'avait pas fait un raid dans mon dressing. Une seule solution s'offre à moi, lorsque je remarque le bac qui me sert de bac à linge sale rempli à ras bord. Je me change définitivement trop. Bon avant de partir en expédition lessive, j'enfile un caleçon, heureusement ça je ne risque pas d'en manquer vu la quantité que j'ai apporté avec moi. Justement pour prévenir une lessive au bout de trois jours. Mais il faut bien se rendre à l'évidence, si je veux éviter de ressembler à un clochard - correction, si je peux éviter de ressembler davantage à un clochard, j'dois descendre au cellier immédiatement. Le pas lourd, je traînais carrément la patte, la lessive, je déteste. Enfin dans mon appartement, j'supporte je fourre le tout dans la machine et je retourne vaquer à mes occupations. Sauf que là, je me vois mal disparaître, je compte même faire un sitting sur ou devant la machine, je n'ai pas encore décidé. Panière sous le bras, je me rends au lieu tant convoité. J'ouvre la porte, et là que vois-je, de la compagnie, aussitôt mon visage s'illumine. Enfin, bizarre ma compagnie, elle est entrain de sourire devant sa machine, j'suis pas entrain de rêver ? « Salut ! » J'ris jaune, j'suis crispé. Mais trop tard, elle m'a vu. J'suis dans la merde, si j'pars c'est suspect et si je reste, j'ai peur qu'elle ne me décrive le moment du tambour dans ses moindre détails. Bon, allez, dis quelque chose du con. « T'es la première personne que j'vois à s'extasier devant sa lessive au point de sourire. » Je ris et puis m'approche précautionneusement de la machine vide, comme si un monstre allait me sauter à la gorge un peu. « Tu sais comment ça fonctionne ce truc ? Parce qu'avec tous ces boutons lumineux, j'parierais qu'elle fait aussi office de jukebox. » C'est pas si dramatique de ne pas savoir se servir d'un objet telle que celle là ?

Oh, je pense qu’il ne s’attendait pas à ce que je le repère aussi vite. Mais bon, en dehors des équipements de lessive qui tourne, je n’ai pas grand distraction ici. Il m’est donc aisé de la détourner vers quelque chose de plus intéressant, à savoir sa personne. « Salut ! » qu’il se force à me dire, en riant. Je suppose que le spectacle que je lui ai offert à son arrivée est en cause. Je ne me trompais pas. « T’es la première personne que j’vois à s’extasier devant sa lessive au point de sourire. » Son rire est bien vite rejoint par le mien, car je trouve franchement cette situation ahurissante, et improbable aussi. Je souriais, d’accord, mais de là à se faire des idées sur ma relation particulière avec le lave-linge et le sèche-linge, il y a des limites. « Ces deux machines sont de vieilles copines, c’est toujours un plaisir de les retrouver. » Et voilà que je m’envenime dans la situation. Bravo, Anabel, vraiment! Il ne faudra pas que je m’offusque si les gens me prennent pour folle, après ça. Je n’aide en rien à cette situation, même s'il s'agit clairement d'une plaisanterie. Entre temps, le candidat s’est approché de l’une des machines vides, et il semble peu convaincu par ce qu’il voit. J’arque les sourcils, songeuse. « Tu sais comment ça fonctionne ce truc ? Parce qu’avec tous ces boutons lumineux, j’parierais qu’elle fait aussi office de jukebox. » Ah, ce n’est rien que ça. Je laisse entrevoir un léger sourire sur mes lèvres. « Oh, tu sais, elle produit bien quelques sons, mais ils sont loin d’être aussi agréable à l’oreille que la musique. Et ça manque un peu d’harmonie… » D’un pas lent, je me rapproche de ce dernier et du lave-linge. « Je te montre comment ça fonctionne et tu oublies ma lubie passagère? » Me coltiner une réputation de la folle à la lessive, non merci. Autant tuer dans l’œuf cette situation du moment que je la contrôlais encore.

Mon rire est communication et je me rends compte immédiatement que la jeune femme n'est pas l'une de ces personnes aigris qui pense qu'on se fiche d'elle à la moindre occasion. Au contraire, elle use même d’auto-dérision à son égard et ça, ça me plait énormément. Elle surenchérit même en ajoutant qu'elle est amie avec ces machines. Oui bon là, j'vais pas réussir à m'arrêter de rire si elle continue. Mais visiblement ça va mieux. Je réussi à me calmer. « Je vois. Je te présenterais mon pote le réfrigérateur à l'occasion. » Je plaisante à mon tour, c'est vrai que j'allais le voir assez régulièrement celui là. Enfin pas de là à être catalogué de goinfre, parce que pour le coup j'dois pas avaler tant que ça. Mais disons que c'est le seul appareil électroménager dont je puisse me sentir proche à vrai dire. Y'a bien la pompe à bière que m'a offert mon meilleure pote, mais non, bien sûr, y'a tout l'attirail de photographe dont je dispose, mais pas sûr que l'image soit aussi importante. Mais bref, puisque là présentement, je me trouve être coincé devant la machine à laver. Sa remarque concernant le jukebox me fait sourire. « T'es sûr de toi ? Pare que ce serait cool l'option musique... » J'rétorque peu convaincu par sa réponse, même si pour le coup il est évident que je plaisante comme il est évident que notre conversation n'a rien de totalement sérieux depuis mon arrivée. « Marché conclu, évidemment j'suis pas non plus boulimique qu'on soit d'accord. » Autant rétablir l'ordre immédiatement, elle a raison, si bien que je lui laisse la place devant le hublot. « Je te propose de repartir de zéro, j'suis Slavin et toi ? »

Son rire est franc, communicatif, et je ne peux m’empêcher de joindre ma voix à la sienne. Cela fait tellement bien de se laisser aller à quelques plaisanteries de la sorte : ça permet de faire sortir la tension des derniers jours, de décompresser un peu. Et puis, c’est terriblement bon pour la santé. N’existe-t-il pas des thérapies par le rire? « Je vois. Je te présenterais mon pote le réfrigérateur à l’occasion. » Je ne croyais pas qu’il irait jusqu’à me suivre dans mon délire certain, mais je trouve ça fort sympa de sa part. « Oh, je serai vraiment enchantée de faire sa connaissance. » Qu’est-ce qu’on ne peut pas raconter, vraiment, quand on n’a rien de mieux à faire. L’enfermement nous fait dire – ou faire – des choses idiotes parfois. Je suis même persuadée que certains n’en sortent pas totalement sains d’esprit… Ça reste à prouver. « T’es sûr de toi ? Parce que ce serait cool l’option musique… » Je porte mon index au niveau de ma lèvre inférieure, que je tapote légèrement en guise de réflexion. Je feins un air songeur, comme si je réfléchissais à une solution miracle – qui n’existe pas, soyons francs. Mais on s’amuse là, rien de tout ceci n’est sérieux. « Enfin… tu peux toujours t’inventer une mélodie avec le bruit du tambour qui tourne, mais il faut avoir une sacrée imagination... » Vous allez bien rire de moi, mais je faisais exactement ça quand je devais passer l’aspirateur. Hm, mieux valait que je garde cette information pour moi, tout compte fait. Je ne voulais pas qu’on doute de mon bien-être intellectuel. « Marché conclu, évidemment j’suis pas non plus boulimique qu’on soit d’accord. » Mes lèvres laissent apparaître un léger sourire. Cette idée ne m’avait même pas traversé l’esprit en fait, mais soi. « Je te propose de repartir à zéro, j’suis Slavin et toi ? » « Anabel. » Simple, court, efficace. Prenant place devant la machine dont il s’est éloigné pour me permettre d’approcher, je tourne la tête vers lui. « Bon et bien, tout ça, ce n’est pas bien compliqué. » Après tout, le but premier de ce marché résidait dans le fait que devait lui apprendre le fonctionnement du lave-linge. « Une fois tes vêtements dans le panier, tu y ajoutes le savon, tu tournes cette petite roulette… » Je lui en indique une. « Puis ensuite, tu appuies sur ce bouton pour la mettre en marche. Et voilà. » Ce n’était pas sorcier. « Tu veux essayer? Je vais te superviser. » Clin d’œil complice. Voyons voir si l’élève surpassait le maître, maintenant.